Logo

Une virée à Thetford Mines avec l’auteur d’« Amiante »

Le rêve mielleux de Sébastien Dulude.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
Publicité

Les hauts terrils apparaissent au loin à l’approche de Thetford Mines.

« Ouin, la végétation a poussé. Avant, on les voyait pas mal plus que ça. »

Assis sur le siège passager, Sébastien Dulude a accepté de me traîner dans les décors de son premier roman, Amiante (La Peuplade), qui cartonne présentement ici et en Europe, où il figure parmi les livres sélectionnés pour le Prix littéraire Le Monde.

Je n’avais jamais rencontré le nouveau romancier, vétéran poète et directeur littéraire des Éditions La Mèche, avant de passer une douzaine d’heures avec lui.

Intense, comme baptême, mais j’amorçais ce pèlerinage avec confiance.

Les quelques heures déjà consacrées à son roman m’ont enchanté.

On est vite transporté par ce récit d’amitié entre Steve Dubois et le petit Poulin (Charlélie), campé d’abord dans le Thetford Mines des années 80.

Publicité

Une rencontre entre deux gamins à un âge où tout se vit sans complexe, en symbiose, dans le paysage lunaire d’une des principales villes québécoises de l’amiante. Un coup de foudre amical où on ne s’enfarge pas dans les fleurs du tapis, à l’abri d’une cabane dans les arbres.

J’avais senti dès la première fraction de seconde du croisement de nos regards, dans sa manière d’opiner du museau vers moi en m’apercevant, qu’il était l’ami que je cherchais désespérément.

Salut.

Salut.

Les gens de mon âge se retrouveront dans cette langueur des étés sans wifi, où deux amis tuent le temps à lire des bandes dessinées et à documenter dans un scrapbook les tragédies marquant l’actualité de l’époque, notamment l’explosion de la navette Challenger, le 28 janvier 1986.

Publicité

L’histoire est narrée par Steve, qui trouve en le petit Poulin un refuge dans un monde violent, tiraillé entre un climat familial dysfonctionnel et l’intimidation scolaire.

Le roman se divise en deux périodes, soit 1986 et 1991, où l’on retrouve Steve au secondaire, à l’âge de la révolte sur une trame sonore de musique grunge et de dynamitage quotidien à la mine sur le coup de 16h.

Si ce saut dans le temps n’est pas synonyme de long fleuve tranquille, le paysage reste le même, dans la poussière soulevée par le passage de camions-bennes. « Ça rend juste le décor plus violent en toile de fond. Moi, c’était pas mon focus. Mais pour raconter l’histoire d’enfants, pas le choix de comprendre comment la mine agit sur eux », raconte Sébastien Dulude, du haut d’un belvédère surplombant la mine aujourd’hui abandonnée.

À côté de nous, deux cyclistes profitent d’une pause pour admirer le panorama.

De l’eau turquoise morte repose au fond du cratère de la mine abandonnée il y a une quinzaine d’années. « Les gens y font de la plongée, maintenant. Mais quand on est partis, en 1993, l’eau était pompée », raconte le romancier de 48 ans, qui a vécu une décennie tout près d’ici, dans le quartier Mitchell.

Publicité

Un terrain de jeu dangereux

Même pour moi, qui ai grandi en bordure de la carrière Mathers à Saint-Eustache, le milieu de l’amiante me semble hostile. « Ça crée un terrain de jeu dangereux. On arrivait en haut de ces montagnes-là tout coupés, en gougounes, et l’objectif était de crisser quelque chose en bas. Quand on avait trouvé un pneu, on était contents », confesse l’auteur, qui décrit à merveille ses efforts juvéniles pour soulever un immense (vraiment immense, là) pneu de camion-benne et faire des wheelies en vélo dans le sentier menant au lac Noir.

L’amiante plane en background du roman. Dans le réel, ces particules se déposant sur les poumons et susceptibles de causer des maladies graves, comme le cancer, revêtent une dimension concrète et menaçante. « Je trouve ça un peu débile, de s’attaquer à un paysage comme ça pour extraire je ne sais trop quelle quantité d’amiante! », s’exclame le poète, devant cette nature morte de montagnes polluées.

Publicité

« Avant, il y avait des camions jaunes, des bruits de moteur et celui du convoyeur de concassage de roches. La mine était une force invisible. Quand elle repartait, on le savait », décrit Dulude, parlant de cette époque où la mine était – pardonnez la formulation – le poumon économique de la région.

N’en déplaise aux Français qui raffoleraient de ce côté Germinal, Amiante n’est pas une critique du milieu ouvrier ou une charge à fond de train contre l’exploitation minière pour autant, des thèmes abordés avec sobriété, en filigrane. La fermeture imminente flotte comme une épée de Damoclès au-dessus du gagne-pain des hommes, comme le père de Steve, qui chauffe un gros camion et évacue son stress sur son fils, pas assez homme à son goût.

Dans la vraie vie, le père de Sébastien Dulude était aussi employé de la mine, mais pas derrière le volant d’un poids lourd.

Publicité

« Il était VP de la Société Asbestos ltée (communément appelé SAL). Sa job était de fermer la mine », résume le fils.

Réalité vs fiction

Plus la journée avance, plus je constate que le roman est moins autobiographique que je ne l’aurais cru. A-t-il voulu duper le lectorat en jouant avec les similitudes existant entre lui et Steve Dubois (qui a d’ailleurs réellement existé)?

Sans rien divulgâcher, disons que réalité et fiction ont été passées au blender et que la narration au « je » peut s’avérer trompeuse.

Si le nom de la rue Coleraine est bien réel, Steve et le petit Poulin ont-ils vraiment habité côte à côte? Debout devant les bungalows en question, Sébastien s’amuse un peu de voir les points d’interrogation dans mon visage.

Publicité

Au fait, il a bel et bien existé, le petit Poulin? Un sourire espiègle se dessine sur le visage du romancier. Il n’est absolument pas ici pour départager le vrai du faux. Il y prend presque un plaisir malicieux. « Tout le monde spécule sur qui est qui, mais personne n’a fait de lien avec le petit Poulin. Sinon, l’ancienne secrétaire de mon père m’a aussi écrit pour me dire qu’elle va passer au lancement, tantôt », laisse seulement tomber Dulude, au sujet de l’événement prévu à la fin de notre tournée à la librairie locale.

Après avoir vécu un an et demi sur la rue Coleraine en haut de la côte (dans le secteur des boss), Sébastien m’amène visiter son ancienne demeure tout près de la mine, sur la rue Mooney. Une grosse cabane à l’ombre d’une pinède, convertie en auberge après leur départ.

La grosse roche est encore là sur le terrain. Même chose pour les pins blancs aux branches horizontales pour soutenir les fondations d’une cabane. « Avant nous, l’endroit hébergeait les invités de prestige de la mine. Quand on l’a récupéré, ça faisait 4-5 ans qu’il était inoccupé. Ça prenait deux jours à tondre le gazon, moi je faisais le weed-eater », se remémore Sébastien, qui a l’impression que ce vaste domaine boisé est plus petit que dans ses souvenirs.

« Patrick Lagacé est déjà venu ici parce qu’il sortait avec ma cousine, animatrice de camp de jour. Il nous chantait des tounes et était lui aussi animateur. »

Publicité

Au-delà de ces souvenirs prophétiques, l’endroit revêt une symbolique puissante, qui le revisite encore aujourd’hui.

« Je rêve plusieurs fois par année que je sors d’ici et qu’un char manque de m’écraser… », confie Dulude.

OK, et c’est quoi son interprétation, au juste?

« Que je ne peux pas sortir de cette maison. On l’a quittée dans l’urgence, après la mort de mon père. »

Publicité

Sortir de la maison

Sans tomber dans la psycho pop à deux cennes, Amiante est peut-être un moyen de faire la paix avec le décès du paternel des suites d’une maladie à 43 ans. Sébastien n’avait que 16 ans et n’a jamais eu le temps de le confronter sur certaines cicatrices qu’on expose dans le livre.

Et le rêve récurrent d’être bloqué dans la maison familiale le ramène à la case départ, comme pour lui rappeler la part d’ombre à exorciser.

En attendant, Sébastien me balance tout bonnement devant une piste de motocross du quartier Saint-Alphonse à quel point l’histoire de Winnie the Pooh a influencé la genèse de son roman. Rien que ça.

Publicité

« Je me suis mis à penser aux personnages sur le plan psychopathologique. Winnie est un peu TDAH, distrait, obéit à ses instincts, comme le petit Poulin. Steve, comme Jean-Christophe, vit dans un monde presque sans adultes, dans sa tête. C’est peu le maître de cette histoire, c’est écrit dans une langue plus vieille que son âge », souligne Sébastien, qui a d’ailleurs caché quelques indices dans son texte.

Même chose pour Cindy, l’amie adolescente de Steve, dont la source est puisée dans le folklore musical des années grunge.

« Au fond, ce qui est biographique, c’est tout ce qui est secondaire », résume enfin Sébastien Dulude.

Le lancement de son livre est prévu dans quinze minutes à la librairie L’Écuyer, sur le boulevard Frontenac. Le romancier enfile une chemise et se parfume un peu (trop). On s’y dirige les fenêtres baissées tout en croisant les écoles primaires et secondaires qui partagent le même terrain sur la rue Saint-Patrick. Des rénovations sont en cours sur la façade de la piscine de la polyvalente, où Sébastien a passé ses couleurs et sa croix de bronze. « J’ai été prof de nage et lifeguard

Publicité

On roule ensuite devant l’église puis le stade « des caisses pop », où Samantha Fox a joué, un soir, en 1989.

Une pas pire foule attend l’auteur de l’heure à la librairie. Des gens qu’il n’a pas vus depuis trente ans, comme Doyon, devenu un personnage. Son ancienne gardienne aussi. Sinon, des citoyens qui se sont sentis interpellés par une histoire qui parle d’eux. « Ce livre-là est venu d’une place spéciale. Je m’habitue à le confronter avec le vrai monde », admet, ému, Dulude.

Le public est curieux. Un homme assez âgé exprime ses commentaires à chaud. « Ce que j’ai lu à date, je te félicite, c’est très intéressant. »

Entre ces murs, le mot « Amiante » n’est pas synonyme de poison, mais de vie, de patrimoine et de souvenirs.

Publicité

Sébastien Dulude le sait, saisit la balle au bond. « Le mot “amiante” a mauvaise presse, mais c’est un beau mot. Il contient les mots “ami” et “aimanté” ».

Épilogue

Sur le chemin du retour, mes deux lumières de phares sont presque brûlées et la conduite est hasardeuse sur les routes sombres menant à l’autoroute 20.

Nerveux, je me dis que pour nos éditeurs, la mort de deux auteurs ne pourrait que s’avérer payante, d’un point de vue marketing.

On rigole et Sébastien me surnomme le JMP de l’autoroute, tellement je flash mes hautes pour me repérer sur la voie rapide.

Publicité

Je le dépose presque douze heures après notre départ au métro Saint-Michel, avec l’impression de connaître autant Sébastien Dulude que Steve Dubois. Au moment où vous lirez ces lignes, il amorcera un périple de cinq semaines en Europe, où il trainera Thetford Mines dans sa petite poche d’en arrière.