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Victoire historique pour le hockey féminin

Récit d’un record signé LPHF.

Par
Jean Bourbeau
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Les joueuses sautent sur la glace au son d’un remix techno de I’m Your Lady de Céline Dion. Il n’en fallait pas plus pour déclencher un tonnerre d’applaudissements dans la Place Bell.

Durant la période d’échauffement, les mères accompagnent leurs filles au pied des gradins, ceinturant la baie vitrée de jeunes yeux illuminés. À lire les affiches, les Québécoises sont leurs favorites.

Dans l’amphithéâtre plein à craquer de Laval, impossible de ne pas réaliser la prédominance des maillots arborant le numéro 29. Véritable icône nationale, Marie-Philip Poulin compte dans ses nombreux faits d’armes l’exploit unique de trois buts gagnants dans trois finales olympiques distinctes. Une légende vivante qui porte le « C » du capitaine sur la poitrine.

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Si sa popularité semble évidente, cela me rappelle l’anecdote d’un coéquipier qui travaillait au Sport Experts du centre-ville. Un jour, alors que le magasin était noir de monde, une jeune femme l’approche pour lui demander conseil. Il réalise, dans la consternation, que cette cliente n’est autre que Marie-Philip Poulin. « Crisse, la meilleure joueuse de hockey au monde était là, au milieu du magasin, et elle passait complètement inaperçue! À Montréal, la capitale du hockey! », reprochait-il à grands gestes en racontant son histoire dans la chambre.

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J’ai grandi à l’ère de Wickenheiser, Nancy Drolet et des gilets rouges emblématiques. Malgré leur domination sur la scène internationale, l’intérêt pour le hockey féminin retombe presque aussitôt qu’un nouveau cycle olympique se termine. Une grande fierté nous envahit lorsque notre équipe revient championne face à leurs éternelles rivales américaines, mais qu’en est-il de l’après?

Faisant suite à plusieurs initiatives de haut calibre, telles que les Stars, les Canadiennes et la Force, ultimement toutes trop fragiles sur le plan financier, un nouveau chapitre s’ouvre à Montréal avec l’arrivée de la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF).

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Établie dans six villes de hockey : Ottawa, Toronto, New York, Boston, Minnesota et Montréal, cette nouvelle ligue est détenue par le milliardaire américain Mark Walter, aussi copropriétaire des Dodgers de Los Angeles et de Chelsea FC, ainsi que par l’ancienne numéro un mondial de tennis, Billie Jean King. Les moyens de cette toute nouvelle ligue sont d’emblée plus prometteurs que par le passé où les joueuses ne recevaient aucun cachet.

Car faut-il l’avouer, le sport féminin professionnel est souvent sous-estimé. Notre société a été entraînée à considérer le sport masculin comme intrinsèquement plus captivant en raison de l’athlétisme supérieur des hommes. Une perception profondément enracinée et difficile à modifier. C’est en quelque sorte le défi auquel la LPHF est confrontée.

« Poulin n’est pas Crosby », ai-je entendu dans ma propre chambre de hockey.

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Pour l’instant, l’aventure semble être couronnée de succès. Un engouement qui se traduit par des matchs à guichets fermés, et, après sept matchs, l’équipe montréalaise occupe la première place du classement, tandis que Toronto ferme la marche. En somme, tout est en ordre.

À l’entrée, les vêtements de la boutique souvenir sont tant convoités qu’ils créent un engorgement proche de l’émeute, avec des rangées de fans désireux d’arborer le bourgogne de leur nouvelle équipe préférée.

On croise plusieurs petits pelotons de la même couleur, des équipes mineures féminines du Sud-Ouest, de Glengarry ou même, les Félines du Richelieu. On entend autant de français que d’anglais, et tous sont unis par l’amour du hockey et la tentation d’une poutine.

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Outre ceux de la beauceronne vedette, les maillots portés représentent toute une gamme d’équipes et de joueurs emblématiques : Manon Rhéaume du Lightning, les Nordiques, les Habs, Crosby ou Tim Stützle des Sénateurs, à juste titre accueilli par des huées. Plusieurs revêtent même leur propre jersey de Dek. Bref, une célébration du hockey dans son ensemble.

En prenant place, je réalise que mon billet à 32 $ offre un excellent rapport qualité-prix. Cela soulève un enjeu concernant les Canadiens, devenus un luxe hors de prix depuis trop longtemps éloigné de ses racines populaires. Avec l’inflation galopante, difficile de justifier le triple du prix pour être dans le pit.

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Le match contre Ottawa débute sur les chapeaux de roues dans une ambiance électrique. Le jeu est rapide et physique avec quelques bonnes mises en échec. Lorsque survient une escarmouche, la foule rugit d’excitation.

Étant donné que chialer fait partie intégrante du sport-spectacle, je demande à mes voisins de siège pourquoi n’y a-t-il pas de noms d’équipe. « Montréal contre Ottawa », ça manque d’originalité et surtout de panache.

Judith, une fan de hockey féminin de longue date, m’explique que les noms préliminaires – l’Écho de Montréal ou l’Alerte d’Ottawa – ont été largement critiqués par la communauté, car ils ne respectent pas les traditions du sport et ne sont pas clairement liés à leurs villes respectives. Pour la prochaine saison, de nouveaux noms seront donc envisagés.

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Dans l’assistance, y a-t-il plus de femmes que d’hommes? J’aurais tendance à répondre que oui. Beaucoup plus, même. Quand la foule se fait entendre, on peut distinguer une nette différence dans son timbre. Entre les périodes, les toilettes des hommes sont pratiquement vides contrairement aux files interminables pour celles des dames.

Quoi? On trouve des indices où l’on peut.

N’empêche, je serais un mauvais journaliste si je ne notais pas la présence très significative de la communauté LGBTQ+.

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Wendy et Heidi sont les fiers propriétaires de billets de saison et sont soulagées de voir enfin arriver cette équipe : « Il était temps! Et quel feeling de voir l’aréna aussi rempli! »

Julie m’apprend qu’elle a tatoué le logo des Canadiennes sur son épaule. « Je suis tombée en amour dès la première game. J’écrivais moi-même aux médias pour leur annoncer que Marie-Philip Poulin avait compté tellement ce n’était pas dans l’actualité sportive. Aujourd’hui enfin, les filles ont droit à la visibilité qu’elles méritent. Je suis tellement contente de voir les estrades pleines. »

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Même son de cloche chez son amie Soly. « Un spectacle qui se doit d’être démocratisé pour le futur de nos petites filles. Elles veulent jouer et évoluer. Voir ça, c’est très symbolique. Moi, j’avais pas ça quand j’étais jeune. Mon père ne voulait pas que je joue au hockey. »

L’écran géant au centre de la patinoire nous informe que le match vient de battre un record avec la plus grande foule de l’histoire du pays : 8 646 spectateurs. Établissant ainsi une nouvelle marque d’assistance pour un match de hockey féminin professionnel au Canada. La vague fait des tours sans effort.

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1-1, fin de troisième période. Dominée au chapitre des tirs au but, Montréal est sauvée par la gardienne Ann-Renée Desbiens qui multiplie les arrêts spectaculaires. Une ovation retentit pour saluer son brio.

Certes, il n’y a pas de défenseur format géant ou de gros one-timer sur l’avantage numérique, mais il y a une proximité avec la LNH. Ce moment où Desbiens, sans son masque, se découvre à l’écran et esquisse un sourire sous les acclamations de la foule capture toute la magie du sport.

Le match se conclut en prolongation, à la suite d’un jeu très excitant sous la formule 3 contre 3. L’attaquante Maureen Murphy devient l’héroïne du jour et l’aréna explose. Montréal demeure au sommet.

Un spectacle à couper le souffle.

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Les gens quittent, le sourire fendu jusqu’aux oreilles alors qu’une séance d’autographes attire des centaines de partisans. Les yeux des jeunes filles s’emplissent d’eau alors qu’elles se font demander leur nom par les joueuses en gougounes.

Je rentre dans le métro en souhaitant que l’enthousiasme pour la LPHF puisse persister au-delà de l’aspect événementiel de sa première saison, surtout en considérant l’émerveillement des jeunes hockeyeuses présentes. Les générations futures ont besoin de modèles auxquels s’identifier et de rêves à poursuivre, et c’est exactement ça que cette ligue leur offre.

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Cette victoire de 2-1 un samedi après-midi revêt bien plus qu’une simple addition de trois points au classement. C’est une victoire significative pour le sport et la société. La culture du hockey en est le plus grand bénéficiaire.

Et qui sait, peut-être que les gens reconnaîtront enfin Marie-Philip Poulin dans la rue.

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