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Une vie sans permis de conduire, est-ce que c’est vraiment possible?
Mon parrain a vécu pas mal toute sa vie sans posséder de permis de conduire. Plus jeune, chaque fois qu’on faisait une activité, il me trimballait un peu partout en transport en commun. J’aimais ça, le métro, mais même en bas âge, je me suis rapidement rendu compte qu’on ne pouvait pas aller partout sans voiture et encore moins sans permis de conduire.
Ok, peut-être que c’est possible de vivre sans permis à Montréal… Mais est-ce que ça l’est… EN BANLIEUE?
Je connais bien des gens qui n’ont pas de voiture, mais pas de permis pour en conduire, ça, c’est une autre histoire. En fait, 79 % des Québécois de 16 ans et plus sont titulaires d’un permis de conduire.
Gageons que parmi les 21% qui n’en possèdent pas, la plupart habite là où il y a un bon réseau de transport en commun, donc généralement en ville. C’était toute une mission de trouver un être humain sans permis à l’extérieur du grand métropolitain!
PETIT VOYAGE À SAINT-JÉRÔME
C’est à Saint-Jérôme que j’ai trouvé mon bonheur, sous la forme de Thiago, un homme de 39 ans, qui n’a jamais eu de permis de conduire… jamais!
On pourrait croire que c’est par choix économique, puisqu’il faut se le dire : une voiture, ça coûte cher. Au Québec, selon l’Association canadienne des automobilistes (CAA), le budget moyen alloué annuellement à une automobile est de 11 000 $, un montant qui comprend les frais d’immatriculation, d’assurance, de changements de pneus, de carburant, etc. C’est une somme qui peut évidemment varier, mais il reste que sur 30 ans, la facture peut monter à 330 000 $.
Dans le temps je vous aurais dit que c’est le prix d’une maison à Montréal, mais maintenant, je dirais plus que c’est le prix d’un cabanon… ou d’une maison à Trois-Rivières. Bref, c’est beaucoup de sous!
Thiago est conscient qu’il a possiblement économisé beaucoup d’argent au fil des années, mais la vraie raison qui l’a poussé à vivre une vie sans permis de conduire est sa peur des voitures.
Une peur qu’il décrit comme irrationnelle. Il a peur de se faire « frapper par un plus gros bolide que lui ». Il ne fait pas de vélo non plus puisque, là aussi, il a peur « de mourir écrasé ». Il préfère donc être dans l’autobus, car « c’est lui qui écrasera les gens s’il arrive quelque chose ». Évidemment, il ne souhaite de mal à personne, mais il se sent en sécurité lorsqu’il est dans un gros habitacle.
« Quand je suis dans une voiture, je me sens vulnérable. On se sent petit. Plus le véhicule devant moi est gros, plus je fige. »
Au final, le seul moment où Thiago n’est pas stressé en voiture, c’est quand elle est à l’arrêt.
« Je ne suis pas né pour conduire »
Thiago a grandi au Brésil, dans la ville de Recife. Il a ensuite habité la ville de Brasilia, rencontré son copain et emménagé en 2010 à Montréal. Ça fait maintenant presque deux ans que Thiago habite Saint-Jérôme et il sait déjà quoi me répondre quand je lui demande si c’est possible de vivre sans permis de conduire en banlieue.
« Au Brésil, c’est possible. À Montréal aussi… mais à Saint-Jérôme, non, pas du tout. Saint-Jérôme c’est vraiment comme un monde parallèle. »
Quand on téléphone à EXO, anciennement le Réseau de transport métropolitain, un enregistrement nous avertit de plusieurs changements dus à un personnel réduit. Thiago se dit donc victime de cette pénurie de main-d’œuvre, puisqu’avant, il y avait plus d’options.
« Mon quart de travail commence à 7h. J’ai une seule option d’autobus le matin. Je dois me lever à 4h30, quitter la maison à 5h pile, marcher 20 minutes pour me rendre à l’arrêt et attraper le bus de 5h20. J’arrive au travail 30 minutes à l’avance parce que si je prends le bus suivant, j’arrive 10 minutes en retard. Une fois à l’arrêt d’autobus, il me reste encore 15 minutes de marche en direction de mon travail. »
Parlant de marche, Thiago marche en moyenne 160 kilomètres par mois.
Une vie d’athlète
« Sans voiture, ma vie est plus saine. Tout ce que je fais, c’est à pied. Je marche quand même environ 40 minutes par jour. C’est quasiment une vie d’athlète. »
Thiago est catégorique : le fait de ne pas avoir de permis de conduire le garde en santé.
Ça lui fait aussi découvrir son quartier puisqu’il emprunte des rues différentes pour casser la routine.
« Aussi, j’achète moins parce que je suis à pied. Je dépense beaucoup moins d’argent parce que tout est basé sur le poids que je peux transporter à pied. Je prends ce dont j’ai besoin seulement. Par contre, je dois aller plus souvent à l’épicerie et je suis constamment en train de calculer mon temps pour ne pas manquer les autobus ou mes transferts. »
Mais comment les gens réagissent en apprenant qu’il n’a pas de permis de conduire?
« Ça c’est drôle parce que, en raison de mon âge, 80 % des gens pensent que j’ai perdu mon permis dû à l’alcool ou à une mauvaise conduite. Mais non; je n’ai pas perdu mon permis et en plus, je ne bois même pas. Les gens sont choqués et ne comprennent pas qu’une personne adulte n’ait pas de permis de conduire. »
Obligé de prendre un permis
Malheureusement, Thiago a perdu la qualité de vie qu’il avait à Montréal à cause du manque de transport public à Saint-Jérôme.
« Sans permis de conduire ici, c’est tout à fait impossible. On ne peut aller nulle part. Même aller à l’arrêt d’autobus, c’est loin! »
« Je veux retrouver ma qualité de vie et avoir un peu d’autonomie. Je suis trop dépendant de mon conjoint qui, lui, a une voiture. »
Thiago n’a jamais eu besoin de prendre un permis de conduire avant aujourd’hui. Au Brésil et à Montréal, il était 100 % autonome et n’avait pas besoin de quémander de lifts non plus.
« Dès la première journée où je suis arrivé, j’ai regretté et compris que je ne pourrais pas me déplacer sans permis à Saint-Jérôme. C’était frustrant. J’ai refusé toute ma vie d’avoir un permis, donc ça me fait de la peine de devoir passer par-dessus ça. »
Même si avoir une voiture lui permettra de gagner environ trois heures par jour et de se lever plus tard, Thiago n’a l’intention de laisser cela changer ses habitudes.
« Une voiture, ça rend plus sédentaire. On s’habitue à son confort. On ne veut plus aller à pied à l’épicerie. Je me suis fait une promesse : avoir une voiture seulement pour le travail et continuer de marcher pour faire mes courses. »
Il est donc en processus d’obtenir son permis d’apprenti conducteur même si conduire le stresse énormément. Il doit même porter des gants pour éviter que ses mains ne glissent sur le volant à cause de la sueur provoquée par l’anxiété.
« Je vais terminer mes cours en juin et après, je vais probablement aller échouer mon examen. Je me suis préparé mentalement à le couler! »
Mais ce qui m’a finalement fait le plus rire, dans cette rencontre-là… c’est que l’emploi de Thiago qui consiste à construire des camions!
« Ça fait drôle… Je construis des camions, mais je ne sais même pas conduire! »
Souhaitons que notre spécimen rarissime obtienne son premier permis à vie du premier coup! Et souhaitons aussi qu’il ne découvre jamais à quel point il est difficile de trouver du stationnement à Montréal!