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Veuillez quitter immédiatement, merci

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Un beau matin, ton cadran sonne. Tu te lèves, tu te fais craquer le dos, tu manges ton beurre de cajou et tu te fais la belle coiffure que t’as vue sur Pinterest. Cette journée est remplie de promesses. Si l’on fait fi du fait que dans deux heures, tu vas perdre ta job.

Bon matin.

Ce sont, j’imagine, les douces paroles que tes collègues de travail t’adressent quand ils vous voient entrer au bureau, toi et ta tresse complexe. J’imagine, parce que la vie de bureau, je connais peu. Et à la lumière de l’infinie délicatesse avec laquelle ma chum de fille est passée d’employée du mois à fétide bubon de peste à éradiquer par le feu en émettant le son d’un homard qui plonge dans le bouillon, je me trouve plutôt veinarde, finalement, de travailler à mon compte, collée sur mon chien frisé et sans patron aux sourcils en accents circonflexes.

Quand elle est rentrée au bureau hier matin, mon amie (appelons-la Drew, puisqu’elle m’a toujours fait penser à Drew Barrymore et que c’est une personne MERVEILLEUSE. Comme Drew et ses lulus qui retroussent avec des rubans en laine dans E.T.) Drew, donc, ne se doutait pas le moindrement du monde qu’on la convoquerait aux ressources humaines.

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On ne m’a jamais convoquée aux R.H. (à me lire, on croirait que je suis jamais sortie de chez moi. C’est faux: hier, j’ai dû sortir sur mon palier pour payer le livreur de chinois). Mais si on me convoquait aux R.H., j’aurais la glotte nouée. Des calculs au foie. J’aurais peur d’avoir souligné les mauvaises affaires avec le mauvais marqueur dans le rapport annuel. De me faire exécuter. JE-LE-SAIS-TU, J’AI PEUR DE TOUTE.

Pas Drew.

Parce que le patron de Drew lui avait fait miroiter une promotion et qu’elle brillait au sein de l’entreprise. Je le comprends; Drew assure grave (et elle a quand même joué dans Mad Love avec Chris O’Donnell). Mais Drew était loin d’être en route pour imprégner ses petites mains dans le ciment du Walk of Fame du bureau, quand on l’a convoquée. Non. On avait plutôt prévu un truck qui lui passerait sur le corps, suivi d’une claque sua yeule et d’un petit goût de revenez-y donc pas, avec une petite pincée de sel.

Hier matin, Drew avait à peine posé sa formidable robe du jeudi sur le fauteuil de vachette du bureau des R.H., qu’on lui annonçait que son poste était coupé. PAN. Boule de billard dans la gorge. Coup de poing dans les seins. Elle entendait des sons émaner de la petite bouche rougette de la bonne dame qui lui expliquait qu’elle n’avait commis aucune faute, mais que pour telle et telle raison sterling que personne n’a vue venir, blame it on the économie de Mickey Mouse, c’est terminé. Finito pépito. Arrivederci.

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Déjà là, ça te coupe le Jive Bunny. Mais ce n’était pas terminé.

Parce que Drew travaillait dans l’une de ces prestigieuses entreprises qui ont la mise à pied chic. C’est qu’il y a protocole. Ainsi, une fois les excuses human prononcées par la dame au rouge à lèvres qui dépasse, un homme est entré dans le bureau.

Une escorte.
Pas de type F1 avec une jupette à frills. Plus de type avec une lampe de poche de trois pieds au ceinturon, des bottes à caps et une belle blouse avec une patch autoritaire.

« Je vais vous escorter à l’extérieur, mademoiselle »

Ah, bon.

Drew est le genre de fille à qui on ne la fait pas (eh qu’elle va être heureuse de lire ça, ma Drew). Le genre d’Amazone qui ne s’en laisse pas imposer et qui ne se voûte pas, dans des situations où j’aurais déjà établi mon camp de base dans les jupes de ma mère. Ne l’escorte pas qui veut, patch autoritaire ou pas.

Mais cette fois, c’était marge de manœuvre-less. Parce que c’est ainsi que la boîte procède. Tu perds ta job: tu quittes immédiatement les lieux et va pas essayer de te verser un dernier petit cône à la machine à eau parce qu’on va te la pomper du casseau, avec la Dyson à reverse, s’il le faut. Tu créeras pas à ça.

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Drew a donc rassemblé ce qui lui restait de contenance et s’est levée calmement, tête haute, et a suivi le monsieur autoritaire. Pas le droit de passer à son bureau pour ramasser son liquid paper ni la photo de son chum. Pas de sortie solennelle avec sa plante grasse et sa dignité dans une boîte en cartron.

Tu. Sacres. Ton. Camp.
MAINTENANT.

Et tu vas me faire une croix sur cet espèce d’espoir fantasque de dire au revoir à tes collègues de travail. Tu sais, ceux que tu côtoies chaque jour depuis deux ans. L’idéal, en fait, serait que tu te sacres par la fenêtre. Comme ça, tu risquerais pas de souiller nos marches avec ta mise à pied pis tu disparaîtrais de notre champ de vision plus vite.

Auqué.

Voulez-vous bien me dire, pour l’amour du saint ciel, comment est-ce qu’une entreprise peut traiter ses employés, des gens qu’elle a choisis, promus, avec qui elle a organisé des potlucks et en a viré une salée au parté de Noël de si odieuse façon? C’est quoi, ce plan de pauvre?

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Que Drew ait vu son poste coupé, c’est vraiment dommage. C’est une catastrophe.
Mais ce sont des choses qui arrivent.

Que Drew ait dû quitter le bureau escortée par un agent de sécurité comme si elle venait de voler une paire de gants ou qu’elle avait fomenté un revival du Watergate, je ne capte pas.

Qu’on ait ramassé son sac à main pour elle parce qu’il était certainement pas question qu’elle repasse par son cubicule une seule sainte-bénite de seconde, je ne capte pas.

QU’ON AIT REFUSÉ QU’ELLE RÉCUPÈRE SES TUPPERWARE QUI SÉCHAIENT DANS LA KITCHENETTE, JE NE CAPTE TOUJOURS PAS (va falloir sortir les marionnettes).

Ses tupperware, calvaire. On lui a formellement interdit d’aller les chercher. Formellement. Sans doute pour éviter qu’elle y fabrique une bombe artisanale avec un bas de nylon, des graines de chia et une traître vesse.

Quand on t’humilie de la sorte et que t’as plus l’ombre d’une loyauté ou d’un regard complice auxquels t’accrocher, ben tu t’accroches à ton plat de fusillis PARCE QUE C’EST TOUT CE QU’IL TE RESTE, À L’OMBRE DE SHAWSHANK ET DE L’ÉPERVIER.

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Ce qui est formidable, c’est qu’il semblerait que cette élégante technique de renvoi soit employée dans bon nombre d’entreprises bien de chez nous. Elle l’était d’ailleurs dans ce grand magasin à rayons où je travaillais, jadis. Je me souviens qu’après les fêtes, le téléphone se mettait à sonner aux caisses. Tout le monde serrait les fesses. Si on appelait ton nom, tu montais l’escalator et tu revenais jamais. Comme si, en haut de l’escalier, tu tombais dans un ravin rempli de hyènes, de désespoir et de Kaïn qui a fini de se démarquer.

C’était comme ça. Pour éviter les scènes. Les adieux disgracieux. Les épanchements de l’être humain de base qui, à la moindre contrariété, défèque en sundae sur la moquette fraîche neuve en vociférant des menaces en Esperanto, portrait de Maître Goldwater brandi. Allez savoir.

Dans le cas de Drew, vous me direz que c’est chose courante dans les grandes entreprises, pour éviter que le sacré-dehors ne saccage les latrines ou ne quitte avec un floppy disc rempli de données qui causeront un crash boursier ou un fuck avec le Wi-Fi.

Je m’en tamponne le coquillard.

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Ce qui ne m’entre pas au cervelet, c’est la technique. L’humiliation et surtout, cette froideur.
Quand tout ce que t’as fait, au fond, c’est d’être sacrément agréable avec ta tresse française et tes compétences transversales.

T’es pas une tabarli d’orchidée en plastique.
T’es une personne. Et une sapristi de bonne gensse, à part ça.

Je taperai du pied comme le jeune Josué qui refuse de prendre son bain jusqu’à ce qu’on m’explique. Et à toi, ma Drew qui n’a pas eu droit d’émettre ni son ni vent à ton éviction hier, je dédie ce gif.

Je l’ai placé un peu plus bas, parce que lire avec ça qui grouille, c’est bien achalant.

Un peu comme ce qui t’est arrivé.

La bise.

********** KEIN, MA NOUARE *********

***

Pour lire un autre texte de Catherine Ethier : “Le droit d’être ‘so-so'”

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