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Une vie à pousser de la fonte

Par
Drowster
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En pratiquant son métier, le photographe Drowster rencontre une foule de personnages plus grands que nature aux histoires captivantes. Jean fait partie de ceux-là.
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Jean a toujours mené sa vie normalement.
À l’adolescence, il se tourne vers la musculation. Une façon de fuir l’intimidation, d’échapper à ses problèmes. Au fil du temps, l’alcool et les drogues lui volent plusieurs amis. Jean, lui, évite le même sort en soulevant des poids, sans relâche.
Après ses études en langues, il jongle entre plusieurs boulots: enseignement, usines et rénovation. En marge, il prend part à plusieurs compétitions athlétiques et écrit des livres sur le sujet en espérant un jour être publié, sans succès. Il autopublie finalement son premier guide d’entraînement en 1998.
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Il y a un peu plus de trois ans, alors qu’il approche d’une tranquille retraite bien méritée, une surprise l’attend : on lui annonce que ses nerfs optiques s’assèchent. Bientôt, il perd la vue. Ses plans s’effondrent, ses repères aussi. Il rêvait de visiter l’Europe, cela n’aura jamais lieu.
Six jours par semaine, trois heures par jour, il s’isole dans le coin du garage de son immeuble et vaque à son occupation favorite, celle à qui il a été loyal toute sa vie.
Envahi par la honte, il tente de cacher son nouveau handicap. Aux inconnus, mais aussi à ses proches. Utiliser une canne? Pas pour lui. Ce serait annoncer ses couleurs, ce serait se sentir comme une proie. Foncer dans les obstacles lui semble plus… honorable? Mais ce ne sera pas sans conséquence. Ses amis cessent peu à peu de lui parler, sa famille s’éloigne.
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Aujourd’hui, il n’a plus rien à faire. Il survit, mais ne vit plus vraiment. Son existence lui apparaît comme un échec.
Une chose toutefois le retient ici. Six jours par semaine, trois heures par jour, il s’isole dans le coin du garage de son immeuble et vaque à son occupation favorite, celle à qui il a été loyal toute sa vie. Il limite les échanges avec ses voisins qu’il entend au loin lorsqu’ils approchent de leur véhicule. Plusieurs ignorent encore qu’il est aveugle. Ici, dit-il, je ne dérange personne.
Un peu avant de perdre la vue, Jean a écrit un nouvel ouvrage. Une autobiographie intitulée «Vérité et persévérance d’un champion oublié». Il a peu d’espoir qu’elle attire l’attention d’un éditeur même s’il y met tous les efforts. Au Québec, affirme-t-il avec une pointe de frustration, il n’y en a que pour le hockey. Il me parle de l’importance de la santé physique et mentale, il aimerait que l’on n’oublie pas qu’il a été une personne déterminée.
Jean avait un rêve. Devenir superhéros. Hulk ou Thor, l’un ou l’autre.
Il continue donc de s’entraîner. Et le fera jusqu’à la fin.
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