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Une journée lumineuse parmi des gens en phase terminale

Maison de soins palliatifs St-Raphaël : « Une maison de vie, pas une maison de mort ».

Par
Laïma A. Gérald
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« Ici, c’est une maison de vie, pas une maison de mort. »

Cette phrase attrapée au vol illustre parfaitement la Maison St-Raphaël, un établissement de soins palliatifs et un centre de jour où j’ai eu la chance de passer une journée.

Entre bienveillance, yoga et bains thérapeutiques : immersion dans une bulle de lumière et de résilience.

Prendre soin de la (fin de) vie

Je marche vers la Maison St-Raphaël, où j’ai rendez-vous à 10 h. Le temps est frais et pluvieux. Je n’ai jamais mis les pieds dans une maison de soins palliatifs, je suis un peu nerveuse.

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Je passe la porte de l’établissement baigné de lumière, ayant pignon sur rue dans l’ancienne église St-Raphaël, aux frontières des quartiers Outremont et Côte-Des-Neiges, à Montréal.

Un homme aux yeux lumineux m’accueille. « Tu dois être la journaliste, on t’attendait. Moi, c’est Luc, je suis bénévole ici. Bienvenue! »

On m’avait dit que j’allais passer du temps avec Luc, un des bénévoles du centre de jour. Je me sens déjà en confiance.

C’est René Fréchette, le directeur général adjoint de l’établissement, qui prend le relais pour l’instant. Il m’emmène à la découverte des lieux. Des œuvres d’art et des plantes ornent chaque recoin.

Crédit: Xuana Cesar
Crédit: Xuana Cesar
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« La Maison St-Raphaël, c’est un projet qui est né vers 2008 », raconte René, alors que l’on parcourt les différents étages. « Quand l’église de l’époque a fermé ses portes, les paroissiens et le dernier prêtre ne voulaient pas que ça devienne un projet de condos. Ils cherchaient une vocation qui pourrait servir la communauté. Et c’est là qu’une réflexion s’est amorcée pour choisir de convertir le bâtiment en maison de soins palliatifs. C’est un processus qui s’est échelonné sur une dizaine d’années. »

Il m’explique que la Maison St-Raphaël, qui a finalement vu le jour en 2019, comporte deux volets principaux : le centre de soins et le centre de jour.

Le centre de soins accueille des patient.e.s en phase terminale, sans égard à leur condition sociale, leur origine, leur orientation sexuelle et identité de genre ou leurs croyances religieuses.

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Le centre de soins, qui comporte douze lits, accueille des patient.e.s en phase terminale, sans égard à leur condition sociale, leur origine ethnique, leur orientation sexuelle et identité de genre ou leurs croyances religieuses, pour qu’ils puissent s’éteindre dans la dignité, entouré.e.s de leurs proches et aidant.e.s naturel.le.s. C’est d’ailleurs dans cette optique que des services médicaux et thérapeutiques entièrement gratuits sont dispensés par une équipe multidisciplinaire pour adoucir le passage vers la fin de la vie.

Pour sa part, le centre de jour accueille quotidiennement des personnes en fin de vie qui demeurent encore chez elles mais aussi leurs proches aidant.e.s ainsi que des personnes endeuillées ayant perdu un être cher d’une maladie incurable. Ces derniers peuvent également bénéficier de soins et de services gratuits, comme de la massothérapie, de l’acuponcture, du yoga ainsi que différents groupes de soutien, même après le décès de leur proche.

Crédit: Xuana Cesar
Crédit: Xuana Cesar
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« Notre approche consiste à accepter la mort comme une étape naturelle de la vie », m’explique René, visiblement passionné par la mission de l’organisme. « On a aussi un service de repas offerts pour les invités du centre de jour. Par contre, les patients en fin de vie du centre de soins peuvent manger ce qu’ils veulent, quand ils veulent. Tu veux manger de la crème glacée trois fois par jour pendant un mois alors que tu fais du diabète? On va t’en donner, ça va nous faire plaisir! »

«Tu veux manger de la crème glacée trois fois par jour alors que tu fais du diabète? On va t’en donner, ça va nous faire plaisir!»

Mon regard est alors brièvement attiré par une porte entrouverte sur une chambre. Sans même arrêter de marcher, j’ai le temps d’apercevoir une femme étendue dans un lit. Elle porte un foulard bleu sur la tête, son visage est amaigri, ses mains sur sa poitrine. Elle semble calme, les yeux tournés vers une immense fenêtre qui laisse entrer une lumière froide et diffuse. À côté de son lit, un diffuseur d’huiles essentielles laisse échapper une épaisse fumée qui semble l’envelopper. Au moment d’écrire ces lignes, je ne sais pas si cette femme est toujours parmi nous.

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« Pour être admise au centre de soins, la personne doit souffrir d’une maladie incurable et avoir reçu un pronostic de trois mois ou moins à vivre, raconte René. La durée moyenne d’un séjour ici est d’environ 29 jours. Dans la majorité des cas, on constate une amélioration de l’état général des gens pendant quelques jours, certains retrouvent l’appétit, avant qu’ils nous quittent. »

René m’annonce alors qu’il a deux « personnes » à me présenter. « Voici Coquette et Blanchette, ce sont nos deux colombes », s’exclame-t-il, fier de sa petite blague. « Je me souviens d’un patient en fin de vie qui avait demandé à prendre un bain avec les colombes. Elles venaient se poser sur les rebords de la baignoire. C’est un moment qui m’a beaucoup touché », ajoute-t-il, les émotions dans la voix, avant d’ajouter que le centre songe à accueillir un chien Mira, dans une optique de zoothérapie.

Crédit: Xuana Cesar
Crédit: Xuana Cesar
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L’heure du bain

On m’invite alors à rencontrer l’équipe de soins multidisciplinaire, dirigée par Véronique Després. Achille est acupuncteur, Anne est musicothérapeute, Pascale est préposée aux bains thérapeutiques, Dre Krista Lawlor est directrice médicale, Camille et Éloïse sont travailleuses sociales et Julie est massothérapeute. La bienveillance et la douceur qui règnent dans la salle m’enveloppent et m’apaisent instantanément.

«Ici, on soulage les symptômes, on accompagne les gens jusqu’à la fin. On ne les guérit pas à tout prix, c’est une toute autre approche du soin»

« Chaque semaine, on se réunit pour discuter des patient.e.s, de nos stratégies, des services qu’on offre, de comment on peut s’améliorer, raconte la directrice des services multidisciplinaires. Il faut dire qu’on est en constant changement. On a ouvert seulement quelques mois avant la pandémie, qui est venue chambouler notre fonctionnement, donc on cherche notre erre d’aller. Mais on est contents et on a de très beaux retours. »

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En écoutant les thérapeuthes s’exprimer tour à tour, je me dis que ça doit être tout un défi de prodiguer des soins à des personnes que l’on sait qu’on ne reverra plus, de par leur condition irrévocable.

« Ici, on soulage les symptômes, on enveloppe les gens, on les accompagne jusqu’à la fin. On ne les guérit pas à tout prix, c’est une toute autre approche du soin » explique Achille Volpi, acupuncteur. Je trouve ça bouleversant.

Il est 11 h. Pascale, préposée aux bénéficiaires depuis quelques années, s’avance vers moi. « L’équipe a pensé que ça pourrait être intéressant pour toi de recevoir un bain thérapeutique, comme on donne aux patients en fin de vie. Ça t’intéresse? »

J’accepte volontiers la proposition, ma foi hors du commun.

J’entre dans une petite pièce peinte en bleu, qui ressemble à une salle de soins typique d’un spa. Au fond, j’aperçois ce qui semble être une baignoire.

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« Tu peux enlever tes vêtements, t’envelopper dans une serviette et je m’occupe du reste », me dit Pascale, débordante de douceur. « Pour les trente prochaines minutes, tu n’es pas journaliste, tu vis le moment présent, tu relaxes. »

«On a pensé que tu pourrais recevoir un bain thérapeutique, comme on donne aux patients en fin de vie. Ça t’intéresse?»

Je m’exécute puis entre dans la baignoire, dont l’une des parois est entrouverte. Je m’assois puis allonge mes jambes et incline mon dos, en conservant deux serviettes sur l’avant de mon corps. Pascale referme la porte de la baignoire et commence à la remplir d’eau chaude. Puis, la préposée aux bénéficiaires active le mécanisme faisant ainsi basculer le réceptacle. Je me retrouve alors en position couchée.

« C’est une baignoire thérapeutique faite pour les personnes fragilisées », m’explique Pascale tandis que je suis progressivement immergée dans l’eau chaude. « Certaines personnes en fin de vie n’ont pas la force d’entrer dans une baignoire traditionnelle, le mécanisme de celle-ci rend ça plus facile. »

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Puisque l’eau est programmée pour ne pas dépasser une certaine température (afin de ne pas brûler la peau des patient.e.s fragilisé.e.s), Pascale passe régulièrement un jet d’eau chaude sur mes jambes et sur mes épaules, comme elle a l’habitude de le faire. Ça réchauffe et ça détend.

« Si tu le veux bien, je vais laver ton dos avec une débarbouillette », propose Pascale, après une vingtaine de minutes de relaxation dans le bain à remous. J’accepte sa proposition, tant qu’à m’être rendue jusque là. La préposée redresse mon dos et s’exécute.

Il y a quelque chose d’étrange, mais de profondément enveloppant, rassurant, voire régressif, dans ce que je suis en train de vivre. La dernière fois que l’on m’a « donné mon bain », j’étais une enfant. Je demande à Pascale, qui se charge des bains tous les lundis, ce qu’elle préfère dans son métier.

«Ici, les gens peuvent se déposer, ils n’ont pas besoin d’être forts, ni pour eux-mêmes ni pour leurs proches. Ils peuvent déposer leur masque, être dans l’authenticité pure.»

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« Le côté humain, assurément. C’est précieux de pouvoir prendre soin des gens, d’adoucir les derniers moments de leur vie », me répond Pascale, en ajoutant que les proches aidant.e.s et les personnes endeuillées peuvent aussi profiter du bain, sans pour autant être accompagné.e.s par une préposée. « Ici, les gens peuvent se déposer, ils n’ont pas besoin d’être forts, ni pour eux-mêmes ni pour leurs proches. Ils peuvent déposer leur masque, être dans l’authenticité pure. »

Un moment d’authenticité et de pure humanité, c’est précisément ce que m’a fait vivre Pascale. Je vais me souvenir de cette expérience longtemps. Je n’aurais pas pu être plus immergée dans mon sujet, ça, c’est certain.

Souffle de vie

C’est l’heure du dîner à la Maison St-Raphaël. Je retrouve Luc et son acolyte Guy, chargés de servir les repas aux invité.e.s du centre de jour. Je me porte volontaire pour leur donner un coup de main et j’en profite pour leur piquer une petite jasette.

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« Je suis bénévole ici depuis un an et demi », raconte Luc, les yeux toujours aussi vifs que ce matin. « Moi, ça fait seulement un mois », ajoute le tout aussi sympathique Guy, un plateau-repas à la main.

Les deux retraités, qui s’impliquent surtout à l’accueil et au service des repas, ont suivi une formation avant de devenir bénévoles. « C’est très gratifiant et on finit par connaître les gens », me confie Luc en m’indiquant vers quelle table me diriger avec les repas qu’il me tend. « Les gens ont souvent l’impression qu’un centre de soins palliatifs est un endroit déprimant, mais c’est exactement le contraire. Tout est dans le sourire et la bienveillance ici! »

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On m’indique d’ailleurs que la Maison St-Raphaël est à la recherche d’huile de coude. « On est une équipe d’environ 75 bénévoles en ce moment, me disent Luc et Guy. On travaille souvent en équipe, parfois avec des employés du centre. C’est très agréable. »

Je me dirige vers une table au centre de la salle à manger, occupée par ce que je devine être un père et sa fille. « Ma mère est décédée ici il y a quelques semaines, me confie la jeune femme d’une vingtaine d’années. Avec mon père, on est inscrit à plusieurs programmes pour les personnes endeuillées. Ça nous aide vraiment beaucoup. »

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Dans la salle à manger, une dizaine de duos d’âges variés mangent ensemble. Si je ne savais pas où je me trouvais, je ne l’aurais jamais deviné, tant l’ambiance est conviviale. Luc a raison, c’est loin d’être déprimant ici.

Namasté

C’est maintenant l’heure de la classe de yoga sur chaise à laquelle on m’a conviée. Toutes les personnes qui suivent le cours ont donné leur accord pour que j’y participe. Je me sens vraiment privilégiée d’être là.

«Ce n’est pas une maison de mort ici, c’est une maison de vie. Tout est orienté vers la vie.»

Annie Courtecuisse, la prof de yoga, ainsi que cinq femmes sont présentes, chacune assise sur une chaise, les pieds sur des blocs de mousse roses. Je fais comme elles. Je ne sais pas qui est une personne malade, une proche aidante ou une personne endeuillée. Mais qu’importe, tout le monde est ici pour vivre un moment d’introspection, un temps d’arrêt, un instant de calme. Moi y comprise. Namasté.

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L’heure de yoga se déroule dans la douceur. Dans la salle, il y a quelque chose de plus harmonieux que quand je suis entrée. Comme si un poids invisible qui pesait sur les épaules de ces femmes s’était allégé. Un petit peu, au moins.

« C’est très important pour les personnes qui vivent ce genre d’épreuves de s’accorder des temps d’arrêt », fait valoir Annie, avant de me confier que son époux a rendu son dernier souffle entre les murs de la Maison St-Raphaël. « Mon mari et moi avons tellement reçu ici, j’ai envie de redonner, de contribuer à envelopper les gens qui y sont de passage. Ce n’est pas une maison de mort ici, c’est une maison de vie. Tout est orienté vers la vie. »

Je confie à Annie que justement, depuis ce matin, le mot qui m’habite le plus est « envelopper ». C’est exactement ça, il y a quelque chose de profondément enveloppant en ces murs.

Crédit: Xuana Cesar
Crédit: Xuana Cesar
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Je quitte la Maison St-Raphaël vers 15 h, bouleversée et inspirée par la mission de cet endroit essentiel. Je prends alors conscience que pendant ces quelques heures, le mot « vie » a été prononcé nettement plus souvent que le mot « mort ». Des mots de René Fréchette me reviennent en mémoire. « Quand les gens arrivent chez nous, ils ont accepté la mort, il ne cherche plus à la combattre. Notre rôle, c’est donc de faire tout ce qu’on peut pour chérir ce qu’il reste de la vie. »

Dehors, la pluie a cessé. Une fine lumière traverse doucement les nuages. Je suis persuadée que quelques rayons enveloppants entrent dans la chambre de la dame au foulard bleu.