Logo

Une matinée avec le bureau des enquêtes de la SPCA

Sur le terrain pour sauver des animaux.

Par
Violette Cantin
Publicité

La dame qui ouvre la porte est entièrement nue.

« Bonjour, je suis le constable spécial Cadieux, agent au bureau des enquêtes de la SPCA. Je suis avec ma collègue, la constable Smith. Nous venons en raison d’un signalement que nous avons reçu concernant votre chien… »

La dame s’épanche aussitôt en lamentations. « Mon chien, c’est mon enfant, je ne lui aurais jamais fait ça… » Ledit chien, une petite boule noire au poil frisé, vient distribuer quelques bisous à l’agente Smith dans le corridor tandis que sa propriétaire pleure en accusant sa voisine, qu’elle soupçonne d’être à l’origine de la plaine, d’être une « psychopathe ».

Le chien ne présente aucun signe de maltraitance apparent. L’agent Cadieux reste calme, donne un avertissement d’infraction au Code criminel à la femme et lui pose quelques questions sur l’entretien de son chien. La femme retrouve progressivement son souffle, puis nous quittons.

De retour dans la voiture, l’agent Cadieux mentionne qu’il n’y avait pas lieu de pousser l’intervention plus loin aujourd’hui : « Les griffes du chien étaient trop longues et son poil manquait d’entretien, mais à part ça, il semblait en forme. »

Publicité

Nous démarrons, en route vers le prochain signalement. Un suivi sera effectué par un autre agent au pénal.

Un métier méconnu

Tout le monde – ou presque – connaît la SPCA de Montréal en tant que refuge pour animaux abandonnés. Mais une division bien moins connue de la SPCA et entièrement indépendante du refuge se nomme le bureau des enquêtes : une petite équipe d’une dizaine de personnes y traite les signalements pour maltraitance d’animaux.

Les agent.e.s se rendent sur place et en cas de maltraitance, ils et elles peuvent saisir l’animal. Certains dossiers se rendent même en cour, puisque les agent.e.s sont chargé.e.s d’appliquer les articles 444 à 447 du Code criminel, qui traitent de la cruauté envers les animaux, ainsi que la Loi B-3.1 et le règlement P-42 du Code pénal.

C’est donc par un beau mardi matin que je me rends dans le stationnement de la SPCA de Montréal, le point de rendez-vous avec les deux agent.e.s que j’accompagnerai, Lawrence Smith et Marc-Antoine Cadieux. Je l’avoue, je m’attends à voir deux hommes dans la cinquantaine aux cheveux grisonnants. Je suis donc assez surprise de constater que Lawrence Smith est une jeune femme de 24 ans et que Marc-Antoine en a 27. Les deux millénariaux, qui détiennent un diplôme de techniques policières, sont dynamiques et ultra-sympathiques. Nous conversons même sur l’astrologie dans la voiture.

Un chien se promène dans la cour de la SPCA tandis que Lawrence et Marc-Antoine finalisent leur itinéraire dans la voiture.
Un chien se promène dans la cour de la SPCA tandis que Lawrence et Marc-Antoine finalisent leur itinéraire dans la voiture.
Publicité

Mais leur professionnalisme et leur sang-froid sont à toute épreuve. En route vers l’un des signalements, je leur demande quelle est la pire plainte qu’il et elle ont eu à traiter. Marc-Antoine se lance.

« C’était un signalement pour un cheval en Montérégie, se souvient-il. Il s’était fait frapper par une voiture, c’est tout ce qu’on savait. On s’est rendu sur place, et le cheval était couché dans une grange, sa patte était fracturée et quasiment détachée de son corps. Il paniquait, et en essayant de se relever, il pilait sur sa patte. On a dû l’euthanasier. »

Sur le siège passager, Lawrence hoche la tête. « On se forge une carapace. On apprend à gérer le stress. »

La raison la plus souvent invoquée par les propriétaires pour justifier le piètre état de leur animal? « L’argent », répondent Lawrence et Marc-Antoine à l’unisson. La santé mentale des propriétaires est parfois également en cause.

« Mais l’argent, ce ne sera jamais une justification suffisante devant un juge », met en garde Marc-Antoine.

Publicité

Sur la route

Ce matin, les agent.e.s ont cinq plaintes à traiter, toutes pour des chiens dans la ville de Montréal. « On peut traiter jusqu’à huit ou dix plaintes par jour », précise Lawrence.

Nous embarquons dans la voiture de Marc-Antoine vers la première destination du jour. Je leur demande ce qui les a poussé.e.s à se lancer dans cet emploi méconnu, mais essentiel.

« Les animaux sont des êtres qui ne peuvent pas se défendre », explique Lawrence, elle-même nouvellement propriétaire d’un chiot adopté à la SPCA.

« Souvent, les plaintes sont non fondées, renchérit Marc-Antoine. Mais juste le fait de se présenter et de faire de l’éducation, ça fait prendre conscience aux propriétaires des limites à respecter quand on a un animal. »

Le plus souvent, les agent.e.s laissent un avertissement au Code criminel aux propriétaires. Cela n’a pas d’effet punitif, mais « l’avertissement reste dans leur dossier », explique Lawrence.

Nous arrivons à la première destination tandis que Marc-Antoine cherche un endroit où garer la voiture. « Trouver du stationnement à Montréal, c’est ma partie préférée de mon travail », déclare-t-il, pince-sans-rire.

Publicité

En mode intervention

Le contenu du signalement est assez laconique. « Chien qui semble être maltraité. Golden retriever mixte. Le propriétaire le frappe avec un journal quand il jappe, le laisse sur le balcon arrière et ne promène pas le chien. »

Nous sortons de la voiture, masque au visage et gants de latex aux doigts pour les deux agent.e.s. « Pour tâter l’animal et vérifier s’il souffre quelque part », glisse Marc-Antoine.

Dans le petit immeuble d’appartements où règne une odeur nauséabonde, on cogne à la première porte. Les jappements énervés d’un chien retentissent, mais personne ne répond. Après quelques minutes, Marc-Antoine se résigne et laisse l’avertissement au Code criminel dans le cadre de porte. « J’ai laissé mon numéro sur l’avertissement. S’il ne me rappelle pas, on devra revenir. »

Pas de chance : pour la deuxième plainte de la journée, le propriétaire ne semble pas être à la maison.
Pas de chance : pour la deuxième plainte de la journée, le propriétaire ne semble pas être à la maison.
Publicité

Un constat s’impose rapidement : la route est une partie majeure du travail. Les agents de la SPCA se déplacent régulièrement dans plusieurs régions, comme Lanaudière ou la Montérégie. « L’essentiel de notre travail, c’est aussi de faire de la rédaction de dossiers pour nos cas », précise Lawrence. En une matinée, nous nous rendons dans cinq quartiers de Montréal tous éloignés les uns des autres. Les deux premiers signalements ne portent pas fruit puisque personne ne vient ouvrir la porte.

Après la visite chez la dame nue et paniquée, le quatrième signalement comporte comme preuve une vidéo d’un maître qui frappe son chien. « Il ne semble pas le taper violemment. C’est un jeune chien énergique. Souvent, les gens ne savent pas comment s’y prendre pour les dresser », soupire Marc-Antoine.

Pour réussir à entrer dans l’immeuble à appartements d’une des plaintes, Marc-Antoine est allé cogner à la fenêtre d’un appartement pour demander à une dame de nous ouvrir. Nous avons finalement réussi à entrer.
Pour réussir à entrer dans l’immeuble à appartements d’une des plaintes, Marc-Antoine est allé cogner à la fenêtre d’un appartement pour demander à une dame de nous ouvrir. Nous avons finalement réussi à entrer.
Publicité

En arrivant devant la maison, l’agent va d’abord distribuer des cartes de visite dans les maisons voisines. « Comme ça, les voisins pourront signaler s’ils ont vu des comportements inappropriés envers le chien », explique-t-il.

Les agent.e.s cognent à la porte et la famille nous invite à entrer. L’homme et la femme commencent par nier les faits en expliquant que le chien n’appartient pas à eux, mais à leur fille. Pendant ce temps, le husky de trois ans vient nous distribuer quelques caresses en montrant fièrement le jouet qu’il tient dans sa gueule. Quand Marc-Antoine évoque la vidéo où le propriétaire frappe le chien et le soulève par le collier, le discours du couple change progressivement.

Les agent.e.s Smith et Cadieux pendant leur quatrième intervention de la journée.
Les agent.e.s Smith et Cadieux pendant leur quatrième intervention de la journée.
Publicité

« Ah, oui, c’était quand on est allé le faire castrer… » Marc-Antoine leur donne quelques conseils sur l’éducation à fournir à un jeune chien. « Mon chien, c’est comme mon autre fils, et il sort souvent dans la cour, reprend la dame. Par contre, je veux vous avertir, le voisin du haut ne sort pas son chien… »

Nous sortons et rembarquons dans la voiture. Lawrence et Marc-Antoine ne pipent mot. Le duo en a vu d’autres.

Le husky vient nous rendre visite tandis que Marc-Antoine parle à ses propriétaires.
Le husky vient nous rendre visite tandis que Marc-Antoine parle à ses propriétaires.

Les aléas du métier

La dernière visite de la matinée se fait dans un vaste immeuble à appartements pour une dame qui, selon la plainte, frapperait ses deux dobermans pinscher. Le travail des agent.e.s se complique : la plainte ne mentionne pas le numéro de l’appartement, et il faut trouver un moyen d’entrer dans l’immeuble. Lawrence appelle un à un chaque appartement pour demander au locataire de nous ouvrir. Une première dame lui raccroche au nez. Après quelques tentatives qui restent sans réponse, une autre nous débarre enfin la porte.

Pour la dernière plainte de la journée, il faudra jouer à cherche et trouve puisqu’aucun numéro d’appartement n’a été mentionné.
Pour la dernière plainte de la journée, il faudra jouer à cherche et trouve puisqu’aucun numéro d’appartement n’a été mentionné.
Publicité

Les agent.e.s cognent ensuite à plusieurs portes pour tenter d’identifier l’appartement où vivent les deux dobermans. En suivant les indications de quelques résident.e.s, nous trouvons finalement la bonne porte. La dame nous invite à entrer au moment où retentissent d’inquiétants grognements dans le corridor de son logement.

« Est-ce qu’ils sont gentils? », demande Lawrence. La dame nous assure que oui. Effectivement, les deux chiens, joyeusement intrusifs, viennent sentir nos bottes et lécher nos mains tandis que la femme nie toute allégation de maltraitance. Comme ils ont l’air en bonne santé, nous quittons rapidement.

Les deux dobermans sont inoffensifs mais extrêmement agités. Difficile de prendre une bonne photo dans les circonstances. J’en profite tandis que la jeune chienne sent mon manteau et que Marc-Antoine la palpe à la recherche d’une douleur.
Les deux dobermans sont inoffensifs mais extrêmement agités. Difficile de prendre une bonne photo dans les circonstances. J’en profite tandis que la jeune chienne sent mon manteau et que Marc-Antoine la palpe à la recherche d’une douleur.
Publicité

Nous rentrons à la SPCA. Les agent.e.s prendront le temps de manger (Marc-Antoine parle de sa salade depuis au moins deux heures), puis rempliront des dossiers ou repartiront sur la route. « C’est important d’être le plus précis possible quand on porte plainte pour maltraitance animale. Avoir le plus d’informations possible, ça nous aide beaucoup dans notre travail », tient à préciser Lawrence.

Je les quitte en me promettant d’aller serrer très fort mon chien dans mes bras dès que je rentrerai à la maison.