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Une pub qui nous remet notre racisme systémique en pleine face

Amnistie Canada Francophone et l'agence Taxi ont créé une campagne qui fait réagir.

Par
François Breton-Champigny
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«Le racisme systémique existe au Québec. Arrêtons de l’ignorer», peut-on lire sous la vidéo YouTube d’Amnistie internationale Canada en lien avec leur récente campagne publicitaire sur le racisme systémique dans la province.

Pendant 1 minute et 43 secondes, des statistiques disgracieuses qui feraient rougir François Legault de honte défilent à l’écran. Un homme et une femme issus de minorités visibles implorent également l’auditeur de ne pas les ignorer, le premier à l’occasion d’une visite d’appartement et la deuxième pendant une entrevue d’embauche, tout en remettant au visage de la société québécoise des préjugés bien ancrés.

«Vous êtes trop distrait par mon accent parce que je ne sonne pas comme vous?» demande le premier. «Vu que je n’ai pas l’air de venir d’ici, j’ai bien moins de chances d’être engagée qu’un blanc», déclare la deuxième juste après.

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Le moins qu’on puisse dire c’est qu’on se sent petit dans nos shorts en tant que personne au sommet de la pyramide des privilèges lorsqu’on regarde cette publicité engagée.

Pourquoi et comment aborder cet enjeu de l’heure en pub? On a posé ces questions à Rafik Belmesk, VP stratégie à l’agence Taxi, qui a signé la campagne et France-Isabelle Langlois, directrice générale de la branche canadienne francophone de l’organisation qui vise à faire respecter les droits de la personne.

Provoquer les gens pour du changement

«On voulait mettre de l’avant que les personnes racisées dépendent en quelque sorte des personnes privilégiées pour avoir accès à des services de base, comme le logis et le travail, et que dans bien des cas, elles sont tout simplement ignorées à cause de leurs origines», explique d’emblée Rafik Belmesk.

L’équipe de création de Taxi a décidé de se «réapproprier» les codes de réseaux sociaux pour donner une image plus frappante de ces enjeux et «confronter les gens à leurs propres biais».

Dans le scénario de la femme qui passe une entrevue d’embauche, on reconnaît l’interface de YouTube avec la fonctionnalité qui permet d’ignorer une annonce pour accéder à une vidéo. «Ne m’ignorez pas, s’il vous plaît, tout le monde le fait!» supplie d’ailleurs l’actrice lorsque le bouton «Ignorer l’annonce» apparaît à l’écran.

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Dans le scénario de l’homme à la recherche d’un appartement, c’est plutôt le format des stories Instagram qu’on reconnait. «Non, non, non! Ne m’ignorez pas!» implore l’acteur alors qu’on voit l’écran en train de swipper vers la gauche pour changer de story.

Malgré les commentaires disgracieux, on est contents d’avoir pu contribuer à faire avancer cette cause.

Depuis la sortie de la première vidéo il y a environ deux semaines sur la page Facebook d’Amnistie Canada Francophone, la campagne signée Taxi a suscité de vives réactions, parfois haineuses parfois bienveillantes. Selon le VP de l’agence de pub, ça prouve que la cible a été atteinte. «L’idée était justement d’amener les gens à réaliser des choses par rapport aux valeurs véhiculées dans la société. Donc malgré les commentaires disgracieux, on est contents d’avoir pu contribuer à faire avancer cette cause».

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Défendre les droits province par province

On associe souvent Amnistie à des problématiques internationales comme la libération de prisonniers politiques ou la crise des migrants en Europe.

Mais le mouvement mondial réunissant plus de 8 millions de personnes dans 70 pays différents s’occupe aussi des droits bafoués à plus petite échelle, explique la directrice générale de la branche canadienne francophone France-Isabelle Langlois. «Une partie de notre mission est de surveiller les agissements des gouvernements fédéral et provincial pour s’assurer que les droits de la personne sont respectés».

Depuis le début de la pandémie, cette branche s’est notamment penchée sur les conditions de vie dans les centres d’hébergement pour les personnes âgées. Mais ce qui a particulièrement capté l’attention de l’organisation ces derniers mois est la question du racisme systémique dans la province.

«Cette année, on a vu beaucoup d’événements de nature raciste survenir. Que ça soit la mort de Joyce Echaquan ou le profilage dans la police, on a été confronté de plusieurs manières à cet enjeu de société. C’est pourquoi on a voulu lancer une grande campagne à ce sujet» amène la DG.

On est pas habitué ici d’être mêlé à ce genre de conflit là donc on a souvent une réaction de déni.

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Si elle considère que chaque enjeu vient avec son lot de défis afin de l’aborder d’une façon «digeste» pour que monsieur et madame Tout-le-Monde se sentent concernés, elle affirme néanmoins que le racisme systémique est assez particulier. «On est pas habitué ici d’être mêlé à ce genre de conflit là donc on a souvent une réaction de déni en disant “Ben voyons! On est pas raciste!”. Ça vient nous confronter dans nos certitudes et on aime pas ça, continue France-Isabelle Langlois. Mais pour nous, c’est important de créer un débat là-dessus parce que c’est de cette manière qu’on va réussir à freiner le problème».

La directrice générale ne cache pas que l’organisation voulait aller rejoindre un public «plus jeune» en optant pour une campagne utilisant certains codes de réseaux sociaux, sans vouloir «exclure les autres franges de la population pour autant».

D’ailleurs, tout comme le VP de Taxi, France-Isabelle croit que la forte réaction des gens en ce qui a trait aux vidéos est une bonne chose.

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«Évidemment, on ne tolère aucune menace, commentaire haineux ou propagation d’informations mensongères, mais on ne musèle pas non plus les gens qui sont en désaccord avec certaines de nos actions. C’est même un bon signe que certaines personnes réagissent aussi fortement, ça démontre qu’on a touché une corde sensible».

Le racisme systémique existe chez nous au Québec et on a des biais souvent inconscients qui le perpétuent.

Après une année remplie d’événements teintés de racisme systémique et 2021 qui est à nos portes, que pourrait-on faire pour s’assurer de ne pas répéter les mêmes bourdes sociétales? «Il faut d’abord avoir l’esprit ouvert et réaliser que oui, le racisme systémique existe chez nous au Québec et qu’on a des biais souvent inconscients qui le perpétuent. Une fois qu’on réalise qu’on fait partie du problème, s’informer, être sensible à ces enjeux et changer ses habitudes restent les meilleurs moyens de s’élever en tant que citoyen».

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