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URBANUIT: j’ai écouté la série «Bonding» avec une dominatrice et une escorte

Est-ce que la série Netflix reflète bien la réalité de ces travailleurs et travailleuses du sexe?

Par
Mélodie Nelson
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Quand j’ai entendu parler de Bonding, une série écrite par Rightor Doyle, inspiré par sa propre expérience comme assistant d’une dominatrice, je me suis dit que ce serait la prochaine mode : toutes les filles de dix-huit ans s’imagineraient dominatrices et en Louboutin dès le premier coup de cravache.

J’ai déchanté un peu plus quand j’ai entendu les critiques de travailleuses du sexe : la série serait pour un public qui ne connaît rien au BDSM ou aux conditions de travail des travailleuses du sexe. Malgré tout, je voulais absolument l’écouter, mais en bonne compagnie : celle de la dominatrice la plus reconnue à Montréal et d’une escorte qui montre ses opérations chirurgicales dans ses stories Instagram.

Arrivée chez ma copine A., celle à qui des clients font signer des accords de non-divulgation avant qu’elle ne leur pince les tétons, j’étais prête à pousser des hauts cris de désespoir. Ce ne serait pas la première fois : les séries, films ou livres qui exploitent l’image des travailleuses du sexe, tout en révélant une ignorance plus profonde que ma craque de seins sur les enjeux du métier, sont malheureusement nombreux.

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Bonding est une comédie dramatique qui raconte les aventures d’une dominatrice new-yorkaise/étudiante en psychologie et de son meilleur ami, qui joue aussi le rôle de son assistant dans un donjon. Il y a des scènes romantiques et d’autres avec des doigts pas lubrifiés rentrés dans le cul d’un coloc qui porte trop de chemises hawaïennes.

Trois salopes prêtent à trop boire devant un possible désastre télévisuel

Armées de chocolat noir, de carottes miniatures qui goûtent l’eau de javel et de mimosas 90 % bulles et 10 % jus de pamplemousse, nous étions, A., L. et moi, trois salopes autoproclamées devant la télévision. Il y avait aussi Rocco, le petit chien le plus mignon du monde, qui tient son prénom d’un acteur et producteur porno populaire, et dont tous les accessoires sont rose barbe à papa. Si Bonding se révélait plus inconfortable qu’une gag ball, nous étions tout de même assurées de passer un bel après-midi.

Prêtes pour un bel après-midi.

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Nous avons ri de l’assistant qui chante « Happy Birthday » en urinant sur un client. Nous avons adoré l’esthétique de certaines scènes, les imperméables portés par la dominatrice et son assistant, et quand Pete, lors de son premier rendez-vous avec un mec qui compare les fellations à un Airbnb du sexe, se retrouve contre un mur de briques bleues, un latte dans les mains, à noter les pénis des hommes qui passent sous leur nez.

Pour quelqu’un qui ne suce pas de queues pour payer ses virées chez Sephora, ça peut sembler anecdotique, mais pour quiconque reçoit de l’argent contre des services sexuels tarifés, c’est d’une importance aussi capitale que de ne pas recevoir des gouttes de foutre dans les yeux.

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Nous nous sommes questionnées sur l’utilisation du mot « prostitute ». La première fois, alors que Tiffany/Mistress May est dans une boutique d’accessoires érotiques avec Pete, nous l’avons excusée, mais trouvée étrange. Une dominatrice conscientisée, qui parle du stigma lié à sa profession peut-elle vraiment choisir le mot « prostituée » plutôt que « travailleuse du sexe »? Pour quelqu’un qui ne suce pas de queues pour payer ses virées chez Sephora, ça peut sembler anecdotique, mais pour quiconque reçoit de l’argent contre des services sexuels tarifés, c’est d’une importance aussi capitale que de ne pas recevoir des gouttes de foutre dans les yeux. La deuxième fois, c’est lors de la dernière scène et ça nous a laissé un goût amer de déception dans la bouche.

Tiffany s’habille moins bien que A. et se masturbe devant une photo Facebook

Pendant les courts épisodes, L. s’est exclamé au moins dix fois que le personnage de Tiffany était pareil comme A., particulièrement les scènes où Tiffany est au lit et se fait servir un petit déjeuner par un de ses soumis. « C’est comme ça quand je fais des séances de douze heures », m’a appris A., qui a déjà loué des donjons pour y travailler. Elle reçoit maintenant parfois ses soumis chez elle, où elle a des meubles faits sur-mesure pour des pratiques BDSM et une machine suceuse de pénis, inspirée d’un modèle de trayeuse à vaches. Aller chez A., c’est avoir la chance de découvrir que la femme qui mange de la pizza extra bacon avec moi est aussi une femme qui sait comment électrocuter les gens quasi sans danger.

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La fameuse machine à sucer les pénis… qu’on ne voit pas dans la série.

Lorsqu’un soumis de Tiffany fait le ménage chez elle, nous avons questionné A. à savoir pourquoi elle n’avait pas de soumis en décoration chez elle. « C’est beaucoup d’organisation et de temps, de faire la liste d’épicerie, de dire exactement ce que je veux. C’est parfois plus facile de juste aller en auto au marché le plus proche et de tout faire moi-même », a expliqué A..

Nous avons trouvé étrange que Tiffany se masturbe en regardant la photo Facebook d’un camarade de classe. L. a trouvé pathétique l’ex-camarade d’école secondaire rencontrée dans un bar et qui a dû être aidée par Tiffany et Pete pour en sortir. A. et moi, presque piteuses, avons informé L. que nous avions déjà été très saoules, assez pour tomber dans les bras de doormen et d’avoir besoin d’un inconnu pour héler un chauffeur de taxi.

Nous avons aussi jugé le professeur de psychologie et ses étudiants qui semblent presque plus clichés qu’une dominatrice qui n’aurait que des clients aux pratiques sensationnalistes. « Les clients, ils ressemblent à ça un peu. Des hommes dont les femmes sont trop straights. Des hommes qui veulent se faire humilier, que je ris de leur pénis. »

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« La domination dans Bonding, c’est un peu la pratique moderne, celle qui est influencée par les clips sur Pornhub et les livres de Fifty Shades of Grey », élabore A., avant de préciser que la production de la série sur Netflix ne semble pas avoir fait le pari d’être totalement représentative : « Il manque de bondage. On dirait qu’il n’y a que des fétiches très spécifiques qui ont été choisis, comme les pingouins qui se battent. Le coloc insupportable de Pete est plus typique. Beaucoup de clients demandent du ass play. »

L’amitié plus importante que les fessées

Au-delà de ce qui n’est pas montré (la préparation nécessaire avant chaque séance, les limites bien énoncées de chaque participant, les risques de faire son coming out de travailleuse du sexe, les politiques effroyables qui mettent en danger l’intégrité et la sécurité de celles qui baisent ailleurs que sur un écran télé), la série montre une relation tendre, qui m’a fait soupirer de cuteness plus d’une fois.

J’ai été ravie d’un divertissement qui ne présente pas une professionnelle en latex comme une victime, mais plutôt comme une femme qui a commencé à expérimenter le BDSM pour reprendre le contrôle sur sa vie et pour être plus forte qu’un trauma.

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L’amitié de Tiffany et de Pete est au centre de la série, encore plus importante, selon moi, ou tout aussi essentielle, que les safe words et les litres d’eau à boire avant d’uriner sur un client captif. A. et L. savent aussi ce que ça représente, d’avoir des amies loyales à qui nous pouvons tout dire, alors que le travail du sexe est si facilement jugé et incompris. « Je ne peux pas dire à mon chum que j’aime ça baiser avec des clients des fois », résume pour sa part L.. Quand Tiffany et Pete se confient l’un à l’autre, couchés dans un lit, habillés et portant un masque de cuir, une scène des plus intimes se déroule, où les deux personnages s’ouvrent l’un à l’autre, sur leur passé et ce que signifie le sexe pour chacun d’eux. C’est mon moment préféré.

La série n’a peut-être pas été créée pour les travailleuses du sexe, mais même si je suis capable en deux secondes de me transformer en militante aux mots qui fouettent et vilipendent toute création stéréotypée sur le sujet, j’ai été ravie d’un divertissement qui ne présente pas une professionnelle en latex comme une victime, mais plutôt comme une femme qui a commencé à expérimenter le BDSM pour reprendre le contrôle sur sa vie et pour être plus forte qu’un trauma. Bonding n’est pas parfait (Tiffany n’a pas de plus belles bottes que mon amie A.) Sauf que le pari de présenter autrement des relations amicales queer ainsi qu’un métier surprenant est réussi.

Et ça, ça me comble plus qu’une fessée.

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