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Vague d’homophobie sur Instagram : Chloé Savard, alias Tardibabe, aux premières loges
« Tout ce hate m’a rendue triste et mise en colère, mais ultimement, ça me donne de la force. J’ai encore plus envie de crier que je suis queer. »
C’est ce que conclut la microbiologiste et artiste québécoise de 29 ans Chloé Savard, alias Tardibabe sur Instagram et TikTok, après avoir reçu une vague de haine et fait l’objet de milliers de commentaires homophobes, à la suite d’une publication soutenant Fierté Montréal.
Nous lui avons passé un coup de fil pour prendre de ses nouvelles et pour discuter de l’importance de continuer à soutenir les mouvements 2SLGBTQIA+.
Vague de haine, vague d’amour
« Mon impulsion de base avec cette publication, c’était de célébrer la diversité, l’inclusion et de soutenir la communauté LGBTQ+, de manière joyeuse », m’explique Chloé Savard, qui se définit elle-même comme femme queer. « C’est ma copine qui a réalisé cette illustration d’un tardigrade [un animal minuscule parfois appelé ourson d’eau], en clin d’œil à mon pseudonyme, Tardibabe. On trouvait ça cool d’ajouter le drapeau arc-en-ciel pour souligner la semaine de la Fierté et soutenir notre communauté. Je trouvais ça important, particulièrement cette année. »
Pourquoi particulièrement cette année? Nous y reviendrons.
Sous l’illustration publiée mardi, on peut lire : « Favoriser la biodiversité de l’amour, de l’inclusion et de la tolérance pour Fierté Montréal! Tout comme les écosystèmes prospèrent grâce à la diversité des espèces, notre société s’épanouit grâce à des identités toutes plus uniques les unes que les autres. Protégeons et célébrons cette toile interconnectée d’humanité! » [Traduction libre.]
En publiant cette image et cette description de nature inclusive, Chloé, qui partage essentiellement du contenu à saveur scientifique, était loin de se douter du raz-de-marée qui s’apprêtait à l’engloutir.
« Je n’ai jamais affirmé clairement mon orientation par le biais d’une publication Instagram. Même dans celle-ci, je n’ai pas come out à proprement parler. Il y a tout de même un petit drapeau arc-en-ciel dans ma bio », précise la microbiologiste suivie par plus de 800 000 personnes. « Je me souviens avoir déjà publié des stories en soutien à la communauté [LGBTQ+] dans le passé et avoir eu quelques centaines de désabonnements dans la foulée. »
Cette fois-ci, c’est plus de 5 000 personnes qui ont massivement cessé de suivre Tardibabe, sans parler des commentaires homophobes et violents qui ont déferlé, publiquement comme en privé.
« Ça a rapidement pris de l’ampleur. En 24 heures, j’avais déjà plus de 2 500 commentaires », raconte Chloé, en ajoutant que cette journée n’a été facile ni pour elle ni pour sa copine. « J’ai pleuré en lisant tous ces propos super violents et intolérants, certains à caractère religieux très assumé. J’ai même reçu des menaces de mort. »
Bien que cette tempête de haine l’ébranle encore 48 heures plus tard, Chloé tient à souligner la vague de soutien qui s’en est suivie.
« Autant des personnes queers que des allié.e.s m’ont écrit en DM pour m’encourager et m’envoyer vraiment beaucoup d’amour, raconte-t-elle. Ça m’a donné de la force pour ne pas me laisser atteindre par les commentaires négatifs… et pour ne pas céder à la tentation de répondre à ces gens-là. »
La Fierté en 2023
En écoutant parler des membres des communautés LGBTQ+ dans les derniers mois, je réalise que l’édition 2023 de la Fierté semble revêtir des allures plus politiques cette année.
« Il y a une angoisse particulièrement palpable qui monte en moi, par rapport à l’actualité, » révélait récemment l’animatrice ouvertement lesbienne Eugénie Lépine-Blondeau à son émission de radio C’est ma tournée.
« La Cour suprême des États-Unis permet désormais de refuser d’offrir des services aux personnes LGBTQ+ en évoquant la liberté d’expression. En Italie des femmes de couples homoparentaux commencent à perdre leur statut de mère, avec le retrait forcé du nom de la mère qui n’a pas porté l’enfant sur le certificat de naissance de celui-ci. La Floride interdit désormais aux écoles d’enseigner des sujets en lien avec l’orientation sexuelle et l’identité de genre, au travers de la politique “Don’t say gay”. Au Nouveau-Brunswick, on apprenait que le pronom préféré d’un enfant pourrait être interdit à l’école en l’absence de consentement des parents. Je ne parle même pas des onze pays où l’homosexualité est encore passible d’une peine de mort. »
En plus des différentes polémiques en lien avec les drag queens qui lisent des histoires dans les écoles et les bibliothèques, disons que ça fait une année chargée. Chloé Savard considère-t-elle que cette année, les Fiertés à travers le monde sont particulièrement politiques?
« Oui, absolument! », s’exclame-t-elle d’emblée, en soulignant que près de 30% de ses abonnées proviennent des États-Unis. Bien qu’elle considère que le climat anti-LGBTQ+ est plus hostile chez nos voisins du sud, il faut rester vigilant.e.s de ce côté-ci de la frontière.
« C’est fou, les personnes trans, les drags vont jusqu’à être considéré.e.s comme des pédophiles, des groomers qui abusent et pervertissent les enfants. Tellement de personnes LGTBQ+ perdent des droits et sont opprimées. Donc oui, cette année, la Fierté garde sa touche joyeuse, on se célèbre, mais il y a quelque chose d’inquiétant qui plane. Comme une petite boule dans nos estomacs. »
Amplifier les voix
Lorsque je lui demande ce qu’elle retient de ce bien triste épisode, Chloé parle instinctivement d’espoir, de force et de l’importance de célébrer et soutenir les communautés LGBTQ+ partout sur la planète. Pour la scientifique, la diversité est la plus grande richesse des humains.
« J’ai pensé à supprimer la publication, mais je trouve ça encore plus important de la laisser exister vu les réactions haineuses », raconte celle qui développe une pratique artistique à partir de ces trouvailles scientifiques réalisées au microscope.
« J’ai également songé à désactiver les commentaires, mais je voulais que les gens constatent que quand on parle d’homophobie et de haine, c’est bien réel. »
C’est avec énormément de lucidité, d’espoir et de courage que Chloé conclut notre conversation téléphonique.
« Derrière cette publication, il y a la scientifique que les gens suivent, mais il y a aussi une femme queer en science, qui revendique son identité », fait valoir celle qui n’est tout compte fait pas mécontente du tri qui s’est opéré sur son compte. « J’utilise ma plateforme pour promouvoir la science, mais de plus en plus, pour faire rayonner mes valeurs. Et si ça ne te plaît pas, tu peux passer ton chemin. Je ne veux pas de cette violence dans ma communauté virtuelle. Je veux un espace joyeux, sécuritaire et inclusif. »
Bonne Fierté!