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Les clubs vidéo tombent comme des mouches ces temps-ci à Montréal. Personne n’a pleuré bien fort quand Blockbuster a fait faillite, mais quand c’est arrivé au tour du Septième, du Vidéo Beaubien et maintenant de la vénérable Boîte Noire, tout à coup, les chroniqueurs ont commencé à se faire aller le clavier.
Avant tout, cette manie d’argumenter avec la réalité me fascine. Comme si on pouvait convaincre la Boîte Noire de ne pas faire faillite si on disait assez de fois que c’est plate que plus personne n’aille louer de films, toute la faute à Netflix pis aux méchants pirates, mon doux, ça a pas de bon sens.
Mais on ne parle que très peu de la place des studios de cinéma dans cette grande débandade du cinéma-maison. En effet, pendant très longtemps, ils ont tenté de démoniser les cassettes VHS; on se rappellera de Jack Valenti, président de la MPAA, l’association des studios de production américains, déclarant le plus sérieusement du monde au Congrès américain que « the VCR is to the American film producer and the American public as the Boston strangler is to the woman home alone ». Puis, ce sont les clubs vidéo et enfin les services de streaming*, qui allaient sonner le glas des salles de cinéma, puis des studios qui produisent des films. Or, en fin de compte, c’est l’inverse qui se produit: les producteurs font des affaires d’or alors que ce sont les clubs vidéo qui disparaissent.
Ça revient au premier point de tantôt. Des fois, dans la vie, il y a des inventions qui changent pas mal tout à l’entour. Internet en fait partie. Les studios ont fini par comprendre (à peu près) et se sont dit qu’il valait probablement mieux être sur iTunes et Netflix que nulle part. Ça s’appelle « suivre sa clientèle », et c’est la même réflexion qui fait qu’il n’y a aucun Boston Pizza sur le Plateau mais au moins sept dans le 450-nord. Quand le proprio de la Boîte Noire dit, en 2013, qu’il est « un peu tôt » pour se tourner vers Internet, disons que la nouvelle de la faillite perd un peu de sa valeur-choc.
À travers tout ça, on assiste à une étrange glorification des inconvénients du club vidéo. Combien c’était donc bien formidable de se ramasser avec les restants (qu’on assimile aux « classiques ») parce que Godzilla ou Miss Personnalité 2 (Armée et fabuleuse) était déjà tout loué. À quel point c’était merveilleux d’être obligé de prendre son auto, de trouver un stationnement, d’essayer de trouver le film qu’on cherche dans une sélection parfois étrange et classée un peu bizarrement (« Non, je ne sais pas si c’est de Milos Forman ou de Roman Polanski, je veux juste voir Amadeus. Ah c’est classé dans musique, et pas dans drame? ») pour finalement repartir avec quelque chose qu’on n’avait pas envie de voir.
(D’ailleurs, je ne connais pas beaucoup de gens qui, ne trouvant pas Clueless, se sont rabattus sur un Fellini… Il y a pas mal plus de chances que le choix se porte vers quelque chose comme Spice World que sur Dune.)
Pour un kid de semi-banlieue comme moi, juste être obligé d’attendre l’autobus pour me rendre au Club International et en revenir, ça voulait dire que si je n’avais pas de lift, j’allais probablement laisser faire et me retaper ma bonne vieille VHS de Cheech & Chong, tant qu’à perdre une heure en transport.
C’est quoi cette idée d’être triste d’avoir accès à tout, sans se faire chier? Bien sûr, l’algorithme de Netflix n’est pas (encore) aussi astucieux que ton sympathique commis au Vidéo Beaubien, qui sait ce que t’aimes et qui te demande des nouvelles de ta famille. Mais il y a déjà longtemps qu’on n’achète plus ses clopes au magasin général, et je ne vois pas grand monde qui se promène encore avec la chemise déchirée de la fois où son beau petit Perrette a été remplacé par un Couche-Tard-qui-s’en-sacre. C’est, comme on dit, ça qui est ça.
Mais quand on dit que les (fameux) Jeunes De Nos Jours n’auront pas la possbilité d’acquérir une profonde culture cinématographique et un « respect du produit » (on se croirait aux Chefs), désolé, mais je débarque. Ce n’est pas avec la phrase « Le club vidéo ferme à dix heures, vite, faut choisir un film, shit je sais pas, j’vais prendre lui, d’la marde, anyways je vais m’endormir dessus » qu’on acquiert une quelconque estime pour le cinéma.
Mais, je vous entends crier: comment est-ce qu’on va faire, maintenant, pour savoir quels films regarder? Il y en a tellement!
Vous savez, même si vous n’avez plus accès à des personnes qui sont payées pour rester derrière un comptoir et vous suggérer quelque chose selon les vagues connaissances qu’ils ont de votre personnalité, vous avez encore des amis. Je suis certain qu’au moins un d’entre eux est fanatique de cinéma, c’est comme rien. Sinon, vous faites comme pour la musique (que ceux qui vont encore régulièrement chez HMV lèvent la main): vous lisez les critiques, vous vous fiez aux bandes-annonces, vous demandez à vos amis Facebook, ou vous cherchez parmi les milliers de blogues et de sites spécialisés.
Ça s’appelle de la curiosité, de la recherche et de la débrouillardise, et ça vous apprendra pas mal plus sur vous-mêmes et sur le cinéma que de ramener un Herzog à la maison comme une date de trois heures moins quart, parce que la seule copie restante d’Anchorman était en Blu-Ray.
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* Je ne sais pas s’il existe ou non un terme français pour streaming, mais connaissant l’OQLF, ça va être un genre de mot comme « vidéodisséminatique », ça fait que je vais laisser faire, en espérant que ça ne vous choque pas trop.
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