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Une thérapie gratuite pour tous. Pour vrai.

Guérir grâce à l’art

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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En entrant dans la Ruche d’art, mon pouls ralentit spontanément. Mes épaules se détendent. Mon diaphragme se décontracte. On m’offre un thé. L’espace, bien que rempli de matériaux disparates, est hyper zen. J’ai l’impression de pénétrer dans un petit temple. Pourtant, je suis au cœur du Musée des Beaux-arts de Montréal. Et je m’apprête à jaser non pas avec un gourou, mais avec un art-thérapeute.

Ben voyons donc que ça existe!

Une Ruche d’art, c’est un espace communautaire où tout un chacun est invité à créer. Créer ce qu’il veut (une toile, un poème, un tricot, une chanson, une sculpture, peu importe). Et même pas besoin de savoir ce qu’on fait! C’est un carrefour d’échanges qui encourage la mixité, la réunion d’artistes, de familles, d’enfants comme d’adultes, d’individus isolés, de personnes avec des problématiques de santé mentale, ou pas. On ne fait pas le foyer là-dessus. On se contente d’offrir gratuitement des matériaux, et des oreilles expertes, à ceux qui veulent se prêter à l’expérience. C’est tout simple: quand on entre dans une ruche d’art, on devient automatiquement un «artiste», m’explique l’art-thérapeute Stephen Legari.

«Étudier scientifiquement les bienfaits de l’art sur la santé.»

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Depuis le 29 mars, Stephen accueille qui le veut bien au sein de sa ruche, créée dans le cadre du programme «art-thérapie et mieux-être Rossy» (une famille de mécènes qui supporte grandement les activités du musée).

Grâce à ce nouveau programme, le MBAM pourra étudier scientifiquement les bienfaits de l’art sur la santé. On parle ici de l’implantation de la 105e Ruche d’art au monde – la première dans un musée! -, de l’accueil de stagiaires provenant de l’Université Concordia, de la poursuite des projets de recherche avec divers centres hospitaliers en art-thérapie, et de la mise sur pied du Comité Art et Santé, présidé par Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec. Rien de moins.

Pour vrai, c’est gratuit?

«La ruche est ouverte le mercredi, de 15h à 20h, et le dimanche, de 13h à 16h. On peut prendre les matériaux qu’on veut, laisser notre œuvre ici pour la poursuivre plus tard, la ramener chez soi, la jeter. Pas de règles. C’est un espace spontané, non planifié. Je travaille avec des médiateurs culturels, et quand un artiste entre, on l’invite à parler. On passe un peu de temps avec chaque personne pour comprendre ce qui l’amène ici, comment elle nous a découverts. Puis on l’introduit aux différents matériaux. C’est un buffet! Faites comme chez vous: collage, dessin, peinture, sculpture. On a tout ce qu’il faut! Ici, les beaux-arts sont médiums d’expression. On va au-delà des mots, avec une approche flexible, de médicale à communautaire. On ne fait pas d’interventions cliniques, mais on essaie d’aider les personnes à gérer leur détresse émotionnelle, si elles en ont besoin.»

La Ruche d’art, c’est un espace mixte. On peut parfois entendre 5 langues en même temps, dans le local!

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Est-ce que je dois feeler croche pour me pointer à la Ruche, Stephen? «Pas du tout ! Tout le monde peut y trouver une source de bien-être. La majorité des gens n’imaginent pas que c’est un espace thérapeutique, parce que l’effet est subtil, progressif. En même temps, on vit tous des obstacles et on ne réalise pas toujours qu’on a besoin d’aide. Ici, on peut être soutenu par des médiateurs culturels, des art-thérapeutes, mais aussi par des gens d’âge, d’identités et de cultures différentes. Sans étiquette. C’est un safe space pour tous. La Ruche d’art, c’est un espace mixte. On peut parfois entendre 5 langues en même temps, dans le local! Chaque personne arrive avec sa culture. L’objectif est d’aller à la rencontre d’autrui. Qu’on soit introvertis, extravertis, peu importe. On ouvre un dialogue et on invite les gens à créer à côté de certains des plus grands tableaux du monde!»

J’ai dû répéter la question au moins trois fois, incrédule: «Et c’est gratuit?» Chaque fois, Stephen m’a donné la même réponse: «Absolument.»

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J’tu obligée d’être bonne?

Je ne sais faire qu’une chose, en dessin: un chat qui marche vers l’avant. Je me sentirais très imposteur d’entrer ici pour créer. Je ne saurais pas par quoi commencer ni comment faire.

Stephen me rassure: «Je comprends! J’ai un bac en beaux-arts et une maîtrise en art-thérapie, mais ça m’a pris du temps pour créer dans l’espace-commun, pour comprendre qu’on n’a pas besoin d’avoir une «compétence» dans un art précis pour se lancer. Et on a tout un réseau, ici… Si un artiste me dit qu’il a envie d’apprendre à tricoter, je peux lui présenter une habituée du tricot. Il n’y a pas de prof. C’est informel! Mais je peux organiser des rencontres stratégiques… Si un artiste ressent le besoin d’être seul, je l’inviterai à s’installer sur un sofa, un peu à l’écart. Si je crois qu’il a besoin d’une présence rassurante, je l’inviterai à s’asseoir près d’habitués, je jaserai plus longuement avec lui. Des parents viennent avec leurs enfants pour leur montrer que la mixité, ça n’a rien d’effrayant. D’autres personnes viennent parce qu’elle ont été initié à l’art-thérapie auparavant, alors que certains individus viennent simplement entre amis, après avoir fait le tour du Musée. L’important, c’est de s’enlever de la tête l’idée selon laquelle on ne mérite pas de s’accorder un peu de temps pour créer.»

– Et… c’est vraiment gratuit?
– Absolument.

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Le Musée des beaux-arts de Montréal et l’éducation

Je l’ignorais avant de jaser avec Stephen Legari et Thomas Bastien, directeur par intérim du Département de l’éducation et de l’action culturelle, mais le MBAM poursuit une mission d’éducation communautaire et humaniste depuis plusieurs années. Ainsi, La Ruche d’art se déploie dans l’Atelier international d’éducation et d’art‐thérapie Michel de la Chenelière (un très important mécène).

Le musée est le meilleur endroit pour faire du bien au cœur, à l’esprit et au corps.

L’Atelier international est le plus grand espace éducatif dans un musée d’art en Amérique du Nord. En 2015 seulement, 300 000 personnes ont pris part à ses activités éducatives, culturelles et sociocommunautraires! On parle tout autant d’ateliers pour étudiants que pour personnes souffrant d’Alzheimer, de troubles alimentaires, de radicalisation ou d’isolement, par exemple.

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Thomas Bastien m’explique: «La Ruche, c’est le prolongement de ce musée sociétal qui fait du bien. C’est le résultat d’une expertise développée dans la dernière décennie, d’une médiation culturelle qui va de plus en plus vers la santé. Le sport fait du bien, tout le monde le sait. Mais ici, on comprend que l’art en fait tout autant! Dans une société où les gens sont toujours en mouvement, peu d’espaces dans la ville offrent un répit. On est hyper sollicité, au quotidien. C’est pourquoi on a besoin d’un espace serein et sécuritaire. Le musée est le meilleur endroit pour faire du bien au cœur, à l’esprit et au corps. Espérons que notre modèle fera école.»

Mets-en. Espérons-le. D’ici là, je saurai où me tenir les mercredis soirs.

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