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Une vague #MeToo a lieu actuellement dans le monde du jeu vidéo

Malheureusement, tout ne s'est pas réglé en 2017...

Par
Pier-Luc Ouellet
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En 2017, le mouvement #MeToo prenait son essor, avec les conséquences qu’on connaît; de nombreuses femmes ont dénoncé un problème d’inconduites sexuelles systémique (dans le monde du divertissement, mais pas seulement), quelques têtes d’hommes importants sont tombées, et depuis, la discussion sur les traitements réservés aux femmes se poursuit, même si on est loin (très loin) d’avoir tout réglé.

À l’époque toutefois, l’industrie des jeux vidéo était restée assez muette.

Tout ça a changé dans les dernières semaines, alors qu’une dénonciation particulièrement remarquée a encouragé de très nombreuses artisanes du jeu vidéo à dénoncer à leur tour.

Portrait d’un #MeToo 2.0.

Une dénonciation qui lance le mouvement

On peut retracer les origines de cette histoire au témoignage de Nathalie Lawhead, développeuse de jeux basée en Californie.

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Le 26 août dernier, Lawhead publie sur son blogue un long témoignage qui raconte comment une compagnie a profité de son travail en la manipulant psychologiquement.

Le témoignage de Lawhead a surtout entraîné une nouvelle vague de dénonciations.

Mais ce qui retient le plus l’attention, c’est qu’elle accuse Jeremy Soule, compositeur derrière de nombreux jeux à succès dont Skyrim, de l’avoir violée puis de lui avoir fait vivre du harcèlement psychologique, notamment en utilisant son influence dans le domaine pour menacer de mettre en péril sa carrière.

Parce que l’homme qu’elle accuse jouit d’un statut de «légende» dans l’industrie du jeu, le témoignage de Nathalie Lawhead a eu l’effet d’une bombe dans la communauté vidéoludique.

Plusieurs ont réagi, certains félicitant Lawhead pour son courage et lui offrant leur soutien, d’autres remettant en doute les accusations.

Le témoignage de Lawhead a surtout entraîné une nouvelle vague de dénonciations.

La nouvelle affaire Zoé Quinn

Dans les jours qui ont suivi, Zoé Quinn a également publié un témoignage.

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Si ce nom vous est familier, c’est qu’elle est la développeuse qui a eu le malheur d’être au centre de toute la controverse du Gamergate. Si vous n’êtes pas familiers avec le Gamergate, il s’agit d’un épisode où un groupe de gamers se sont mis à accuser Quinn, et les femmes développeuses en général, de coucher avec des journalistes en échange de bonnes critiques.

Sous prétexte de se porter à la défense de l’intégrité journalistique, on s’est donc mis à harceler et menacer (de mort et autres sévices) de nombreuses femmes, Quinn en tête de peloton.

Quinn a donc décidé de dénoncer un développeur, Alec Holowka, qui l’aurait également agressée.

Un pan de l’Internet a décidé d’utiliser le suicide apparent d’Alec Holowka comme arme contre Zoé Quinn, accusant la jeune femme d’avoir causé la mort de ce dernier.

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Immédiatement, des anciens collègues et amis d’Holowka ont publiquement appuyé Quinn, déclarant que les accusations allaient malheureusement dans le sens de ce qu’ils connaissaient de l’homme, et que Zoé Quinn avait leur soutien.

Quelques jours plus tard, Holowka s’est (apparemment) enlevé la vie.

La soeur d’Holowka, qui a annoncé la nouvelle sur les réseaux sociaux, a demandé à l’Internet de ne pas s’attaquer à Quinn en précisant que son frère lui-même aurait spécifié ne souhaiter que le meilleur pour développeuse.

Malheureusement, cela n’a pas été suffisant et un pan de l’Internet a décidé d’utiliser le suicide apparent d’Alec Holowka comme arme contre Zoé Quinn, accusant la jeune femme d’avoir causé la mort de ce dernier.

Quinn a donc subi une nouvelle vague de harcèlement et de doxxing, pratique qui vise à rendre publiques les informations personnelles d’une personne.

La situation s’est envenimée à un tel point qu’elle a dû quitter les réseaux sociaux une nouvelle fois.

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Si certains osent encore se demander pourquoi il est difficile pour les femmes de dénoncer, et pourquoi certaines prennent des années avant de le faire, voilà une bonne raison.

Qu’en est-il du Québec?

Montréal est une plaque tournante du jeu vidéo à l’international, la troisième ville en importance selon la plupart des indicateurs.

Il est donc permis de croire que nous ne sommes pas épargnés.

Une développeuse nous a d’ailleurs contactés anonymement pour nous témoigner de son expérience (ndlr: le témoignage a été traduit librement de l’anglais): « Une compagnie de jeux pour adultes basée à Montréal m’a renvoyée parce qu’ils ne voulaient pas de femme à ce poste, même s’ils me disaient que ma performance était bonne. Je me rappelle que le directeur de l’édition essayait de passer du temps seul avec moi. J’ai toujours refusé, et peu de temps après j’ai perdu mon emploi. Il était présent et hostile à mon égard.

On a affaire à un petit milieu qui brasse des milliards, et surtout, c’est un milieu d’hommes.

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Durant le MIGS (un événement pour les développeurs), j’ai aussi fait l’expérience de comportements sexistes à mon égard. Mon collègue masculin a reçu des messages durant l’événement, provenant de participants lui disant que je devrais faire attention de ne pas être ”trop” amicale. […] Un employé d’une grosse compagnie de distribution de jeux numériques a aussi traité une femme qui participait à l’événement de salope parce qu’elle était amicale (a.k.a. parler aux gens et sourire)».

On a affaire à un petit milieu qui brasse des milliards, et surtout, c’est un milieu d’hommes. On comprend donc que les victimes préfèrent parfois se taire pour protéger leurs carrières.

Il nous reste à espérer que ce nouveau #MeToo puisse changer la donne dans cette industrie, faire en sorte que les victimes obtiennent justice, provoquer une discussion, pousser les entreprises à développer des règlements clairs sur le harcèlement sexuel et que ce soit les agresseurs qui aient honte, pour une fois.

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