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C’était hier que se terminait la 25ème édition du Festival de Films International de Palm Springs, édition marquée par la présence de nombreux films canadiens s’illustrant à l’étranger.
À la piscine du Ace Hotel, hipsters, acteurs et réalisateurs profitaient du soleil entre deux visionnements et un cocktail. À l’horizon, les palmiers s’élançaient devant les montagnes de San Bernardino. Situé en plein désert des Mojaves, Palm Springs est devenu au fil des ans, un lieu de villégiature chouchou des riches retraités et autres stars hollywoodiennes. On y retrouve 269 terrains de golf, de grands espaces, du tennis. Mais aussi des évènements artistiques réputés, tel que Coachella, le populaire festival de musique, ou encore le Palm Springs International Film Festival (PSIFF), qui cette année a célébré son 25ème anniversaire.
Dans le circuit des festivals, celui de Palm Springs s’est taillé une place de choix quant au cinéma étranger. Du 3 au 13 janvier, 187 films de 60 pays y ont été présentés. L’évènement a attiré près de 135,000 festivaliers, dont 7% viendraient du Canada, selon la directrice du festival, Helen du Toit.
C’est d’ailleurs le Canada qui était le pays en vedette lors de cette dernière édition, attirant sur le tapis rouge des stars internationales telles que Matthew McConaughey, Sandra Bullock, Julia Roberts, Tom Hanks et Meryl Streep. « L’extraordinaire succès des films canadiens sur la scène internationale nous a incité à mettre les projecteurs sur les films provenant de notre voisin du Nord », explique Helen du Toit, également canadienne.
Évidemment, plusieurs oeuvres québécoises étaient présentées, dont les plus récents films de Louise Archambault (Gabrielle), Sébastien Pilote (Le démantèlement), Denis Côté (Vic + Flo ont vu un ours), Mathieu Roy (L’autre maison), Chloé Robichaud (Sarah préfère la course), ainsi que le remake anglophone de La Grande Séduction, réalisé par Don McKellar.
J’étais présente lors du festival et me suis entretenue avec Louise Archambault. Passionnée de grands espaces et d’équitation, lorsque celle-ci m’a proposé d’aller explorer le désert à cheval, j’ai dit oui sans hésitation.
Conversation et récit photo:
Comment trouves-tu Palm Springs jusqu’à présent? Tu t’y plais?
Oui vraiment! Je suis allée dans un endroit perdu, c’est vraiment dans les montagnes. C’est un ancien endroit où il y avait des tournages de westerns, où ils ont gardé les maisons iconiques et c’est aussi un bar. C’est une famille qui tient l’endroit, la madame a les cheveux longs gris, c’est très folk country.
Ah! Tu es allée à Pioneertown, au Pappy & Harriets! J’y suis allée aussi! Un passage obligatoire lorsqu’on vient à Palm Springs, parait-il.
Oui, exactement! Le soir, tu as un premier band qui est plus local et vers 8-9 heures tu as le band invité, comme Bon Iver et Mumford & Sons. Pour 5$!
Nous étions dans le même avion à notre arrivée en Californie. Quand tu survoles les montagnes et que tu regardes par le hublot, ton esprit s’évade où? Tu penses au film, tu as des attentes?
Gabrielle, c’était le film canadien qui était pré-selectionné aux Oscars, alors s’il avait passé au deuxième tour, dans les neuf finalistes, c’est sûr qu’il y aurait eu beaucoup plus d’attentes ici et qu’il y aurait eu beaucoup de relations de presse. Maintenant, le film est quand même déjà acheté aux États-Unis et il va être distribué dans quelques salles. Moi j’ai fait le film, ça c’était mon gros travail. Et maintenant c’est de le partager et c’est d’avoir le plaisir d’avoir des spectateurs. Quand on a des spectateurs, qu’on a cet échange et que ça leur parle cette histoire-là, c’est génial. Comme ce soir, le Questions-Réponses après la diffusion du film, c’était super. Il y avait de bonnes questions.
Tu as présenté Gabrielle dans plusieurs pays. Remarques-tu des différences chez le public, ou est-ce que le film génère des réactions plutôt universelles?
On se posait justement cette question avant de sortir le film et maintenant qu’on a fait quelques pays, incroyablement, la réaction est à peu près tout le temps la même. On se rend compte que le sujet au fin fond est très universel: le besoin d’aimer et d’être aimé. Moi, ce qui me réconcilie avec l’être humain, c’est le désir d’ouverture sur l’autre. On veut tous avoir des défis. Des fois, on les surmonte; des fois, on se casse les dents. Mais c’est ce qui fait qu’on se construit en société.
Autant en Estonie, qu’en Allemagne, qu’ici aux États-Unis, j’ai vu la même chose. C’est sûr qu’il y a peut-être quelques différences, par exemple en France, il y a une sortie assez importante du film, dans à peu près 150 salles. Les gens m’en ont parlé et le sujet de la déficience intellectuelle, c’est encore délicat. Tu te rends compte que oui c’est tabou, mais les gens veulent en entendre parler et veulent échanger sur le sujet.
Quand tu as réalisé Gabrielle, est-ce que tu cherchais ça, justement, créer un dialogue à propos des relations chez les personnes avec des déficiences intellectuelles?
Je savais que la sexualité chez les déficients intellectuels, c’est un sujet délicat. J’ai tendance à vraiment aller sur le terrain pour m’inspirer des gens et avoir une authenticité dans ce que j’écris. Je ne voulais pas me faire prendre au jeu et avoir une histoire didactique. Je voulais écrire une bonne histoire, qu’on croit aux acteurs, aux personnages. Le reste, si ça ouvre un échange, un débat, un questionnement sur ce sujet là, c’est fabuleux. Mais si j’écris et que je réalise un film pour ça seulement, je pense que je passe à côté du cinéma de fiction.
Et toi dans ta vie, ça t’est déjà arrivé de te sentir outcast? Te souviens-tu de la première expérience, où tu t’es sentie différente?
Oh! Qu’est-ce que c’est difficile à répondre comme question! Mon premier souvenir… je devais être très jeune! Écoute, nous, on habitait dans une maison dans la montagne, dans une maison pas de voisins. Et je pense que j’avais tendance à parler aux arbres et parler au ruisseau et parler à la nature toute seule et à imaginer plein de choses. Et à moment donné, d’avoir quelqu’un, ma soeur, qui me regarde, qui éclate de rire et à me dire, qu’est-ce que t’as à te parler de même! Et à me trouver bizarre, étrange. Alors oui, c’est vrai que j’étais beaucoup dans mon imaginaire (rires).
Ce qui te sert visiblement très bien aujourd’hui! Qu’en est-il des scènes d’amour, ont-elles été difficiles à tourner?
C’était particulier, mets-en!
Parce que tu as quand même passé plus d’un an avec Gabrielle, avant le tournage du film. Vous parliez beaucoup de sa sexualité?
Oui, avec Gabrielle, mais aussi avec sa mère. Sa mère a eu différentes versions de scénarios. Je me demandais si tout le monde allait être à l’aise avec ça. Gabrielle n’a jamais fait l’amour dans la vraie vie. C’est quelque chose que je lui demandais, pour sa mère aussi.
Pour Gabrielle, tout ce qui est inhibition c’est pas compliqué. La première fois qu’on a répété une scène d’amour, Gabrielle embrasser Alexandre c’était pas compliqué pantoute! À moment donné, c’était comme, « OK Gabrielle tu peux arrêter! » C’était Alexandre qui était plus pudique et je disais « Alexandre sois plus sensuel, come on! » Tsé lui il ne voulait pas aller au-delà, il voulait la respecter, alors il fallait que je travaille là-dessus. Le jour J, la mère de Gabrielle était sur le plateau de tournage et à ce moment, je sentais plus de fragilité chez Gabrielle, car il y avait le regard de sa mère et elle se sentait comme une petite fille tout à coup.
Dans les dernières quinze années au Canada, il y a seulement deux femmes dont les films ont été soumis pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère…
C’est vrai, lesquelles?
Alors il y a eu Léa Pool en 1999 avec Emporte-moi et Deepa Metha pour Water en 2006.
Ah oui! Go girls!
À ton avis, qu’est-ce qui explique ce manque de femmes en réalisation et en scénarisation au cinéma?
Il en manque de moins en moins honnêtement, je pense. Je ne peux répondre précisément, mais mon expérience à moi d’écrire, de réaliser des films, d’être dans la création — ça demande un investissement énorme, une implication. C’est sûr qu’à mon humble avis, quand tu commences à avoir des enfants, c’est très difficile de départager le temps. De dire, OK, je fais fi du quotidien.
Je pense qu’en général, et là je généralise, les femmes, on a tendance à vouloir protéger la famille et à penser à ça avant soi-même, avant la création. Alors de départager et de dire, OK je m’accorde du temps pour la création et on mangera une pizza surgelée pis ca va être ça, on le fait moins.
Personnellement, je ne me suis jamais sentie jugée par exemple par les institutions, parce que je suis une femme. Peut-être que je l’ai été à mon insu, mais vraiment à chaque fois que j’ai présenté des projets, j’ai senti de l ’intérêt. En tout cas, on m’a appuyée.
Peut-être une question de confiance?
Je crois que tu as mis le doigt dessus. D’ailleurs, il y a eu un exercice qui a été fait en psycho… il y a une annonce publicitaire pour une job, alors il y a un gars qui regarde l’annonce. Lui il dit, OK, ça demande tant d’expérience, et il va dire: good enough, moi j’ai assez d’expérience pour ça, je pense que je suis un bon candidat, j’applique. La fille, même niveau d’expérience, va regarder la job et se dire: oh, je pense que je devrais faire une autre job avant parce que je ne suis pas assez qualifiée.
C’est la cérémonie des Oscars qui s’en vient, tes films préférés de 2013?
Aaaah! Mais je n’ai pas tout vu! J’ai tellement travaillé!
Je m’en doutais. OK, alors, qu’as-tu pensé des débuts hollywoodiens de Denis Villeneuve et Jean-Marc Vallée?
Je suis tellement fière de Denis et Jean-Marc, mais tellement! Ce sont mes amis, ça fait très longtemps qu’on se connait et tu sais, ça a l’air têteux, mais je trouve vraiment que Denis et Jean-Marc, les deux, sont arrivés à un sommet dans leur art et dans la réalisation. Jean-Marc, je pense que c’est son meilleur film [Dallas Buyer’s Club]. Pis lui est pas d’accord, mais moi je pense que c’est sa meilleure réalisation, avec rien [NDLR: le film a été tourné avec un budget de $5 millions]. Il a fait le montage. Le scénario est très bon aussi, excellente direction d’acteurs. Les acteurs se sont investis à fond, mais Jean-Marc y est pour quelque chose. Il a engagé un directeur-photo québécois, c’est vraiment bien fait.
Denis, je crois qu’avec ce film [Prisonniers] il est devenu plus raffiné, il a développé une élégance au niveau de la réalisation, c’est assez sobre. C’est un thriller, il aurait pu y avoir du sang, il aurait pu y avoir un jeu exacerbé. Le jeu est juste. J’ai pas vu le scénario, mais je suis certaine qu’il a bonifié le scénario au niveau des personnages. C’est vraiment bien fait, je suis super contente!
Est-ce que tu aspires aussi à Hollywood?
J’aspire à des bons films. On m’a offert dernièrement un film américain, j’ai dit non. Je me suis dit, « je suis conne de dire non ». Mais le scénario pour moi n’était pas à la hauteur, j’aime mieux travailler sur les films que j’ai en ce moment qui sont au Québec.
C’est comme ça que tu fais tes choix, par rapport au scénario?
Absolument. Si le scénario a une substance et que je sens que je suis à la hauteur pour aller mettre en scène cette substance, oui. Mais si je sens qu’il y a quelque chose qui est trop artificiel, je me dis, non, pendant un an et demi je vais travailler la dessus? Ça va m’aspirer et ça ne me donnera rien. Hollywood, ça peut aussi être des feux de paille. Je pense que tu veux raconter de bonnes histoires avant tout. En ce moment, je travaille avec un carré de sable au Québec et au Canada. J’ai un projet au Canada anglais qui s’appelle After The End, c’est l’adaptation du pièce de théâtre britannique écrite par Paul Gross et en se moment c’est Sarah Gadon qui est pressentie pour l’actrice principale. Alors on va voir ce que ça donne! Mais oui, j’aimerais tourner à l’étranger ou ailleurs, absolument!
Prends-tu des vacances avec tout ça?
Bin là, j’ai pris une journée dans le désert! Je trouve ça fabuleux! Faudrait bien que je prenne des vacances cette année, car les vacances c’est ce qui fait que tu reset et que tu peux être plus prolifique au niveau créatif par la suite.
Les frais de déplacements ont été couverts par Téléfilm Canada.