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Il est certes encore trop tôt pour pointer du doigt le vrai coupable de la catastrophe de Lac Mégantic, mais pas trop pour repérer les vrais trous de cul. Si elle était un gars, la compagnie Montreal Maine & Atlantic aurait exactement le profil de celui que tu veux pas présenter à ta sœur, ou même à ta pire ennemie.
Un passé trouble, un côté radin qui l’emmène à tourner les coins ronds, une fâcheuse tendance à jeter le blâme sur les autres avant même que les corps des victimes de son train ne soient refroidis, et, comme si ce n’était pas suffisant, un français désolant.
Il paraît qu’Ed Burkhardt, le président d’MMA, sauterait dans un avion aujourd’hui pour se rendre « le plus vite possible à Lac-Mégantic ». Déjà, on n’a pas la même définition de « vite », mais pour le reste, je crois que cette petite visite peut être l’occasion pour Ed d’apprendre quelques notions de français.
« T’attendre avec une brique pis un fanal ». Ça, mon Ed, c’est l’expression qui décrit le mieux comment les gens de Lac Mégantic ont hâte de te voir arriver avec ta belle feuille de route au cœur du ground zero que ton train de la mort a créé dans leur ville. C’est comme ça que tout le Québec t’attend, je dirais. Dis-leur avec fierté, comment tu as réussi à augmenter la productivité de tes rails en réduisant les coûts de production et en acquérant des beaux contrats de transport de matières dangereuses. Comme tu dis : j’espère qu’on ne te tirera pas dessus.
« Trop peu, trop tard ». Ça, Ed, ça veut dire que peu importe à quel point tu veux flasher que ton entreprise a les moyens de réparer ses torts grâce à sa grande réussite financière, on s’en fout. Même si l’enquête blanchissait MMA de toutes parts, on sait maintenant que vous êtes du genre à laisser des trains sans surveillance, à utiliser des vieux wagons légaux mais pas sécuritaires, à couper sur le personnel, à négliger la maintenance, à défendre l’indéfendable, à préférer nettoyer vos fuites de diesel qu’à les prévenir, à faire appel à Google Translate plutôt qu’à un traducteur compétent et respectueux, bref, à vous en crisser.
S’en crisser. À n’utiliser qu’au Québec. Cette expression, Ed, reflète à peu près l’attitude que ton entreprise semble adopter envers tout ce qui ne s’apparente pas à du profit. L’environnement, la vie, la nature, les gens, les belles choses, you don’t give a fuck, on dirait. Le contraire de « s’en crisser » est incarné dans la mairesse de Lac-Mégantic, madame Colette Roy-Laroche. Tu lui reproches de ne pas retourner tes appels? Si tu viens sur le terrain, tu comprendras que si elle ne te rappelle pas, c’est justement parce qu’elle ne s’en crisse pas. Elle a juste d’autres chats à fouetter.
Bouc émissaire. La seule chose positive à tirer du fait que MMA semble être le pire citoyen corporatif que le Québec ait connu est que ça vous donne le statut officiel de bouc émissaire : la personne sur qui on fait peser toute notre colère. Et ça, Ed, c’est super important dans le processus de deuil. On va pouvoir t’haïr très fort, et, en te faisant porter tout le blâme, on pourra mettre un peu d’ordre dans le chaos, se dire que tout n’est pas pourri, seulement une compagnie véreuse du Maine.
Parce que même si c’est pas vraiment de ta faute, blâmer les pompiers n’y changera rien. On ne tape pas sur un pompier : tout le monde aime les pompiers.