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URBANUIT: qui sont ces femmes qui fantasment sur les tueurs en série?
Le film Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile, qui raconte l’histoire du tueur en série Ted Bundy (joué par Zac Efron) sort aujourd’hui sur Netflix. On a beaucoup parlé de Bundy dans les derniers mois, notamment à cause de la sortie de Extremely Wicked, mais aussi parce que Netflix a fait paraître une série documentaire, Conversations with a Killer : The Ted Bundy Tapes, il y a quelques temps.
Le nom de Bundy, les crimes horribles qu’il a commis, son charisme et son look de bon garçon ont beaucoup fait jaser. Les victimes, et les survivantes, de ses crimes sont souvent oubliées lorsqu’on parle du célèbre criminel. Sa copine, Elizabeth Kloepfer (jouée par Lily Collins dans Extremely Wicked) était tout aussi absente du traitement médiatique de Bundy ces derniers temps, même si elle tient un rôle important et dans le film et dans la série documentaire.
Les femmes de leurs vies
Kloepfer est loin d’être la seule femme à avoir côtoyé intimement un criminel notoire. Eva Braun, la maîtresse d’Hitler, Marceline Baldwin, la femme de Jim Jones (Massacre de Jonestown) et les Manson Girls de Charles Manson, entre autres, sont de ces femmes qui ont aimé et aidé des hommes qui ont commis des crimes horribles. On les connaît elles, mais elles sont des centaines à écrire des lettres et à essayer d’entrer en contact avec des criminels connus. Ted Bundy a même demandé sa blonde en mariage pendant son procès.
«S’il y a une chose qu’elles avaient toutes en commun, c’est sûrement l’insécurité et leur volonté de laisser les hommes qu’elles fréquentaient façonner leur image d’elles-mêmes».
L’auteure Laura Elizabeth Woollett a dédié un ouvrage entier aux conjointes et proches de ces personnages. Dans The Love of a Bad Man, elle tente de voir leur histoire d’un point de vue plus personnel à travers 12 nouvelles basées sur leurs vies. Selon elle, il y a une chose qui liait toutes les femmes dont elle parle dans son livre. « S’il y a une chose qu’elles avaient toutes en commun, c’est sûrement l’insécurité et leur volonté de laisser les hommes qu’elles fréquentaient façonner leur image d’elles-mêmes », expliquait Woollett en entrevue. Elle continue en racontant que tout le monde a déjà été insécure à un moment où un autre et que l’on est souvent plus vulnérable lorsqu’on est jeune. La majorité des victimes de Ted Bundy étaient d’ailleurs de jeunes femmes, souvent des étudiantes.
Bundy était en couple avec Elizabeth Kloepfer pendant le plus gros de ses crimes. Kloepfer a même alerté la police par rapport au comportement étrange de son conjoint un an avant son arrestation. Malgré tout, ils ont été ensemble pendant six ans et ont gardé contact pendant l’incarcération de Bundy. Dans son autobiographie, Elizabeth racontait : « J’ai donné ma vie à Ted et je lui ai dit “Voilà. Prends soin de moi.” Il l’a fait de plein de façons, mais je suis devenue de plus en plus dépendante de lui. Quand je ressentais son amour, j’étais au sommet du monde; quand je ne ressentais rien sa part, je me sentais comme si je n’étais rien ».
Ce genre de déclaration, qui révèle une dépendance affective envers un homme manipulateur n’est pas très surprenante. Un article de Psychology Today, Why Do Women Fall for Serial Killers ?, proposait trois raisons pour lesquelles les femmes peuvent être attirées par les hommes ayant commis des crimes :
Elles pensent que la force de leur amour pourrait transformer cet homme.
Elles veulent prendre soin de l’enfant intérieur de l’homme.
Elles souhaitent partager l’attention médiatique du criminel.
Les scripts sexuels
Simon Louis Lajeunesse, docteur en service social avec qui nous avons discuté, amène une autre hypothèse et avance que le phénomène des femmes qui tombent en amour avec des tueurs en série ou autres criminels pourrait s’expliquer par la théorie des scripts sexuels. Se basant sur le livre Sexual Conduct : The Social Sources of Human Sexuality par John H. Gagnon et William Simon, Lajeunesse pense que les femmes en question sont obnubilées par leur script sexuel et finissent par perdent le contact avec la réalité.
Les scripts culturels viendraient de notre environnement, de notre époque, les scripts interpersonnels seraient présents dans nos interactions avec les autres et les scripts intrapsychiques contiendraient entre autres nos fantasmes.
Ce qu’il appelle des scripts, ce sont des schèmes cognitifs structurés présents dans des contextes spécifiques. De façon simplifiée, ce que la théorie des scripts sexuels propose c’est qu’une conduite sexuelle provient plus d’un contexte que d’une pulsion interne. On divise les scripts en trois dimensions, les scripts culturels, les scripts interpersonnels et les scripts intrapsychiques. Les scripts culturels viendraient de notre environnement, de notre époque, les scripts interpersonnels seraient présents dans nos interactions avec les autres et les scripts intrapsychiques contiendraient entre autres nos fantasmes.
Dans le cas des femmes qui nous préoccupent, le tueur en série devient l’objet du fantasme, qui finit par prendre énormément de place dans les cas où l’homme répond à leurs attentions. « Ces femmes-là tombent sur quelqu’un qui va les manipuler et prendre tout ce qu’elles ont à offrir, explique Lajeunesse. Elles leur offrent un public. Eux, ils vont faire leur spectacle, ils vont embarquer. » Puisque leur relation ne tombera jamais dans le quotidien, le fantasme, ou le script, ne sera jamais vraiment accomplie et continuera de prendre autant de place.
«Au lieu d’être la faute du gars, ça devient la faute du système qui le garde en prison. C’est insupportable de penser que c’est de sa faute [qu’ils ne sont pas ensemble] alors ça doit être la faute de quelqu’un d’autre.»
Éventuellement, cela peut mener à ce que la femme se rebelle contre la société, on le voit par exemple dans les cas où une conjointe va aider un criminel à s’échapper de prison. « Au lieu d’être la faute du gars, ça devient la faute du système qui le garde en prison. C’est insupportable de penser que c’est de sa faute [qu’ils ne sont pas ensemble] alors ça doit être la faute de quelqu’un d’autre », raconte Simon. Ici, comme dans la théorie des scripts sexuels, le contexte est très important. La femme se rebelle contre l’institution qui la protège du criminel dont elle est amoureuse. Si elle avait été l’une de ses victimes, le script aurait été bien différent… « Dans tout ça, ce qui est vrai n’a pas beaucoup d’importance, c’est ce que les gens pensent qui est vrai qui importe. »
Le fandom en ligne
Lorsqu’on parle de Ted Bundy, on mentionne souvent son apparence. On dit qu’il était beau, qu’il était charmant et qu’il utilisait son charisme pour accoster les jeunes femmes qui allaient devenir ses victimes. Lorsqu’on a commencé à reparler de lui régulièrement à cause de la sortie des hashtags et des publications assez problématiques ont commencé à voir le jour. Le problème ? Les gens le trouvent hot. Les posts affluaient tellement que Netflix a cru bon de rappeler à son public qu’il existe des milliers d’autres hommes attirants qui ne sont pas des tueurs en série.
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Les victimes de Bundy: réléguées au dernier plan
Comme le magazine Glamour l’a si bien dit « Ted Bundy is Not Hot He is a Killer ». En ce jour où l’un des sex-symbols de notre époque, Zac Efron, va camper le rôle de Bundy, il serait bon de se rappeler ses crimes. Ted Bundy a kidnappé, agressé sexuellement et tué plus de 30 femmes (certains disent plus d’une centaine) pendant sa « carrière » de tueur en série. Quelques-unes d’entre elles avaient à peine 12 ans. Il avait aussi des tendances nécrophiles. Vous nous pardonnerez de ne pas trouver ça très hot.
Voici le nom de quelques-unes de ces victimes : Joni Lenz (survivante), Lynda Ann Healy, Donna Gail Manson, Susan Rancourt, Roberta Parks, Brenda Carol Ball, Georgeann Hawkins, Denise Haslund, Janice Ott, Nancy Wilcox, Melissa Smith, Laura Aime, Carol DaRonch (survivante), Debra Kent, Caryn Campbell, Julie Cunningham, Denise Oliverson, Melanie Cooley, Lynette Culver, Susan Curtis, Margaret Bowman, Lisa Levy, Kathy Kleiner (survivante), Karen Chandler (survivante), Cheryl Thomas (survivante) et Kimberly Leach. Cet article de Women’s Health Magazine donne plus de détail sur chacune des victimes.
Avant il y avait les documentaires à Canal D, 20/20 et occasionnellement un Lifetime movie un peu cheap, maintenant on a des docus-séries à gros budget sur Netflix, des podcasts terriblement bien faits et des films comme Extremely Wicked avec de grandes vedettes. Ça ne date pas d’hier, notre fascination collective pour le crime et les humains qui les commettent. Avant de commencer à vanter le charisme de Bundy et de le traiter de « génie » parce qu’il profitait de la naïveté ou de la politesse de jeunes femmes, pensez aux noms plus haut. Lorsque vous regarderez Zac Efron incarner cet homme qui a affecté des centaines, voir des milliers, de vies à cause de ses crimes, tâchez de vous souvenir d’elles.