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Val-des-Sources : virée dans l’ex-Asbestos qui renaît de ses fibres

Se défaire d'un nom toxique ça change pas le monde, sauf que...

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Asbestos bienvenue », peut-on lire en gros sur l’enseigne à l’entrée de la ville, depuis la route 255.

La pancarte n’a pas encore reçu le mémo, mais la municipalité estrienne de 7000 âmes a été rebaptisée « Val-des-Sources » le 19 octobre dernier, au terme d’un processus-fleuve qui s’est étiré à cause de la pandémie.

Le changement de nom – un projet qui flotte dans l’air depuis des décennies – vise à tirer un trait sur la connotation négative d’Asbestos (signifiant « amiante» en anglais), puisque les dangers liés au minerai (la contamination par l’amiante est associée aux maladies pulmonaires et aux cancers) ont mauvaise presse et font apparemment obstacle au développement économique de la Ville.

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Il fait froid en ce mardi matin nuageux. Un vent sec et glacial claque au visage. Au bout du boulevard Saint-Luc, après avoir croisé l’emblématique camion de 200 tonnes garé en face du bar sportif Capi10 (!?!), on débouche sur la spectaculaire mine Jeffrey, un cratère de 700 mètres de largeur par 450 mètres de profond.

Du belvédère, l’eau turquoise semble gelée à l’intérieur du trou, autour duquel le paysage s’étend à des kilomètres à la ronde.

Sur le trottoir en face, Ginette Côté promène Princesse, son shih tzu. « Ça prenait un nouveau nom pour un nouvel essor », lance d’emblée cette énergique Val-des-Sourçoise (Ça se dit ça?!?Mon invention?!? NDLR : C’est Valsourcien.ne le gentilé) de 66 ans, qui a passé sa vie ici.

«J’allais souvent à Old Orchard et les gens reculaient d’un pied quand on leur disait qu’on venait d’Asbestos.»

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Cette hygiéniste dentaire à la retraite raconte avoir subi à plusieurs reprises des inconvénients liés au nom Asbestos. « Mon fils travaille en multimédia et on lui a souvent retourné des colis envoyés aux États-Unis parce qu’il était écrit « Asbestos » dessus, ce qui est considéré du poison là-bas. Pour ma part, j’allais souvent à Old Orchard et les gens reculaient d’un pied quand on leur disait qu’on venait d’Asbestos », énumère Ginette, qui avait voté pour « L’Azur-des-Cantons» en premier pour remplacer le nom de la Ville.

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Jeffrey-sur-le-Lac, Larochelle, Trois-Lacs et Phénix étaient les autres noms retenus pour désigner la Ville. Quelque 2796 citoyens ( 48,2% de la population) se sont déplacés aux urnes entre le 14 et le 18 octobre dernier pour trancher.

Val-des-Sources l’a emporté haut la main avec 51,5% au troisième tour.

Au départ, les quatre premiers noms retenus en septembre – Apalone, Jeffrey, Phénix et Trois-Lacs – avaient fait patate, forçant la Ville a soumettre de nouveaux choix à ses 7000 habitants.

Le but: relancer l’économie

Il faut dire que le processus amorcé en novembre dernier n’avait rien de simple, explique le maire Hugues Grimard, qui a reçu URBANIA dans son bureau à l’hôtel de ville.

«Il y avait beaucoup de doublons, beaucoup de niaiseries. Après un tri, on s’est retrouvé avec 200 noms. Le conseil a retenu quatre noms qu’on a soumis à des focus group. Ça n’a pas pogné.»

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Il calcule avoir reçu plus de 1000 suggestions après un appel à tous. « Il y avait beaucoup de doublons, beaucoup de niaiseries. Après un tri, on s’est retrouvé avec 200 noms. Le conseil a retenu quatre noms qu’on a soumis à des focus group. Ça n’a pas pogné. On a soumis six autres noms et on a alors vu une adhésion collective », résume le maire en poste depuis onze ans, fier d’être le premier magistrat de Val-des-Sources et surtout soulagé de tourner enfin la page sur cette longue saga. « La commission de toponymie vient d’autoriser notre nouveau nom et les opposants ont trente jours pour se manifester auprès du ministère des Affaires municipales et de l’habitation », explique Hugues Grimard, conscient que l’unanimité n’existe pas et que le dossier revêt un caractère hautement émotif.

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Il assure toutefois que le changement de nom n’a rien d’un caprice, que le nom «Asbestos » avait bel et bien quelque chose de toxique. « Le meilleur exemple est que la compagnie minière qui produisait l’amiante mettait une adresse postale à Danville (village voisin) pour éviter les problèmes. Même moi je voyais des gens reculer quand ils voyaient mon épinglette de la Ville », raconte Hugues Grimard.

«Les investisseurs ne voulaient pas s’installer ici. Des usines nous imposent quatre critères. Le premier: le nom de la ville ne doit pas nuire à l’importation.»

Le changement de nom vise aussi à relancer l’économie, puisque le mot « Asbestos » était apparemment un bâton dans la roue du milieu des affaires, surtout pour ceux qui transigent avec les Américains ou d’autres pays où l’amiante est banni. « Les investisseurs ne voulaient pas s’installer ici. Des usines nous imposent quatre critères. Le premier: le nom de la ville ne doit pas nuire à l’importation », souligne Hugues Grimard, qui dit avoir ainsi perdu un contrat de huit millions.

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Il ajoute que la valeur des maisons et les projets domiciliaires « ne lèvent pas» et qu’il était urgent de changer les perceptions.

Le maire Grimard assure n’avoir aucunement l’intention de tourner le dos à l’histoire. « On est rendu à regarder vers l’avenir. On ne va pas cacher le trou, on va exploiter son potentiel », explique-t-il. Plusieurs projets récréotouristiques seraient sur la table, en plus de la première édition du Slackfest qui a été un succès l’an dernier.

Source: Les funambules modernes

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Pour l’aider à attirer les regards sur Val-des-Sources, le maire profite déjà d’une importante visibilité médiatique internationale, grâce au changement de nom. « J’ai accordé 75 entrevues, notamment au Figaro et au New York Times. Il y a même un journaliste des Philippines qui m’a demandé une carte d’affaires signée pour sa collection », rapporte-t-il en riant, précisant que son entrevue favorite était évidemment celle accordée à URBANIA.

Renaître de ses cendres

Midi approche, je demande au maire s’il me suggère un restaurant puisque nous sommes en zone jaune. Hélas tous les restaurants de Val-des-Sources sont fermés, il me recommande toutefois le Pizza Plus de Danville à quelques kilomètres.

Mais avant, je vais faire un saut à la broderie Magister dans le quartier industriel, où m’attendent Maxime Carignan et Nancy Boisvert, les sympathiques propriétaires.

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C’est Maxime Carignan qui avait suggéré le « nom » Phénix pour rebaptiser la Ville. Ouverte en 1993, l’entreprise brode casquettes, tuques, manteaux et articles promotionnels pour sa clientèle éparpillée un peu partout, surtout à Montréal.

« Le temps est venu de choisir un nom audacieux pour notre ville qui, d’une certaine manière, renaît de ses cendres. Le phénix, cet oiseau légendaire est courageux, fier et surtout résilient, comme les habitants de notre ville », avait rédigé Maxime en soumettant le nom «Phénix » au conseil municipal. Ce dernier a finalement été flushé au premier tour, mais Maxime et Nancy sont toutefois bien heureux du nom retenu. « Peut-être que l’amiante était autrefois le symbole de la prospérité et du dynamisme, mais ça n’a plus bonne presse et il faut passer à autre chose », explique Maxime, qui espère que les entreprises frileuses viendront maintenant s’installer. Il me montre en exemple le bordereau de commande d’un client, qui indique noir sur blanc à leur intention que « les pièces vendues doivent être exemptes de toute matière provenant de l’amiante ».

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Nancy, elle, dit déjà sentir le vent tourner. « Par contre nous on a la totale, notre compagnie se trouve sur la rue de L’amiante », note-t-elle en riant.

La rue Phénix, ça serait beau non?

Pas d’amiante dans un nom

Chez les opposants, la fronde est portée par le citoyen Jeff Therrien, qui a lancé une pétition en ligne et sur Facebook, qui a jusqu’ici amassé des centaines de voix. Ses arguments: les stigmates liées à l’amiante relèvent du passé et le changement de nom s’est effectué de manière non démocratique. « Il n’y a pas eu de référendum pour déterminer les choix. On a simplement donné l’illusion de pouvoir en leur permettant de donner de noms, mais sans retenir Asbestos dans les options », dénonce M. Therrien, qui habite la municipalité depuis trois ans et qui ajoute qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter de l’amiante depuis la fermeture de la mine en 2012. « Il n’y a pas de traces d’amiante dans le nom. Je trouve ça plate d’occulter une partie de l’histoire pour des raisons économiques. »

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Il prévoit envoyer ses pétitions à la ministre des Affaires municipales Andrée Laforest d’ici 30 ans, conformément aux lois en vigueur. « J’espère que la ministre va demander un référendum », réitère M. Therrien.

Dans l’intervalle, il reproche au maire Grimard d’utiliser le panneau numérique à l’entrée de la Ville pour médiatiser le nouveau nom.

La plus grosse réserve au monde

Le maire avait au moins raison sur un point : le restaurant Pizza Plus valait le détour. Une mini all dressed avec salade César plus tard, j’étais prêt à reprendre la route.

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Mais d’abord, j’ai fait un dernier arrêt chez Bernard Coulombe, le dernier propriétaire de la mine.

«Moi j’aurais préféré un nom plus court, comme Larochelle, mais c’est pas grave, je suis rendu un has been

« La mine m’appartient toujours! », nuance l’homme de 79 ans, qui m’a accordait une entrevue devant son bungalow situé près de l’hôtel de ville. À l’emploi de la mine depuis 1969, patron depuis 1991, M. Coulombe est sans doute le mieux placé pour témoigner de la toxicité du nom d’Asbestos. « Ça fait longtemps que je suis favorable au changement de nom. À cause d’Asbestos, ça bloquait de partout dans le monde, c’était un maudit problème! », raconte celui qui avait installé son adresse postale à Danville. « Moi j’aurais préféré un nom plus court, comme Larochelle, mais c’est pas grave, je suis rendu un has been! », badine le sympathique gaillard, qui accepte que je le photographie à condition de cacher ses pantoufles.

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Même si l’amiante fait peur, M. Coulombe assure toutefois que personne n’a été infecté par l’amiantose depuis des décennies, soit depuis que « l’hygiène industrielle» a été rehaussée de plusieurs crans. « À 1000 pieds sous la mine se trouve la plus grande réserve de chrysotile au monde et la seule en Amérique du nord. On ne sait pas, peut-être que dans 100 ans, on cherchera à l’exploiter », résume le propriétaire, qui voit d’ici là un gros potentiel récréotouristique pour la mine abandonnée en plus d’avoir déjà entrepris le verdissement des haldes.

En remettant le cap vers Montréal, j’entends « L’Amérique pleure » à la radio, pendant que le logo de Val-des-Sources apparaît sur le panneau électrique dans mon rétroviseur.