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J’ai passé la soirée d’hier avec une amie (appelons-la Julie, parce que tout le monde la choisit tout le temps, Julie) dont le père venait tout juste de se suicider. C’est elle qui l’a trouvé. Dans le cabanon.
Aujourd’hui, ce n’est pas le cabanon le problème. Ce n’est pas non plus le décès d’un papa ni les passants-voisins-nouveaux-cyclistes-potineux-curieux (oui oui, ceux qui causent aussi le trafic inutile). Aujourd’hui, le problème c’est le 9-1-1 : pas la rapidité ni la gentillesse des opérateurs, mais le protocole. Enfin, je suppose et j’espère que c’est le protocole et non de l’improvisation sous le thème : j’ai volontairement obligé une Julie à aller voir son père mort dans le cabanon !
Julie a 17 ans. Son père souffre d’une dépression: une rechute. Une diminution de la dose de médicaments qui lui aura coûté cher. Son médecin lui signe un arrêt de travail de… quelques jours ! T’inquiète pas, rentre à l’hôpital, prends cinq ou six jours de congé et tout ira mieux ! Autre sujet délicat. Bref.
Cette journée-là, le papa vient de sortir de l’hôpital. Le matin avant qu’elle quitte pour l’école, il serre très fort sa fille : je t’aime, bonne journée ! Plus tard en après-midi, il ne répond ni à son cellulaire ni au bureau. Inhabituel. Julie part du cégep, arrive à la maison, constate que toutes les portes sont ouvertes. Une lettre est sur le comptoir. Une lettre d’amour… destinée à ses enfants. Autour d’elle, tout indique que son père a abouti dans le cabanon. 9-1-1. Julie panique.
Dring, dring. Une réponse, une discussion rapide et le coup de grâce… La demande de l’opératrice: elle souhaite une confirmation que papa est bel et bien mort dans le cabanon. Julie refuse: dépression + hospitalisation récente + portes ouvertes partout + silence + LETTRE. (Pas pire évident, me semble !) Deuxième demande de l’opératrice: une confirmation que papa est bel et bien mort dans le cabanon, parce que pas de confirmation, pas d’ambulance ! Allez ! Va voir qui est mort. Va constater la fraîcheur du suicidé. Allez petite, va ! C’est ici que j’ai le goût de tirer l’opératrice de sa chaise pour la traîner de force dans le cabanon ! Aye, la veux-tu écrite en plus ta criss de confirmation ? T’en veux une photo mentale d’un homme pendu dans sa « shed » ! Tsé le genre d’image qui te reste en tête toute ta vie ! Ben vas-y ! Applique-le ton protocole !
Après, l’opératrice a demandé à Julie de détacher son père. Là c’est le bout ! L’apogée des cris de détresse a interpelé les voisins qui sont accourus pour s’occuper de la jeune fille. Ces voisins-là, on les aime.
Morale : mentez quand vous signalez le 9-1-1, ça évitera les mauvaises photos. Oui madame, mon papa, il est mort…
Geneviève Proulx
14 septembre 2011