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Une fois c’t’un humoriste en burn-out

Par
Philippe Meilleur
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Ce texte est extrait du dernier numéro #30 spécial Humour | présentement dans les kiosques

La job d’un comique est de nous sauver du quotidien gris avec son arsenal de blagues colorées. Mais, ironiquement, la joke se termine souvent en burn-out pour celui qui la raconte. Et si la business de l’humour n’avait rien de drôle?

Tels des gladiateurs de cirque, les humoristes québécois les plus populaires finissent presque tous par flancher devant les clameurs de la foule. C’est arrivé à Yvon Deschamps, qui a pris huit ans de repos en 1984 après avoir tenu un rythme épouvantable de 200 shows par année. Même chose pour l’homme aux mille et une grimaces, Michel Courtemanche, disparu de la map pendant une éternité au siècle dernier. Louis-José Houde a récemment repoussé d’un an le rodage de son troisième spectacle parce que — je cite son blogue — « la fatigue post-Suivre la parade s’étire ». Et pas plus tard qu’en novembre 2009, Martin Matte a annulé des spectacles après avoir eu un blackout sur la scène du Grand théâtre de Québec. Un médecin a diagnostiqué un surmenage, alors qu’il venait de recevoir un billet quatre fois platine pour son show et enchaînait les représentations et les apparitions publiques à un rythme habituellement réservé aux participants fraîchement évincés d’une téléréalité de TVA.

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Pourtant, on regarde leur job et on se dit que ça ne peut pas être aussi épuisant qu’ils le prétendent. Conter des jokes, faire des chroniques d’humeur à la radio, tourner des clips pour son compte YouTube — le quotidien d’un humoriste ressemble plus à celui d’un cégépien en sciences humaines qu’à un professionnel à qui l’on demande des sacrifices douloureux. Leurs shows durent deux heures, ils en font trois par semaine; même pas une journée de travail complète! Leur paresse est tellement évidente que même le blogue La Clique du Plateau en a parlé, après le passage de Martin Matte à Tout le monde en parle: «Tiens, le seul humoriste au Québec qui a souffert d’épuisement professionnel parce qu’il avait fait, pour la première fois de sa vie, 40 heures semaine…» C’est vrai, à la fin. Si nous sommes tous capables de faire nos cinq jours/semaine sans claquer, pourquoi ce serait différent pour eux?

Mais ce raisonnement né du proverbial gros bon sens serait, selon les comiques, aussi malhabile qu’un clown qui essaie d’éviter la tarte à la crème lancée par son sidekick.

Dans le coffre aux trésors

Sans être une réalité épouvantable et cruelle, la vie d’humoriste n’est pas exactement aisée au Québec. La concurrence est féroce et l’argent, rare.

Prenez un jeune de la relève qui se fait les dents dans le circuit des bars de Montréal et des alentours. Pour un numéro présenté devant une centaine de spectateurs, il peut gagner entre rien du tout et un maigre 75$. «Ça m’est même déjà arrivé de perdre de l’argent à la fin de la soirée, dit Étienne Dano, qui a participé à la fondation des fameux Mardis de l’humour au pub St-Ciboire. Quand tu commences dans le milieu, t’en manges, du beurre de peanuts…»

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Celui qui désire devenir le prochain Olivier Guimond et vivre un jour de ses grimaces est donc obligé d’accepter n’importe quel contrat. Il doit s’habituer à toujours dire oui, oui, oui, sans penser aux vacances. S’il est talentueux, le jeune deviendra connu, et les propositions n’en seront que de plus en plus intéressantes et payantes – les mégastars demandent jusqu’à 15 000 $ l’heure pour un spectacle privé. Des offres, donc, de plus en plus difficiles à refuser.

Une fois en haut de l’échelle, une fois le Théâtre St-Denis ou le Centre Bell rempli, l’humoriste est conditionné à enchaîner les contrats et les engagements. Il accorde des entrevues à la cadence de Denis Coderre, multiplie les apparitions dans les talk-shows estivaux de Radio-Canada, les contrats corporatifs pour la division nord-est de Re/Max Québec. «L’humoriste est conscient que son peak ne durera pas nécessairement dix ans, m’explique Benoît Pelletier, professeur à l’École nationale de l’humour. Quand il surfe sur une grosse vague de fond et que ça va bien, il ouvre la machine pour en profiter au maximum.» Ainsi, il plonge la main dans le coffre au trésor avant qu’il ne se referme pour de bon, encore et encore, et finit par accumuler tellement de travail qu’il s’effondre. Parfois au beau milieu d’un spectacle à St-Jean-sur-Richelieu, mais plus souvent roulé en petite boule désespérée sous ses couvertures.

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