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Wendake

Mes racines, mon tronc, ma cime

Par
Louis-Karl Picard-Sioui
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Wendake : c’est là où sont mes racines, mon tronc, ma cime. En plein midi de mon existence, c’est toujours la seule place où j’ai habité. Ça surprend les gens, que j’aie passé toute ma vie sur une réserve. Je sais pas pourquoi. Moi, ce qui me surprend, c’est que beaucoup de monde de la ville — Québec, pas Montréal — ignore totalement où se trouve ma communauté. On avait l’habitude de dire que c’est à 15 kilomètres au nord-ouest de Québec, quelque part entre Saint-Émile, Neufchâtel pis Loretteville, mais à l’aube du 21e siècle, la colline a parlementé notre ghettoïsation pis a fusionné toutes les municipalités environnantes. Donc maintenant, pour trouver Wendake, on a juste à prendre une carte de Québec pis à chercher le trou d’une autre couleur. Non, pas le grand. Ça, c’est l’Ancienne-Lorette, la ville défusionnée. Nous, c’est le petit trou : la Jeune-Lorette, qu’on appelait autrefois Roreke, littéralement « Là où il y a Lorette », en parlant de la mission religieuse.

Ça surprend les gens, que j’aie passé toute ma vie sur une réserve.

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Toponymie fluctuante

Anecdote cocasse : avant d’être colonisée par des Français, l’Ancienne-Lorette était aussi un village wendat. Mais bon, comme la coutume voulait qu’on déménage les villages à tous les quinze ans, pis comme on commençait à être à l’étroit avec tous les migrants, on a déménagé pis fondé la Jeune-Lorette. C’était en 1697, pis visiblement les terres cultivables se faisaient rares dans la région, parce qu’on n’a pas bougé depuis. Ce n’est pas le cas de la toponymie : le « village des Hurons de la Jeune-Lorette » est devenu au fil des siècles le « Village-des-Hurons » pour sauver de la salive. Au moment de ma naissance, au zénith des années 1970, on disait juste « Village-Huron ». Dix ans plus tard, on bouclait la boucle en revenant à un toponyme dans notre langue : Wendake, « Là où sont les Wendat ». Pis c’est mieux de même, parce que personne ne veut du méchant mot en « H » dont nous ont accablés les colons. Autre anecdote cocasse : parfois, on entend encore certains Canayens dire « Les Hurons de l’Ancienne-Lorette ». Reality check : vous êtes en retard de 300 ans. Si ça peut vous aider à vous situer : L’Ancienne-Lorette a un aéroport international, pis nous, on a juste une piste d’hélicoptère.

Le site Onhoüa Chetek8e, c’est notre version locale du village québécois d’antan.

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Le Vieux et le Reste

Avant de vous faire faire le tour, il faut que je vous explique qu’il y a en fait deux Wendake : ce que l’office du tourisme appelle le « Vieux-Wendake », grosso-modo le quartier historique de Roreke, pis… le reste. Ce qu’on appelle le « haut du village ». Je vais pas vous entretenir très longtemps du Reste, parce que c’est l’extension banlieusarde de la première partie. Un quartier résidentiel nord-américain sans grand intérêt si tu ne connais personne. Bien sûr, nous, on connaît pas mal tout le monde, comme dans un petit village perdu de Gaspésie, sauf qu’on est en pleine ville. Bref, pas grand-chose à voir là pour le visiteur, sinon le site Onhoüa Chetek8e, notre version locale du village québécois d’antan. Je peux pas vraiment vous en parler, parce que les locaux ne fréquentent pas la place, mais je sais qu’ils ont un maudit beau resto là-dedans pis une boutique pour tous les budgets.

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Roreke

Le quartier Roreke, c’est autre chose. Le vieux village s’est construit sur les berges de l’Akiawenrahk, la rivière que les colons ont nommée Saint-Charles, même si personne sait c’est qui, au juste, et qu’il n’est jamais venu sur notre continent. Plus précisément, la communauté s’est développée aux abords de la chute Kabir Kouba et du canyon, barrière naturelle qui ceinture le village au Sud. J’ai passé mon enfance et mon adolescence sur le bord de la rivière, sur le sentier aménagé, puis du bord des Ursulines, à escalader l’escarpement sans regarder derrière. Tu repenses à ça une fois adulte, pis tu voudrais pas que tes enfants fassent des conneries de même. Pas pour rien qu’on a installé des clôtures. En haut de la chute, sur le bord du pont qui mène à Loretteville, il y avait l’ancien garage Beaulieu. C’était plus ou moins désaffecté; on rôdait là. Aujourd’hui, c’est la place Onywahtehretsih. On y trouve une fontaine pis des bronzes de Christine Sioui Wawanoloath, une artiste extraordinaire qui a illuminé ma jeunesse pis avec qui, une fois adulte, j’ai eu l’occasion de travailler à quelques reprises.

Les visiteurs n’ont pas l’air trop troublés par la vue qui donne sur un cimetière.

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De là, on aperçoit le siège de la mission précédemment citée, l’église Notre-Dame-de-Lorette. Les gens de l’extérieur appellent ça une chapelle, mais ici, on a toujours dit « l’église ». Mon grand-père était catholique, pis c’était acquis que si je dormais chez lui la fin de semaine, je devais me pointer à la messe de 11h le dimanche matin. J’ai changé de parcours religieux depuis, mais je dois dire que le bâtiment garde son charme, ne serait-ce que pour sa valeur patrimoniale. De chaque côté de l’église, on trouve des cimetières où résident tous nos Ancêtres qui sont partis vers le pays de l’Ouest au cours des 300 dernières années. On y trouve aussi un restaurant. Quand j’étais ado, c’était un casse-croûte rétro, Chez Yvan 1954. On y mangeait des pains chauds pour 50 cennes pis on flânait en attendant la bus (dans le temps, on n’en avait rien à cirer que c’était un mot masculin, « bus »). Le casse-croûte à Yvan n’est plus là, c’est devenu le restaurant Sagamité, avec cuisine inspirée de la tradition pis des sacrés bons déjeuners (je recommande le nid de canard). Les visiteurs n’ont pas l’air trop troublés par la vue qui donne sur un cimetière. Moi, ça me rend serein. Le lien avec les Ancêtres est quelque chose d’important, ici. Ils font partie de nos vies. Je suppose que c’est rassurant, cette continuité. Un peu comme Nancy, la sympathique serveuse qui y travaille depuis l’époque du casse-croûte.

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Landmarks d’hier et d’aujourd’hui

Quand j’étais jeune, on jouait aussi sur la track de chemin de fer, près de l’emplacement de l’ancienne gare Indian Lorette. À côté, il y avait la tannerie Cantin, où les gens de Québec se rassemblaient pour des combats de coqs clandestins. Ne cherchez plus : la track est devenue une piste cyclable pis la tannerie a disparu. Aujourd’hui, on y trouve plutôt notre musée national pis un hôtel quatre étoiles. C’est l’un des arrêts obligatoires pour tout visiteur.

La tannerie Cantin, là où les gens de Québec se rassemblaient pour des combats de coqs clandestins.0

Sinon, en gambadant le long du boulevard Bastien, on peut faire quelques découvertes. Les boutiques artisanales se font rares, le tipi de bardeau de cèdre à Max Gros-Louis est à l’abandon pis il risque de s’écrouler avant les tipis de béton de Mashteuiatsh (c’était une guerre perdue d’avance), mais il reste toujours quelques institutions, comme Art et artisanat Oki et Artisanat Gros-Louis. On y trouve aussi Kaia, une boutique de figurines pour les geeks. Steeve Gros-Louis, le proprio, est un fanatique de Star Wars qui collectionne les figurines dans son bunker depuis 1977. Ça, c’est de la passion.

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L’ancien bureau de poste est devenu la librairie Hannenorak, spécialisée en littérature autochtone. Le proprio, Daniel Sioui, a aussi fondé les éditions du même nom. C’est la seule maison d’édition autochtone francophone au Canada. Full disclosure : c’est aussi mon éditeur. Le club vidéo est devenu un magasin d’aquariums, pis la dompe où trônait la « Chaise du Yable » a été nettoyée pour accueillir l’amphithéâtre extérieur. À côté, il y a le seul bar de la réserve : le 1760 Bistro. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le numéro ne correspond pas à l’adresse civique. Notre coqueluche nationale, le grand bluesman Gilles Sioui, y jouait tous les jeudis soirs. Il est parti rejoindre les Ancêtres en juin dernier. C’est un vide pas facile à combler. Mais c’est comme pour le reste, le changement fait partie de la vie, faut s’adapter, même lorsque ça te déchire de l’intérieur. The show must go on.

Notre coqueluche nationale, le grand bluesman Gilles Sioui est parti rejoindre les Ancêtres en juin dernier.

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Allez, je vous laisse faire le tour pis explorer. Moi, faut que j’aille chercher du lait pour le bébé chez Ti-Phé. Pis je sais que des fois c’est plus long que prévu. C’est à peu près le seul endroit où les gens de la place s’arrêtent pour jaser. Faut dire que le dépanneur Alphé Picard dessert la réserve depuis 70 ans. Les temps changent, mais il y a des habitudes qui ne se perdent pas.

Önenh!

Pour poursuivre la lecture: «La Ville de la semaine : Petite-Vallée»