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Véro et les jeunes : « Je ne tiens jamais pour acquis qu’on me connaît »

Retour sur le « Vérogate » avec la principale intéressée. 

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« C’est une politicienne, me semble… »

À table au souper, mon ado tente une réponse à la question : « Tu sais c’est qui, toi, Véronique Cloutier? »

Ma fille de dix ans aussi a des points d’interrogation dans le visage à l’évocation du nom d’une des personnalités chouchoutes de la télévision québécoise, dans le paysage médiatique depuis une trentaine d’années. « Mais je connais Révolution et j’adore les Twins! », mentionne-t-elle, comme pour se racheter.

Si je leur demande ça, c’est parce j’ai lu avec grand intérêt il y a quelques jours cette chronique de Marc Cassivi dans La Presse au sujet d’une étude menée par des enseignantes de Jonquière sur les habitudes médiatiques et culturelles de leurs élèves, après avoir constaté que personne de leurs groupes ou presque ne connaissait Véronique Cloutier.

Un constat surprenant, surtout parce qu’il s’agit d’étudiant.e.s inscrit.e.s en télé à l’École supérieure en Art et technologie des médias (ATM) du Cégep de Jonquière, donc qui se destinent à des carrières dans les médias.

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Un peu comme si des étudiant.es de l’ITHQ ou de l’INIS n’avaient jamais entendu parler de Ricardo ou de Denis Villeneuve.

« C’est peut-être aussi le symptôme d’un phénomène plus inquiétant : le désintérêt généralisé des jeunes pour la culture populaire québécoise », suggère Marc Cassivi, pour qui les conclusions de l’étude des profs de l’ATM constituent une « nouvelle confirmation de la netflixisation de notre culture et du fait que le jeune public préfère les plateformes américaines aux plateformes québécoises comme Tou.tv et Club Illico. »

Une théorie intéressante, se confirmant aussi auprès de mes enfants, qui semblent avoir tourné le dos à nos icônes culturelles locales au profit de TikTok, des youtubeurs au succès planétaire ou de Cobra Kaï.

J’ai voulu entendre la principale intéressée là-dessus, lui demander ce que ça lui faisait d’être devenue du jour au lendemain le visage du déclin de la culture queb chez les jeunes.

J’ironise, bien sûr, mais bon, j’étais quand même content que Véro me coince un moment dans son horaire surchargé.

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Je me présente donc jeudi à la station Rouge FM, tout juste avant qu’elle n’entre en ondes à la barre de sa populaire émission Véronique et les Fantastiques.

L’ancienne animatrice de La Fureur m’accueille chaleureusement. C’est la première fois que je la rencontre en trois dimensions, mais j’ai l’impression de la connaître depuis toujours.

Je l’appelle d’ailleurs Véro sans vergogne, en plus de la tutoyer comme si on avait élevé les cochons ensemble.

Elle revient d’entrée de jeu sur la première chronique portant sur le sujet qui m’amène, écrite par son chum dans le magazine Véro (toute est dans toute) à la fin août. « Qui est Véronique Cloutier? », demandait Louis Morissette, une manière accrocheuse de partager son inquiétude envers l’avenir des contenus culturels québécois et d’essayer de comprendre pourquoi les jeunes délaissent nos méga-vedettes d’ici au profit des géants américains.

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« Nous voilà dans les années 2020 et un nombre important de jeunes parlent couramment l’anglais. Mes propres enfants communiquent dans les deux langues avec pour résultat que, dans ma propre maison, je perds régulièrement la bataille contre les grandes plateformes comme Netflix ou Amazon. Plan B ne fait pas le poids contre Stranger Things. Si Véro a de la difficulté à maintenir l’intérêt de ses propres enfants pour une CHAÎNE QUI PORTE SON NOM, je suis bien inquiet de l’intérêt que portent à notre travail les jeunes de Laval, de Sainte-Julie ou de Beauport », écrivait Louis Morissette.

« J’ai reçu plusieurs messages d’étudiants qui m’ont dit qu’ils me connaissent. En plus, j’ai souvent participé à des conférences à l’ATM. »

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Un peu mal à l’aise au départ à l’idée de se ramasser porte-étendard d’un sujet aussi sérieux, Véro comprenait l’idée derrière cette chronique et en partageait les constats. « Le texte a suscité des discussions intéressantes, quelques débats, mais rien de majeur toutefois », souligne celle qui n’a pas assez de doigts ni d’orteils pour compter tous les trophées et récompenses reçus durant sa fructueuse carrière.

Après une accalmie, les répercussions ont été nettement plus virulentes après la publication du texte de Marc Cassivi, confesse l’animatrice. « Là on me taguait partout, j’étais devenue de la chair à canon pour mes détracteurs », raconte Véro.

« Véronique Cloutier? Ce n’est même pas de la culture! », persiflait-on à l’endroit de l’animatrice, qui avoue se ramasser au cœur d’un débat la dépassant un peu.

Ça fait beaucoup d’attention à gérer en peu de temps, si on ajoute le stunt bizarre de Guillaume Lemay-Thivierge lors du gala des Gémeaux qu’elle animait il y a deux semaines.

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À ce sujet, Véro n’a pas envie de casser du sucre sur le dos de l’animateur de Chanteurs masqués, évoquant simplement un geste malhabile. « Quand t’animes un gala, t’en veux, du pétillant, des moments décoincés, j’ai pas de problème quand quelqu’un fait ça. Mais si tu le fais, sois drôle, pertinent ou touchant », souligne Véro, sous-entendant qu’aucune de ces cases n’a été cochée ce soir-là.

Quant à son « anonymat » chez les jeunes, Véro prend l’étude menée par les profs d’ATM avec un grain de sel. « J’ai reçu plusieurs messages d’étudiants qui m’ont dit qu’ils me connaissent. En plus, j’ai souvent participé à des conférences à l’ATM, dont une il y a deux ans », nuance-t-elle.

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Au micro de Patrick Lagacé au 98,5, une étudiante du cégep a aussi remis les pendules à l’heure concernant l’étude de son enseignante.

« Tout le peuple québécois connaît Véronique Cloutier, même nous. Oui, même nous. Comment manquer sa présence? Elle est partout, à la télévision, à la radio, dans nos journaux, même dans ma salle de bain. Son travail reste remarquable, oui, mais la réalité reste que nous ne sommes pas son public », a expliqué Julianne Doucet, déplorant le fait que certaines personnes semblent voir d’un mauvais oeil le fait de ne pas « s’identifier à une animatrice de 47 ans quand on en a 20 ».

The girl from Musique Plus

Cela étant dit, Véronique Cloutier n’est pas en train de frôler la dépression parce que des jeunes ne savent pas qui elle est.

Ce n’est quand même pas la première fois qu’elle vit le feeling. « Quand je rentre dans une boutique du centre-ville, à l’ouest de McGill College, on me dit « Bonjour-hi » et je n’existe plus », assure-t-elle.

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Elle vient d’en avoir à nouveau la démonstration dans le dernier vox pop de Guy Nantel (un gros mois pour Véro, je disais!), dans lequel des étudiant.e.s anglophones se grattent la tête devant une photo d’elle.

« Quand un anglophone de plus de 30 ans me reconnait, il me dit : « Oh my god, you’re the girl from Musique Plus! », mentionne-t-elle.

Pour toutes ces raisons, Véro refuse de s’asseoir sur sa notoriété. « Quand je rentre dans une pièce, dans une soirée-bénéfice ou ailleurs, je ne tiens jamais pour acquis qu’on sait qui je suis. Je me présente toujours, même si 98 % des gens me disent : “Ben là, je te connais!” »

« Je me présente toujours, même si 98 % des gens me disent : “Ben là, je te connais!” »

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Ce n’est quand même pas d’hier qu’elle se pose des questions sur sa place dans le paysage artistique. D’ailleurs, l’émission Le Verdict, qu’elle a animée deux saisons, est née d’un sondage qu’elle avait commandé sur sa propre notoriété, durant une période où elle se posait des questions sur la trajectoire de sa carrière. « Dans ce sondage, 97 % des personnes sondées me connaissaient », précise-t-elle. Dans l’émission Le Verdict (2010-2011), Véronique Cloutier collaborait avec une firme de sondage pour connaître la perception du public sur des personnalités connues.

Si Véro dit avoir ri toute la semaine des proportions que prenait ce « Vérogate », elle prend très au sérieux la défense de la langue et la préservation de notre culture.

La création de sa chaîne Véro.TV répond d’ailleurs à une volonté d’offrir une saveur surtout locale en contrepoids aux plateformes américaines.

Malgré son apparente humilité et son autodérision devant des enjeux aussi importants, on aurait néanmoins tort de penser que la notoriété de Véronique Cloutier est insignifiante ou ne verse que dans le divertissement.

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Suffit de penser à sa série documentaire Loto-Méno diffusée l’an dernier, qui a causé un électrochoc au sein de la population au point de faire bouger le gouvernement en rendant deux médicaments disponibles pour toutes les femmes et couverts par la RAMQ. « Mais je l’avais pas fait pour ça. J’étais juste tannée de souffrir et que personne ne comprenne pourquoi », confie-t-elle candidement.

« On a un rôle à jouer là-dedans »

En ce qui concerne la jeunesse, Véro refuse de jeter la serviette. Elle croit que la responsabilité d’intéresser les générations qui nous suivent à notre culture incombe à tous et à toutes. « Les jeunes ont une ouverture sur le monde au complet. On a un rôle à jouer là-dedans et ça commence à la maison », souligne Véro, qui estime que c’est aussi normal à l’adolescence de s’affranchir des intérêts de ses parents. « Mon fils a un ami musicien qui l’a amené voir de l’opéra dernièrement. Si j’avais voulu l’emmener voir la même chose, il aurait roulé des yeux », illustre-t-elle.

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Pour demeurer dans le coup, Véro ne cache pas aimer s’entourer d’artistes qui ont la cote chez les jeunes, comme Arnaud Soly, Pier-Luc Funk et Pierre-Yves Roy-Desmarais aux Fantastiques, ou encore l’humoriste Mathieu Dufour, avec qui elle a maintes fois collaboré durant la pandémie.

« Je cherche toujours à me renouveler, j’ai pas 47 ans dans ma tête! », s’exclame-t-elle, ajoutant ne pas avoir peur de vieillir pour autant.

Au contraire, Véro a encore le feu sacré, n’a nullement envie de puncher sa carte dans l’horodateur du showbizz. « Je suis tout sauf une puncheuse », tranche-t-elle avec aplomb, se disant plutôt en mode solution pour trouver des moyens de sauver la télévision du péril qui la guette.

Hélas, personne n’a à ce jour trouvé la recette magique à cette menace. Pendant ce temps, le fossé continue à se creuser entre la télé et le web.

« Les gens qui écoutent la télé sont plus vieux et sont là pour quelques années encore, alors la seule chose à faire en attendant est d’essayer de rajeunir l’antenne en attirant des jeunes dans ce format. »

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« Les gens qui écoutent la télé sont plus vieux et sont là pour quelques années encore, alors la seule chose à faire en attendant est d’essayer de rajeunir l’antenne en attirant des jeunes dans ce format », souligne Véro, consciente que c’est une lame à deux tranchants, puisque les jeunes perdent ainsi souvent de leur spontanéité pour cadrer dans des formules vieillottes et ne pas faire fuir un auditoire plus âgé. « On ne pourra pas faire une demi-heure avec des TikTok de 45 secondes non plus, quand même! »

La télévision et l’ensemble de la culture risquent de subir encore moult transformations au cours des prochaines années. Véro vivra tous ces chantiers, elle qui aura aussi connu l’âge d’or de la télévision, cette époque pas si lointaine où on pouvait élever des rendez-vous devant le petit écran au rang de phénomènes de société. « Imagine quand j’étais jeune, l’émission Les Tannants attirait deux millions de personnes devant leur télé à 17 h, au point d’avoir modifié l’heure de la traite des vaches… »

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Parmi les pistes de solutions, Véronique Cloutier croit qu’il faut revoir la manière de mesurer les cotes d’écoute, qui ne collent plus à la réalité. « Il faut tenir compte des rediffusions et du rattrapage, puisque ce n’est pas le contenu, mais la manière de le consommer qui a changé », croit l’animatrice, convaincue que niveau talent, « le Québec accote n’importe qui dans le monde ».

L’entrevue se termine, Véro a une émission à animer.

Pour contribuer à sa réhabilitation chez les jeunes, elle se prête gentiment au jeu de mes questions nounounes pour une vidéo TikTok.

Avant de partir, Véro me dit qu’elle aime bien ce que je fais et qu’elle m’entend parfois à la radio.

Je sors de la station en bombant le torse.

Ça m’est égal si les jeunes ne savent pas qui est Véro : l’important, c’est que Véro sache qui je suis.

@hugo.meunier Les jeunes ne savent pas qui est Véro, mais est-ce que Véro connaît les jeunes? Réponse ici: #fyp #veroniquecloutier #television #vedettequebecoise #questionnaire #quebec #montreal @URBANIA @cloutierv ♬ It is a looped file of 3 minutes and 29 seconds.(1066513) – Clar Music
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