Au Québec, environ 10 % de la population vit avec une forme de phobie. Ça m’inclut. « Tu peux te mettre en scène, m’a suggéré mon éditrice en commandant ce texte. Mais on connaît tous une fille qui a eu peur de vomir, alors t’éloigner de ça, svp. » C’est alors que j’ai compris que mon anxiété gastrique datant du secondaire était d’une banalité inouïe.
Il faut dire qu’on a de plus en plus la chienne. En Amérique du Nord, les psychologues observent une augmentation de la détresse psychologique, et notamment de l’anxiété : elle toucherait maintenant plus du tiers des élèves du secondaire, rapporte une étude de l’Université de Toronto parue en 2016.
Mais selon le Dr Camillo Zacchia, ancien chef du Département de psychologie de l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, il n’y a pas lieu de faire une crise d’angoisse collective. « Je ne sais pas si l’anxiété est vraiment en hausse ou si on en parle tout simplement plus, étant donné qu’on a plus de connaissances en psychologie », dit-il.
Parce que malgré le climat qui se détraque et la pression d’avoir l’air cool sur Instagram, les éléments stressants ne sont pas nécessairement plus nombreux aujourd’hui qu’à l’époque de nos grands-parents.
« La vie moderne nous envoie des défis qui n’existaient pas dans le monde naturel, mais mon père a été emprisonné durant la Seconde Guerre mondiale et ma mère entendait des bombes en jardinant. Est-ce qu’on peut vraiment dire qu’on est plus stressés ? Oui, il y a une augmentation des cas rapportés, mais ça ne signifie pas nécessairement qu’il y a un plus grand pourcentage de gens qui souffrent de troubles anxieux », explique-t-il.
En parler
Pour Marie-Andrée Laplante, fondatrice de Phobies-Zéro (un organisme qui vient en aide aux personnes souffrant de troubles anxieux), c’est évident qu’on en parle plus qu’avant. « À mon époque, on ne savait pas ce qu’était l’agoraphobie. Les médecins disaient que je n’étais qu’une “petite madame nerveuse”. C’est mon conjoint qui a trouvé le mot « agoraphobie » dans une revue américaine en reconnaissant mes symptômes. »
« Je ne travaillais plus ; je commandais l’épicerie au téléphone ; je manipulais les gens pour qu’ils viennent chez nous plutôt que l’inverse. »
Marie-Andrée Laplante a souffert d’agoraphobie pendant 20 ans, dont 13 où ses pensées étaient tellement handicapantes qu’elle ne sortait pas de chez elle. « Je ne travaillais plus ; je commandais l’épicerie au téléphone ; je manipulais les gens pour qu’ils viennent chez nous plutôt que l’inverse, se souvient-elle. Je dis que c’était de la manipulation, mais au fond, c’était de la souffrance. »
Un jour, une amie lui a lancé un ultimatum : « Elle ne m’appellerait plus si je me trouvais encore une défaite pour rester chez moi. On pense que les gens ne se rendent pas compte de nos scénarios ! » Petit à petit, Marie-Andrée Laplante a dompté son agoraphobie, commençant par sortir sur son balcon, puis s’aventurant dans les endroits publics. Elle est allée jusqu’à créer des groupes de discussion pour des personnes souffrant du même problème qu’elle. Aujourd’hui, elle donne des conférences dans des salles combles qui l’auraient terrorisée auparavant.
De quoi t’as peur?
Ma crainte de vomir mon café dans le métro parce que le mélange vanille française me tombait sur le cœur au secondaire, c’était de la petite bière à côté de l’émétophobie de Johanie (ou celle de Marie X). L’idée de vomir déclenche en elle des crises d’angoisse insurmontables. « Je ne touche jamais à des enfants parce qu’ils ont toujours la gastro, même si je sais que ça n’a pas de bon sens. Quand il y a des épidémies de gastro à l’université, je force mes étudiants à se nettoyer les mains au Purell, et je traîne toujours mon stock de Gravol avec moi », dit-elle.
Si les phobies ne sont pas plus répandues qu’avant, elles s’ajustent à l’air du temps, et certaines s’avèrent particulièrement contraignantes dans notre monde moderne.
L’anxiété est reliée à notre environnement. Ici, on a peur des ascenseurs, mais dans les pays en développement, ça peut être la peur des maladies ou des animaux qui prédominent.
Laurence a déjà eu une peur bleue des appareils photo et de leur fâcheuse manie de nous tirer le portrait. « Mettons que c’est pas trop millennial friendly », s’exclame-t-elle.
Sophie, elle, a peu de chances de devenir foodie, puisqu’elle a une peur irrationnelle des nouveaux aliments. « J’ai peur de faire une réaction allergique », explique-t-elle. Comme elle a déjà été traitée pour l’agoraphobie et la claustrophobie à l’aile psychiatrique de l’Hôpital Sacré-Cœur, elle sait que le meilleur remède pour elle est de s’exposer. « J’essaie de nouveaux aliments de temps en temps pour élargir les possibilités de ce que je peux manger sans paniquer », explique-t-elle.
Et que dire de la cyberphobie, la peur d’utiliser un ordinateur ? Toutes ces néocraintes donnent à croire que les phobies sont un mal de privilégié, un first world problem. « Pas du tout ! réplique le Dr Camillo Zacchia. L’anxiété est reliée à notre environnement. Ici, on a peur des ascenseurs, mais dans les pays en développement, ça peut être la peur des maladies ou des animaux qui prédominent. » Au Québec, on a peut-être des peurs de luxe, mais ça ne veut pas dire que c’est un luxe d’aller chercher de l’aide.