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Une matinée avec la brigade de propreté de Montréal centre-ville

Derrière chaque butch de cigarette ramassé se cache un brigadier attentionné. 

Par
François Breton-Champigny
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9 h, coin Peel et Sainte-Catherine. Le centre-ville se prépare tranquillement à une autre journée de travail alors que la bouche de métro de la station Peel crache les travailleurs et travailleuses qui s’affairent sur les trottoirs. Trois hommes débarquent à l’intersection des rues, armés de chariots poubelles, de balais et de porte-poussières.

Pierre, Mario et Patrick font partie de la brigade de propreté de Montréal centre-ville, une initiative mise sur pied par la Société de développement commercial (SDC) en 2001 afin de redonner un peu de son lustre au cœur de la métropole, notamment en nettoyant ses rues sept jours sur sept. La brigade a une double mission, puisque les brigadiers qui y participent font également partie d’une initiative de réinsertion sociale.

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Je suis allé prêter main-forte à la brigade pendant une matinée à l’heure où la neige a laissé place à des tas d’immondices un peu partout dans la ville.

L’enfer des déchets, c’est les autres

Une fois les présentations faites avec Emmanuelle Allaire, la responsable des relations publiques de la SDC, Mario me tend un balai et un porte-poussière. « On va commencer par Sainte-Catherine vers l’est jusqu’à Bleury. D’habitude, on doit avoir fini ce segment-là avant 11 h parce qu’après ça, il y a trop de monde sur les trottoirs et ça devient impraticable pour nous », m’explique le sympathique gaillard, qui fait partie de la brigade depuis cinq ans.

Chaque équipe a ses zones délimitées qui doivent être nettoyées tous les jours. La section qu’on s’apprête à débarrasser de sa crasse est la zone 6. « C’est pas si pire, certains secteurs sont vraiment dégueux », confie Mario.

On ne perd pas de temps et on commence la besogne. Premier constat : les trottoirs sont franchement propres et exempts de gros déchets dégoulinants comme je m’y attendais. La balade est même agréable avec le soleil qui tape d’aplomb et le léger vent printanier qui s’engouffre dans les artères du centre-ville.

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Je profite d’une lumière rouge pour poser quelques questions à Patrick, le superviseur de l’équipe au rire contagieux. « La job n’est pas décourageante en soi. Ce sont les gens qui le sont. Une fois, un monsieur a jeté sa croûte de pizza par terre juste devant moi. Je l’ai hélé et l’ai sommé de se ramasser et de la mettre dans la poubelle juste à côté de lui. Il avait l’air tout déboussolé, comme si je lui apprenais quelque chose », illustre le brigadier lorsque je lui demande s’il ne trouve pas démotivant de ramasser les déchets de milliers d’individus jour après jour.

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« C’est paradoxal parce qu’on voit que beaucoup de gens se foutent de la propreté dans la rue, mais se plaignent que la planète se détériore. Ben justement, commencez à agir avec des petits gestes comme jeter vos déchets au bon endroit! », s’exaspère Patrick en arrachant de vieilles affiches sur des lampadaires.

Malgré les désagréments, il ne changerait pas son emploi, qu’il effectue quarante heures par semaine. « C’est gratifiant de faire ça, lance-t-il. On voit concrètement qu’on fait une différence. J’aime ma gang, mes patrons et je n’ai rien à prouver à personne. »

On rattrape le groupe un peu plus loin tout en ramassant les sempiternels butchs de cigarettes, une véritable calamité à ce temps-ci de l’année.

Un peu plus loin, Pierre et Mario traversent la rue tandis qu’une voiture coupe le premier. « C’est à nous la priorité! Regarde comme il faut! », crie Pierre au chauffeur, découragé.

« Pierre et Mario sont inséparables. Ils travaillent toujours dans les mêmes zones », me souffle Patrick à l’oreille.

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On croise un lot de poubelles que le duo s’empresse de vider. « L’été, on appelle ça des cornets tellement le top est rempli de cups à café et de cochonnerie », indique Pierre.

Si le printemps est le royaume des mégots de cigarettes et des emballages que la fonte des neiges laisse paraître, c’est la saison estivale qui est la période la plus exigeante. « On peut passer quatre fois sur Sainte-Catherine dans la même journée pour vider les poubelles et faire le ménage », explique Pierre.

Les samedis et dimanches matins sont les pires périodes pour nettoyer le centre-ville, selon le vétéran. « Les gens fêtent fort et jettent leurs déchets n’importe où. Le lendemain, c’est nous autres qui ramassons tout ça. On essaie de tout prendre, mais c’est sûr qu’on en laisse derrière, il y en a trop. »

Comme Patrick, Pierre et Mario voient tout de même les choses d’un bon œil. « Ce n’est pas plus sale qu’avant, estime Mario. Je crois que ça s’améliore tranquillement, il y a de plus en plus de sensibilisation quant à la propreté en général. »

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Un autre fléau typique de notre ère pandémique : les milliers de masques qui jonchent le sol. « Il y en a de toutes les sortes. On pourrait faire des guirlandes de Atwater à Berri avec tous ceux qu’on a ramassés », rigole Pierre.

Les gardiens du centre-ville

Au fur et à mesure que la matinée avance, je me rends bien compte que la mission des brigadiers est bien plus que de ramasser les saletés laissées par des individus négligents : ils sont aussi les yeux et les oreilles des artères fourmilières de la métropole.

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« Je connais pas mal tous les itinérants du coin. Je leur jase chaque jour et prends de leurs nouvelles », me confie Pierre pendant une petite pause cigarette. Pierre et Mario vont justement flatter le pitbull d’un monsieur d’un âge vénérable qui fait la manche près de McGill. À voir la réaction du chien et l’entrain avec lequel son maître s’entretient avec le duo, ce n’est clairement pas leur première rencontre.

S’il lui reste deux ans avant de prendre sa retraite de la brigade, Pierre s’estime chanceux d’avoir pu trouver une telle vocation. « Des fois, je suis tanné. Mais je me dis que je pourrais travailler dans une shop de nuit et que ma job est ben le fun, dans le fond. On est dehors, on parle avec du monde, on est une belle gang et on fait de l’exercice. Même pas besoin d’aller au gym! », estime Pierre, qui affirme qu’un brigadier marche en moyenne de 30 à 35 kilomètres par shift.

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« Ah ben! J’travaillais pour vous avant! », s’exclame un homme coloré en s’arrêtant pour nous piquer une jasette. « Vous reviendrez nous aider! », lui lâche Pierre.

En attendant que la lumière change au coin d’une rue, Patrick raconte une anecdote qui donne froid dans le dos. Un dimanche matin sans histoire, un de ses collègues s’est fait poignarder par un itinérant en crise. Le gars n’est jamais revenu sur le terrain, complètement traumatisé de son expérience. « Faut toujours faire attention et regarder dans notre dos, confie Pierre. Quand on voit des gens pas clairs, on les évite le plus possible et on essaie de garder un œil dessus. »

Autre anecdote dans le genre, une dame est déjà venue se réfugier auprès de Pierre et Mario parce qu’un homme louche et insistant la suivait dans la rue. « On est resté avec elle le temps qu’il fallait. Les gens savent qu’on est là et qu’ils peuvent nous faire confiance », considère Mario.

« Ce n’est pas pour rien qu’on les appelle les gardiens du centre-ville », me glisse Emmanuelle.

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La matinée avance à coups de balais et de porte-poussières bien remplis. On bifurque sur une rue qui contourne une église en rénovation. « Tu vas voir, LÀ, ça va être sale », me promet Pierre.

Effectivement, les bords de trottoirs sont plus crottés que ceux de Sainte-Catherine. Stylos, emballages en tous genres, bouteilles, vieux mouchoirs, vis, clous et même deux rats morts bien séchés (oui, oui) sont là quelques dégueulasseries trouvées sur un petit carré de rues tout près d’une garderie.

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« C’est le cœur de la ville et c’est plus sale que chez nous dans Saint-Henri, grommèle Pierre. C’est illogique! C’est supposé représenter la métropole. Ça n’a pas de sens. » Selon lui, la ville devrait installer davantage de poubelles et déployer plus de ressources pour garder le centre-ville propre.

Pour l’heure, les citadin.e.s devront se contenter des membres de la brigade pour garder leurs artères, rues et ruelles exemptes de mégots de cigarette et autres déchets qui devraient finir aux poubelles.

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Je remets mon balai et mon porte-poussière et prends le chemin du bureau à pied. En marchant sur René-Lévesque, je regarde à mes pieds pour constater l’étendue des cochonneries qui jonchent le trottoir. Une phrase de Patrick me revient en tête : « Si tout le monde faisait un effort collectif et était sensible à leur environnement, on en serait pas là. »

Tu ne saurais si bien dire, mon Patrick.