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Une justice sans prison
Dans la cadre de l’exposition Phil Collins présentée à la Fondation Phi, URBANIA se penche sur des enjeux de société
Au Canada, en 2011, un rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture demandait l’interdiction de certains traitements en prison, comme le recours à l’isolement pour les personnes aux prises avec des troubles de la santé mentale. À part cette recommandation, est-ce possible d’imaginer des changements plus radicaux? Un monde sans prison?
Malgré ce que les films de superhéros disent, un nombre grandissant de gens affirment que les prisons ne seraient pas la solution pour créer une société sécuritaire pour tous, car elles permettraient au contraire une éducation express au crime, l’encouragement à adopter une mécanique du contrôle et de la vengeance, et ce, sans jamais inviter à se responsabiliser aux problèmes sociaux et économiques qui se cachent derrière la criminalité.
Petit tour d’horizon de la situation et des options proposées.
La prison : l’entretien étatique d’inégalités sociales
Dans le système actuel, il y a des punitions, mais peu de réflexions par rapport à ce qui se planque derrière la criminalité. Personne en position d’autorité ne veut se rendre responsable de problèmes comme la pauvreté, alors c’est plus facile de juger la culpabilité de tous ceux qui font face à des situations économiques et sociales difficiles, qui ne se règlent pas en embrassant sa sœur ou en multipliant les commissions parlementaires.
Personne en position d’autorité ne veut se rendre responsable de problèmes comme la pauvreté, alors c’est plus facile de juger la culpabilité de tous ceux qui font face à des situations économiques et sociales difficiles.
Sheena Hoszko, une sculpteure et organisatrice anti-prison, qui a créé l’atelier Bâches Bleues Against Harm dans le cadre de l’exposition Bring Down The Walls de Phil Collins, à la Fondation Phi, se questionne aussi en ce sens : « On n’a pas beaucoup d’informations sur les gens qui y entrent. Principalement des gens de couleur, des Autochtones, des Noirs, des gays et des gens vivant dans la pauvreté. Non seulement des personnes souffrant de maladies mentales se font régulièrement incarcérer, mais leur état s’aggrave souvent une fois emprisonnées. Les prisons disent se soucier des gens et de leur bien-être, mais au final, c’est souvent plus de violence qui en découle. Je pense que lorsqu’on jette un regard sur le système carcéral, on comprend de qui la société se soucie et de qui elle ne se soucie pas. » Pour Sheena, il est temps de prendre soin les uns des autres et de réaliser que les prisons causent de nombreux dommages, sans réhabiliter quiconque.
De son côté, Robyn Maynard, une auteure montréalaise dont l’engagement communautaire est régulièrement souligné, rappelle dans l’essai Policing Black Lives : State Violence in Canada from Slavery to the Present (traduit en français sous le titre de NoirEs sous surveillance. Esclavage, répression et violence d’État au Canada) que le caractère envahissant de la surveillance policière rend la présence des Noirs dans l’espace public difficile. Sachant que ces derniers sont plus souvent victimes de «biais systémiques liés à l’appartenance raciale», on ne peut pas vraiment s’étonner de l’inconfort des Noirs lorsqu’ils croisent les forces de l’ordre dans l’espace public.
Maynard indique aussi qu’en prison, les Noirs ont moins de chances d’obtenir une liberté conditionnelle.
« Être NoirE n’est pas seulement être la cible d’interpellations et d’arrestations, mais c’est aussi être “à proximité de la mort” — vivre avec une vulnérabilité accentuée d’être battuE par la police ou les gardiens de prison, d’être placéE dans un espace de confinement solitaire à long terme pendant plusieurs mois, ou d’être tuéE par la police », écrit celle pour qui le système carcéral est incapable d’être neutre. Il perpétuerait aussi une violence genrée, particulièrement pour les femmes issues de communautés aux stigmates multiples, comme les femmes trans, les femmes noires, les femmes autochtones et les femmes travaillant dans l’industrie du sexe.
Des approches différentes pour une justice plus féministe
Dans le livre Pour elles toutes. Femmes contre la prison, Gwenola Ricordeau, une professeure assistante en justice criminelle, s’est penchée sur le féminisme et le système carcéral, poursuivant la réflexion sur la nécessité de lutter pour l’abolition de ce dernier. Elle propose des solutions plus autonomes et adaptées à la multiplicité des enjeux sociaux en cause. Au lieu de réponses pénales aux violences contre les femmes, elle propose de songer à des techniques de prise en charge comme la justice réparatrice, la justice restaurative et la justice transformative, des approches qui sont « des prolongements les unes des autres », afin de privilégier la médiation, la réconciliation et la guérison de la victime.
Quelles formes prend la justice réparatrice?
Au Canada, ces trois types de justice très proches sont souvent rassemblés simplement sous le terme de justice réparatrice. La sénatrice Raymonde Saint-Germain et le sénateur Art Eggleton, dans une lettre d’opinion, en encourageaient le recours plus fréquent. « La justice réparatrice met davantage l’accent sur la réhabilitation des délinquants et sur la réconciliation avec les victimes que sur les sanctions. Le but est de réparer le tort causé, de favoriser la guérison des victimes, d’obliger les délinquants à assumer la responsabilité de leurs actes et de prévenir les récidives. Il s’agit d’un processus volontaire tant pour la victime que pour le délinquant », rappelaient les deux sénateurs, évoquant ensuite les différentes façons d’y avoir recours.
En gros, c’est une solution humaniste plus que punitive.
«La justice réparatrice peut prendre diverses formes et varie beaucoup d’une communauté à l’autre. Elle peut inclure des programmes de médiation et des ententes de règlement, y compris des travaux communautaires, une compensation financière et des services offerts à la victime.»
« La justice réparatrice peut prendre diverses formes et varie beaucoup d’une communauté à l’autre. Elle peut inclure des programmes de médiation et des ententes de règlement, y compris des travaux communautaires, une compensation financière et des services offerts à la victime. La recherche montre que la justice réparatrice est plus efficace et rentable que le système de justice traditionnel, en plus de réduire les récidives. »
Prendre le pouvoir plutôt que de rester dans l’attente et la passivité
Le Centre de services de justice réparatrice, qui favorise le dialogue et des valeurs telles que le respect, l’écoute, la confiance et l’inclusion, insiste pour que le système de justice soit plus humain.
«La justice réparatrice m’a permis de m’adresser à des personnes qui avaient posé des actes semblables à ce que j’avais subi. Elles t’écoutent et tu les écoutes. J’ai compris comment elles ont été conduites à agir de cette manière et ce qu’elles ont vécu à ce moment-là.»
« Depuis mon enfance, j’ai vécu de nombreuses souffrances, car j’ai été victime d’inceste et de viol. J’avais peur des autres et je me sentais coupable. Au printemps 2010, j’ai participé à des rencontres détenus-victimes, et ma vie a basculé. La justice réparatrice m’a permis de m’adresser à des personnes qui avaient posé des actes semblables à ce que j’avais subi. Elles t’écoutent et tu les écoutes. J’ai compris comment elles ont été conduites à agir de cette manière et ce qu’elles ont vécu à ce moment-là. Ce processus m’a permis d’arrêter de juger les autres, de me culpabiliser et d’avoir peur. J’ai de nouveau espoir », confie Pieret sur le site web du Centre, en compagnie d’autres témoignages de victimes qui rendent compte de leur expérience positive de prise de pouvoir, marquée par ce mode de justice, parfois de concert avec la voie pénale.
La discussion plutôt que la non-réponse à des problèmes sociaux
Pour l’auteure Gwenola Ricordeau, la justice réparatrice est un recours à privilégier qui nous est plus familier qu’étranger. « Lorsqu’un.e adolescent.e commet un délit (par exemple voler dans le porte-monnaie de ses parents, conduire en état d’ivresse…), si nous avons un lien (en particulier familial) avec cet ado, nous n’allons certainement pas avoir pour réaction de recourir au système pénal (en appelant la police, etc.). Nous allons nous asseoir autour d’une table, peut-être demander à une personne de confiance (une grand-mère, un.e prof) de faciliter la discussion. Et nous allons surtout essayer de comprendre ce qui s’est passé, et réfléchir aux manières de prévenir la reproduction de ce comportement. »
Inspirée par la militante Angela Davis, qui souhaite un monde où les racines des crimes sont étudiées et comprises plutôt que sanctionnées, la sénatrice canadienne Kim Pate rappelle que les « prisons ne sont ni des refuges ni des centres de traitement. Ce sont des non-réponses aux problèmes sociaux, elles sont moins efficaces et plus coûteuses ».
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Pour continuer de réfléchir à la question de la désincarcération à travers les oeuvres d’artistes contemporains, vous êtes invités à participer jusqu’au 15 mars à l’exposition Phil Collins à la Fondation Phi pour l’art contemporain.