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Vendre des sapins et semer de la lumière dans le Centre-Sud

Ce n'est pas juste un arbre, c'est aussi un projet.

Par
Laïma A. Gérald
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« Mon père gérait la vente de sapins au Marché Atwater en 1945. »

« Moi, c’est ma grand-mère qui vendait des sapins. Elle vendait 1 000 arbres par année, sur la rue Laurier. Le monde négociait ça 75 cents l’arbre. Moi je faisais la livraison après l’école. Je faisais 10 sous de l’arbre, pis je recevais ma paie le 24 décembre. »

« Dans le temps, j’étudiais mes examens d’université dans une roulotte au carré Saint-Louis, entre deux clients. »

« On a une belle année, cette année. Y’a pas trop de neige pis pas de grosse pluie. Une année, il mouillait tellement que je livrais mes sapins avec mon habit de pêche! »

Quand j’arrive à la sapinière du Centre-Sud pour rencontrer Maxime St-Denis, le gérant, je surprends cette conversation à saveur nostalgique entre trois professionnels de l’industrie du sapin. « Tu as bien choisi ta journée, ça va te faire de belles anecdotes pour ton article! » me lance Maxime, avant de m’offrir une tasse de café pour me réchauffer. L’odeur des sapins mélangée à celle du café, doublée de la musique de Noël en trame de fond, me rappelle les matins de Noël de mon enfance.

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Mon beau sapin

Ça fait 15 ans que Maxime St-Denis vend des sapins dans le quartier Centre-Sud. « À l’époque, j’habitais dans le quartier (j’y habite encore d’ailleurs), je travaillais à la fruiterie du marché Saint-Jacques et un jour, j’ai vu le vendeur de sapins venir s’installer. Je me suis proposé pour l’aider les fins de semaine. J’ai fait ça pendant 4 ou 5 ans, le temps de mes études au CÉGEP et à l’université » m’explique Maxime.

Maxime St-Denis, après avoir travaillé pour le Carrefour alimentaire Centre-Sud et le Marché solidaire Frontenac, a décidé de poursuivre dans la vente de sapins, et de relancer le projet dans le quartier. Ça fait maintenant 4 ans qu’il est gérant de la sapinière du Centre-Sud.

«Une roulotte Vintage et un foyer à bois fumant donnent l’impression d’être chez quelqu’un qui nous a invités à venir nous réchauffer.»

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« Depuis 1945, la vente de sapins se faisait sur la place du marché Saint-Jacques, aux coins Atateken et Ontario. Mais depuis qu’un promoteur immobilier a repris le bâtiment, on s’est pas mal promené. Cette année, la sapinière est installée aux coins St-Hubert et Ontario, juste à côté du bar Cheval blanc, qu’on aime beaucoup. C’est un lot qui appartient à l’organisme Spectre de rue, qui nous loue l’espace. On est vraiment bien ici » affirme celui qui travaille comme horticulteur dans une entreprise qui conçoit des toits verts, le reste de l’année.

Il m’explique également qu’il a choisi de verser 1$ par sapin à Spectre de rue, un organisme qui vise à sensibiliser et éduquer la population à la réalité des personnes marginalisées afin de favoriser la cohabitation. De plus, Maxime engage des jeunes de l’organisme, situé un peu plus loin sur Ontario, pour lui prêter main forte au service à la clientèle et à la fabrication de décoration.

La lumière dans la grisaille

« Bonjour, j’aimerais avoir un sapin Fraser pour mettre sur une table s’il vous plaît. » demande une dame avec une poussette, qui vient d’entrer dans la sapinière.

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J’en profite pour explorer les lieux. Des sapins de toutes les tailles, des branches en bouquets, des couronnes ornées de fleurs séchées et des décorations colorées sont disposés dans l’espace. Une roulotte et un foyer à bois fumant donnent l’impression d’être chez quelqu’un qui nous a invités à venir nous réchauffer. Si Maxime ne dort plus sur place, il passe tout de même 14 heures par jour sur la sapinière.

«Il y a quelque chose de particulier d’être en train de fendre du bois, en plein centre-ville.»

« Il a quelque chose d’un peu folklorique à voir le vendeur de sapins débarquer chaque année, avec sa roulotte vintage et ses arbres, constate Maxime. En amenant nos sapins, on amène un peu de verdure dans la grisaille de novembre. On met des lumières et ça égaie la rue. Notre set-up est vraiment pas léché, mais je pense que c’est ce que le monde aime. C’est vraiment une bulle qu’on crée et ça fait plaisir aux gens qui viennent nous voir, année après année. »

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Maxime me confie également qu’il se considère privilégié de faire partie de la vie des gens, pendant quelques semaines circonscrites « Il y a quelque chose de particulier d’être en train de fendre du bois, en plein centre-ville. Les gens qui passent me font des clins d’oeil, m’envoient la main, me sourient. Chaque matin, je vois les mêmes passants, je connais leur horaire de travail. Je connais aussi l’horaire de marche des petits vieux, la routine des voisins, j’appartiens vraiment à la communauté et j’adore ça. Il y a même des familles que je vois depuis 15 ans. Les enfants sont rendus adultes, certains s’achètent leur propre sapin pour leur appart. C’est beau de voir les gens évoluer et grandir » ajoute Maxime, qui adore prendre le temps de discuter avec les gens qui passent à la sapinière.

Bien plus que des sapins

L’activité principale de la sapinière est évidemment de vendre des sapins, mais aux yeux de Maxime St-Denis, c’est bien plus que ça: « C’est le moment où je suis le plus émotif dans l’année, me confie Maxime, visiblement ému. J’ai du temps à accorder à des réflexions humaines, du temps pour lire, pour m’ennuyer, pour partager le quotidien des gens. Une année, il y a un itinérant qui a passé l’hiver avec moi. Il avait son petit spot la nuit. Le jour, on jasait, il profitait du feu. Sa présence m’a énormément touché et ça a beaucoup de valeur à mes yeux. »

«Oui, les gens viennent acheter un sapin, mais ils viennent aussi dans l’espoir de réaliser un projet.»

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Après avoir vendu un sapin Baumier de 6 pieds à un jeune homme avec une tuque de père Noël, Maxime ajoute qu’il ressent beaucoup de fierté lorsqu’il aperçoit ses sapins illuminés par les fenêtres des maisons et ses couronnes sur les portes, en rentrant chez lui le soir, à 21h. « Oui, les gens viennent acheter un sapin, mais ils viennent aussi dans l’espoir de réaliser un projet. Parfois, c’est un jeune couple qui vient chercher son premier sapin, parfois c’est une famille qui s’apprête à célébrer le premier Noël de leur enfant, une personne seule ou alors, des personnes âgées qui habitent dans le quartier depuis 50 ans. C’est un privilège de les écouter, cerner leurs besoins et les accompagner là-dedans » affirme Maxime, en souriant.

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Noël pandémique

« Salut Max, je vais te prendre d’autres branches pour installer devant le resto, s’il te plaît! » C’est Jérôme du restaurant Au Petit Extra, qui vient s’approvisionner en décorations de Noël. Il me sourit et quitte la sapinière en coup de vent, aussi vite qu’il y est entré.

«Les Fêtes sont annulées, donc les gens font un genre de statement en créant la magie de Noël dans leurs maisons»

« Cette année, c’est un temps des Fêtes particulier avec la pandémie. En fait, je n’ai jamais vendu mes sapins aussi vite, explique celui qui vend en moyenne 800 sapins par an. Comme les gens doivent rester chez eux et qu’ils se rassemblent nettement moins cette année, des gens qui n’achetaient pas de sapin d’habitude se mettent à en vouloir. Les gens qui allaient normalement dans leur famille pour Noël, les étudiants étrangers, etc. vont être chez eux le 24 décembre, donc ils veulent se faire un sapin à la maison. Les Fêtes sont annulées, donc j’ai l’impression que les gens font un genre de statement en créant la magie de Noël dans leurs maisons. Et en venant ici, ils choisissent d’acheter leur arbre dans un commerce de proximité et de nous encourager. Ça me touche beaucoup. »

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Comment Maxime sait-il qu’il vend des sapins à des gens qui n’en font pas d’habitude? « Mon vox pop maison, c’est le nombre de bases que je vends. Quand les gens n’ont pas de base, c’est souvent des nouveaux “faiseurs” de sapins » m’explique-t-il, amusé.

Si Maxime vend généralement des sapins jusqu’à Noël, il a déjà presque fini d’écouler son stock, au moment d’écrire ces lignes: « Normalement, on est ouvert jusqu’à la veille de Noël, mais cette année, je pense qu’on va finir à la mi-décembre, donc il faut se dépêcher! »

Tenez-vous-le pour dit, cette année, les sapins partent comme des petits pains chauds.

En rentrant à la maison, les doigts gelés et le sourire aux lèvres, je passe devant le Petit Extra. Jérôme est en train d’installer les branches de sapins qu’il vient d’acheter, de l’autre côté de la rue. Comme dirait Maxime « Ça met un peu de douceur dans la grisaille et ça réchauffe le coeur. ».