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Robert Perron m’ouvre la grande grille en fer forgé menant au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. L’obscurité est tombée, sauf pour quelques bâtiments qui diffusent un éclairage faiblard sur le vaste site.
C’est par le truchement des phares du véhicule de Robert que nous arpenterons ce soir le cimetière de 343 acres du quartier Côtes-des-Neiges, fondé en 1854.
Depuis dix-sept ans, ce contremaître des opérations multiplie les rondes de jour, de soir et de nuit pour s’assurer que personne ne perturbe le repos éternel des locataires de l’endroit, dont le nombre s’élève à plus d’un million.
Est-ce que les morts-vivants sortent de la terre, le 31 octobre? Est-ce que des spectres jouent au frisbee au milieu des tombes? Est-ce que des messes noires sont organisées une fois par mois, entre les réunions des VA (oui oui, les vampires anonymes 😅)?
À la veille de l’Halloween, c’est précisément pour le savoir qu’on a voulu rencontrer Robert Perron.
Zombies < ratons laveurs
Ce dernier n’entretient pas le suspense trop longtemps avant de péter notre balloune ésotérique. « En 17 ans, j’en ai vu zéro (des spectres), mais chaque petite chose peut te faire sursauter. C’est quand même un peu épeurant, faut pas être trop peureux », raconte Robert, soulignant que certains agents refusent carrément de patrouiller de nuit dans le cimetière à cause de leurs croyances et autres superstitions.
Et si, au détour d’un sentier plongé dans le noir, on aperçoit des yeux brillants dans la nuit, pas de panique. « Il y a beaucoup de petits animaux qui traînent ici, comme des marmottes, des renards et beaucoup de ratons laveurs », énumère Robert Perron, qui s’est visiblement donné comme mission de me calmer le pompon avec mes histoires de fantômes.
Pas grave, c’est déjà une expérience unique d’arpenter les sentiers du grand cimetière en pleine nuit. Une expérience que bien peu de gens ont la chance de vivre en plus, puisque le cimetière ferme ses portes au public à 17h.
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S’amorce ensuite le quart de soir, où deux agents doivent – en plus des rondes – faire le tour des onze bâtiments du site, pour s’assurer que les systèmes d’alarme sont armés. « On a sept mausolés, un pavillon administratif, un garage, une chapelle, une cafétéria et des bureaux », résume Robert.
Après le départ des agents de soir, au tour du gardien de nuit de garder le fort entre 23h et 6h du matin, en solitaire. Rapidement, il amorce son quart de travail avec une première tournée, sauf en hiver si les conditions sont trop difficiles. « Le but, c’est d’être vu. C’est pour ça que les lumières sur nos camions éclairent dix fois plus que sur un véhicule normal.»
Escorter les gothiques
Parce que même si aucun zombie n’arpente les lieux en quête de chair humaine, des gens tentent quand même régulièrement de se faufiler, la nuit, pour profiter des lieux. Des jeunes qui veulent faire le party qui entrent à partir de la voie Camillien-Houde, ou encore des itinérants qui érigent des campements dans le boisé. Ah, et même si c’est rare, bien sûr que des adeptes de mysticisme ou d’une partie de jambes en l’air à saveur gothique tentent à l’occasion de se faufiler sur place.
« Dans ce temps-là, l’agent doit escorter les gens jusqu’à la sortie. S’ils n’obtempèrent pas, on appelle la police », prévient Robert Perron, précisant que les agents sont formés pour désamorcer chaque situation de façon pacifique. « Parfois, c’est plus de la psychologie. Si une gang de jeunes font le party, on peut par exemple leur demander s’ils aimeraient ça, eux-autres, que des gens pissent sur la tombe de leur père. La plupart du temps, c’est très efficace », assure le veilleur de nuit.
Robert et son équipe doivent aussi parfois jouer le rôle d’intervenant social. « Il y a des gens en deuil qui tentent de rester sur la tombe d’un proche après les heures de visite. On est conscient que ces gens-là ne sont pas dans leur état normal. »
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Vu son immensité, les gardiens en viennent éventuellement à connaître le cimetière comme le fond de leur poche. Ça peut carrément sauver des vies. « La police nous appelle parfois parce qu’elle recherche une personne suicidaire qui pourrait être allée se recueillir sur la tombe d’un proche avant de s’enlever la vie. Il faut regarder dans le système et repérer l’endroit au plus vite. C’est souvent non-fondé, mais c’est déjà arrivé », indique M. Perron.
Moins dangereux que chez Walmart
La débrouillardise est d’ailleurs une compétence recherchée chez un gardien, afin d’éviter de déranger le contremaître, en pleine nuit.
Sinon, si on a les nerfs assez solides, ça peut s’avérer un métier paisible, sous le signe de la liberté. « Le danger est moins élevé qu’un agent de chez Walmart qui doit intervenir auprès de voleurs. »
Le temps file et effectivement, il ne se passe pas grand-chose. En fait, le seul moment fort survient au moment où une volée de bernaches passe au-dessus de nos têtes pour bruyamment nous annoncer leur départ vers le sud.
Je termine ma tournée avec la visite nocturne de quelques tombeaux célèbres, puisque le cimetière héberge quand même quelques illustres locataires. Il existe d’ailleurs un livre des personnes célèbres enterrées sur place, notamment le poète Émile Nelligan ou l’ancien premier ministre Robert Bourassa. Comme ailleurs dans le monde, des gens viennent faire des pèlerinages pour se recuellir. « Le tombeau de René Angélil est populaire depuis quelques années. Céline (Dion) est venue une couple de fois, incognito », souligne Robert Perron, avant d’éclater de rire en réalisant avoir fait une excellente blague, malgré lui.
Je quitte après avoir rendu hommage à Maurice Richard, en lui demandant de ressusciter au plus crisse pour aider le CH à sortir de ses trente années de reconstruction.
Bref, l’Halloween sera encore de la petite bière, cette année pour Robert et son équipe. Tout le contraire du lendemain – premier novembre et fête des morts – la deuxième journée la plus achalandée de l’année avec la fête des mères. « Les gens viennent porter des fleurs, prier, faire des cérémonies. Ça, ça fait peur!», confie-t-il.