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«Vacarme» et les histoires non-racontées des enfants du système

Le film coup de poing du réalisateur Neegan Trudel arrive sur Crave/Super Écran ce dimanche.

Par
Benoît Lelièvre
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La droite médiatique québécoise aime beaucoup chialer contre les artistes. C’est un hobby pour eux, comme la poterie ou le badminton pour d’autres. «Les maudits artiiiiiissss subventionnés par le gouverneMENT. Cet argent-là devrait aller au vrai monde qui en a besoin.»

Vous l’avez déjà entendue, celle-là. Je suis certain.

Les subventions gouvernementales servent à plein de choses, mais principalement à promouvoir la culture que ces mêmes chroniqueurs prétendent défendre. Si la scène cinématographique québécoise ne s’arrête pas à de ridicules copies de films américains comme Nitro Rush, c’est parce qu’on a choisi collectivement de soutenir l’art d’ici. Parfois, ça veut dire donner un souffle à de nouvelles voix qui se servent de cette opportunité pour raconter des histoires importantes.

Des histoires comme celle que porte le réalisateur Neegan Trudel, avec son film Vacarme.

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De l’autre côté des portes du centre d’accueil

Vacarme, c’est l’histoire d’Émilie. Une jeune fille élevée par une maman seule et instable qui se retrouve en centre d’accueil après un sombre épisode. Excédée et mal outillée émotionnellement pour prendre soin d’une enfant, la maman d’Émilie confie la garde de sa fille au système d’un commun accord. Blessée et entourée d’inconnus, Émilie trouve refuge dans la musique.

«Les histoires de meurtres et de violences, nous les entendons et ça nous heurte; cependant, une fois que l’enfant est mis dans un foyer ou dans un centre, c’est comme si l’histoire se terminait là. Pourtant, ce n’est que le début,» me raconte le sympathique et loquace réalisateur du film par courriel. «Nous voulions explorer la “réalité” d’une adolescente qui a à vivre dans ce milieu tout en interprétant les bons et mauvais côtés de la médaille.»

Bien que le réalisme a souvent mauvaise presse à l’époque des Marvel et Star Wars, c’est sur cet outil que Neegan Trudel mise pour explorer l’univers dans lequel Émilie est catapultée du jour au lendemain.

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Bien que le réalisme a souvent mauvaise presse à l’époque des Marvel et Star Wars, c’est sur cet outil que Neegan Trudel mise pour explorer l’univers dans lequel Émilie est catapultée du jour au lendemain. Des pièces trop petites pour accueillir un nombre trop grand de jeunes filles en détresse. Une cohabitation entre jeunes femmes qui ne se connaissent pas et ne se font pas confiance. Des confrontations violentes et parfois même explosives. L’urgence émotionnelle de Vacarme est tellement grande qu’on oublie qu’on regarde un film à l’esthétique crue et sans artifices, à l’image de la vie des jeunes protagonistes du film.

Neegan Trudel ne se cache pas qu’il ne visait pas exactement le triomphe esthétique. «Mon scénariste, Jonathan Lemire, et moi-même avons voulu raconter un autre point de vue de l’éventail des sujets liés à la ‘pauvreté’ à travers les yeux résilients d’une jeune fille,» m’explique-t-il.

Vacarme existentiel

Bien que la définition même du mot vacarme soit: bruit assourdissant, tapage, chahut, il s’agit d’un film au ton étonnamment calme et discret. L’utilisation du silence pour accroitre la sensation de vide autour d’Émilie est beaucoup plus efficace qu’une bande sonore tonitruante n’aurait pu l’être. Chaque écho distant de bruit ambiant trahit la solitude de la jeune fille.

Malgré qu’elle soit trop jeune pour mettre des mots sur sa détresse, on devine la douleur qui déchire Émilie à travers sa fureur de vivre.

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«Elle veut se faire entendre et ne pas être oubliée. Son vacarme, c’est l’imaginaire qui est relié au tumulte intérieur d’Émilie. Elle recherche l’amour inconditionnel d’une mère,» dit le réalisateur. Cette idée est portée à merveille par la jeune interprète d’Émilie, Rosalie Pépin. Perpétuellement à mi-chemin entre l’implosion et l’explosion, Émilie crie, hurle et déverse le malaise qui l’habite sur les autres afin qu’il ne l’anéantisse pas. Malgré qu’elle soit trop jeune pour mettre des mots sur sa détresse, on devine la douleur qui déchire Émilie à travers sa fureur de vivre.

«Le fait qu’Émilie joue de la guitare, c’est une façon d’exprimer sa différence, voire son identité », ajoute Neegan Trudel, à propos de son personnage. C’est un peu ça, Vacarme. L’histoire d’une petite fille qui apprend à combattre le vide autour d’elle et s’affranchir de ses relations toxiques par l’art et la passion.

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Pourquoi regarder Vacarme?

À mon humble avis, c’est un film qui répond aux plus hautes attentes qu’on puisse avoir envers une oeuvre de fiction.

L’esthétique austère de la vie en centre jeunesse ne plaira pas à tout le monde et la lourdeur du propos ne convient peut-être pas à toutes les séances de visionnement, mais on y explore une réalité encore mal comprise et les répercussions d’un problème social profondément ancré à travers l’expérience d’un personnage fictif. On accède à l’expérience de quelqu’un d’autre afin de la vivre à ses côtés et de mieux la comprendre.

Lorsqu’un.e. enfant ou un.e adolescent.e est pris.e en charge par le système, tout le monde retourne dormir sur ses deux oreilles malgré que ce ne soit que le début d’un nouveau parcours semé d’embûches et de défis pour eux. Ça,Vacarme le montre avec beaucoup de classe, de retenue et de passion. C’est à ça que ça sert aussi, l’art. À faire des ponts avec les réalités auxquelles on aurait pas nécessairement accès autrement.

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C’est là qu’il va, l’argent de vos taxes et c’est très bien. Ça devrait vous rendre fiers. Surtout si votre culture (au sens large) est importante pour vous.

Vous pourriez avoir bien pire idée pour meubler votre dimanche soir que de regarder Vacarme à la maison!