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URBANIA enquête sur les écureuils blancs du parc La Fontaine
C’était un après-midi d’automne. Je n’étais pas encore officiellement Montréalais – mon bail allait être signé le lendemain – mais j’apprenais, déjà, à faire une activité de gars de la ville : chiller au parc La Fontaine.
Le froid faisait qu’il n’y avait pas grand monde. Mon ami, moi, et des écureuils. Beaucoup d’écureuils. Et, parmi la marée grisaille de petites bestioles préparant leur hiver, un pelage blanc, ou plutôt blanchâtre, a attiré mon attention.
Saisi par la beauté de la chose, je me suis arrêté un moment, savourant l’instant. J’avais l’impression d’assister à quelque chose de rare, à une création de Dieu sua’ brosse. À un mouton noir, sous la forme d’un écureuil blanc.
Je prends donc un cliché, histoire d’avoir une preuve de mon observation à rapporter à mes anciens collègues du baccalauréat en environnement, à Québec.
L’ami qui m’accompagnait, un gars assez down to earth pour un pilote d’avion, a remarqué ma prise de photo. « Ouain. Il y en a plein, ici », a-t-il commenté. Sur le moment, j’étais déçu, mais j’ai apprécié son franc-parler.
Passion rongeur
Des écureuils, j’en ai vu pas mal dans ma vie. C’est un brag assez bizarre à faire, mais je l’assume. J’en ai déjà hébergé chez moi, j’en ai déjà sauvé du chat du voisin. J’en ai déjà eu dans les culottes, aussi (de façon accidentelle, mais ça, c’est une autre histoire).
Au primaire, je me souviens par ailleurs d’avoir déclarer à ma classe, lors du dîner de fin d’année, que mon animal préféré était le polatouche. Ça, c’est un écureuil volant avec un nom un peu sexu… euh, scientifique.
Bref, depuis ce jour d’automne mémorable, j’ai vu à quelques reprises des spécimens blancs au parc Laf’, et ça a toujours titillé mon intérêt. Et aujourd’hui, j’ai une job qui me permet d’explorer ce genre de questions (existentielles). Tout le monde à Montréal doit se vouloir connaître l’histoire des écureuils blancs, non? NON?
Phase 1 : la vérification
J’entreprends donc de joindre les communications de la Ville de Montréal, assumant que ma demande est d’intérêt public, et probablement déjà sous étude quelque part.
La blancheur du pelage des rongeurs est due soit au leucisme, soit à l’albinisme.
Après quelques coups de fil accompagné de rires – tout le monde aime les écureuils, ou presque – on m’a répondu par courriel que la blancheur du pelage des rongeurs est due soit au leucisme, soit à l’albinisme. Règle du pouce pour les différencier : le second type, qui est plus rare, a les yeux rouges.
« C’est un phénomène [les écureuils blancs] généralement assez rare et ce serait surprenant que ce soit répandu à Montréal. À notre connaissance, il n’y a pas de données pour quantifier le phénomène. »
Surprise! Et déception.
Portant toujours en moi la sincère conviction que quelque chose de spécial se produit dans la métropole… Je décide de poursuivre l’enquête.
Phase 2 : le travail terrain
Je suis un journaliste sérieux. C’est pourquoi j’ai l’audace de partir un lundi matin à quatre coins de rue du bureau, histoire de faire un recensement d’écureuils au parc La Fontaine.
Ma méthodologie n’a rien de très scientifique, mais elle est pleine de bonne volonté : un tour complet du parc en une trentaine de minutes, similaire à ce qu’un touriste pourrait faire. Ce faisant, je documente ce que j’observe sur mon chemin.
Verdict : 51 écureuils gris ou roux, 3 goélands, 1 mouchoir pris par erreur pour un écureuil blanc, et un groupe de mamans faisant du yoga-poussette.
C’est alors que je commence à douter de moi-même. Et si toute cette histoire s’était produite dans ma tête? Y a-t-il réellement des écureuils blancs au parc La Fontaine? Je me ressaisis, et refuse d’abandonner ma quête de vérité. Je ne suis pas encore au bout de mes ressources.
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Le yoga-poussette ainsi que les écureuils #50 et #51
Phase 3 : le second regard
Ai-je manqué un détail? Je relis le courriel que la Ville de Montréal m’a envoyé, à la recherche d’indices.
Sous la question « Le phénomène [des écureuils blancs au parc La Fontaine] remonte-t-il à longtemps? », je retrouve la réponse suivante : « L’albinisme et le leucisme sont des anomalies génétiques qui existent chez les animaux. Le phénomène n’est donc pas nouveau. »
Eh non. Je ne remarque rien de nouveau, si ce n’est qu’une note de passive-agressivité me rappelant que la théorie de l’évolution, ça ne date pas d’hier.
Phase 4 : le retour aux sources
Décidément, il faut que je me tourne vers un autre spécialiste. Je contact le très allumé Jean-Pierre Tremblay, professeur au département de biologie de l’Université Laval. Après l’avoir eu sur les bancs d’école, j’espérais l’avoir au bout du fil – il fait partie de ces professeurs qui ne s’isolent pas dans leur tour d’ivoire.
Et j’avais besoin de quelqu’un qui n’allait pas rire une fois de plus de ma question sur les écureuils.
Dring dring, réponse immédiate. « La question n’est pas si niaiseuse que ça », me rassure-t-il.
« Dans les populations qui sont exposées à des prédateurs, les écureuils blancs sont plus visibles et donc… ils s’exposent davantage à la prédation », relate le professeur. En gros, un animal blanc qui n’est pas censé être blanc risque d’être vu plus rapidement qu’un autre, et donc de finir assez vite dans le bec d’un faucon, par exemple.
Au parc La Fontaine, il n’y a pas beaucoup de prédateurs, si ce n’est des gens qui lancent leurs boules de pétanque trop loin.
Or, au parc La Fontaine, il n’y a pas beaucoup de prédateurs, si ce n’est des gens qui lancent leurs boules de pétanque trop loin. Cela laisse donc une meilleure chance de survie aux écureuils blancs que s’ils vivaient en forêt, où une belette pourrait facilement les rattraper.
Et qui dit vivre dit… se reproduire! Vous cherchez un sens à la vie? Dans le monde animal, c’est de répandre ses gênes le plus possible. That’s it.
Eh bien, imaginez-vous donc que le leucisme et l’albinisme sont des caractères héritables!
On a donc un facteur écologique (moins de prédation) et un facteur génétique (transmissible de génération en génération) pouvant se combiner et se solder par une présence disproportionnée d’écureuils blancs au Parc La Fontaine.
« C’est de même que l’évolution marche, hein! Le trait augmente dans la population puisqu’il est codé génétiquement, si la population a la chance de se reproduire et laisser des descendants », conclut M. Tremblay.
C’est donc entièrement théorique, puisqu’on n’a aucune donnée, mais… le parc Laf’ a le potentiel d’être, en quelque sorte, un incubateur à écureuils blancs.
Phase 5 : la perspective globale
Mais je voulais encore en savoir plus. À en croire les règles de l’écologie évolutive, cette tendance devrait être observable dans la plupart des parcs urbains de l’Amérique du Nord…
Heureusement, le biologiste Rob Nelson, qui a notamment œuvré à Animal Planet, s’est posé la même question. Et lui, il avait les moyens d’explorer les États-Unis à la recherche de réponses!
Bref, il s’est rendu compte que le phénomène se retrouve partout où il y a des écureuils gris, mais, comme l’indique mes conclusions, les villes offrent une meilleure chance de survie aux écureuils blancs en raison du faible nombre de prédateurs.
Même que certaines villes sont de véritables havres pour les écureuils blancs! Souvent, l’hypothèse privilégiée est associée à l’intervention humaine : des citoyens se seraient pris d’affection pour ces petites bestioles il y a plusieurs dizaines d’années, favorisant (involontairement?) leur reproduction.
Et quelques générations plus tard, les gênes liées au leucisme et à l’albinisme sont devenus omniprésent dans la population locale.
Phase 6 : La conclusion
Don’t fuck with mother nature. C’est toujours mieux, selon moi, de pas trop inférer dans les mécanismes écologiques, surtout quand on est juste un dude qui trouve les écureuils cute (et pas un biologiste suivant un plan rigoureux).
Les relations à distance, c’est difficile, mais c’est approprié pour les écureuils blancs et pour les animaux sauvages en général. Je les aime bien, et même si j’en ai déjà eu dans les culottes (INVOLONTAIREMENT, JE L’AI DÉJÀ DIT), maintenant, je les apprécie de loin!
P.S. Si quelqu’un veut bien faire une maitrise en écureuils blancs montréalais, j’attendrai vos données.