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Une épidémie de tics causée par TikTok chez la génération Z?

À travers le monde, des adolescentes se présentent dans les hôpitaux avec des tics aigus et soudains.

Par
Catherine Montambeault
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Dans des hôpitaux aux quatre coins de la planète, des adolescents – surtout des adolescentes – se présentent depuis plusieurs mois avec d’étranges tics qui, à première vue, rappellent ceux des cas les plus sévères du syndrome de Gilles de la Tourette (SGT). Des mouvements brusques et soudains, des mots sortis de nulle part, des sons émis de façon incontrôlable… qui ressemblent drôlement à des comportements mis de l’avant par des influenceurs et influenceuses populaires sur TikTok.

Parallèlement, les vidéos de jeunes montrant leurs tics se sont multipliées sur cette application au cours de la dernière année. Les mots-clics #Tourettes et #TouretteSyndrome y cumulent 6,4 milliards de visionnements au moment d’écrire ces lignes. Cette tendance pourrait-elle avoir un rôle à jouer dans l’apparition de tics nerveux chez les adolescent.e.s?

@thistrippyhippie

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Plusieurs chercheurs et chercheuses des États-Unis, de l’Allemagne, de l’Australie, de l’Angleterre et du Canada semblent croire que oui. Une étude américaine publiée en juillet les surnomme les « tics TikTok ». Une autre, publiée par un regroupement international de chercheurs en août, affirme que l’on assiste à une « pandémie parallèle » à celle de la COVID-19. Des chercheurs allemands parlent même d’une « maladie de masse induite par les réseaux sociaux ».

Le phénomène se manifeste aussi au Québec et ne manque pas de soulever les interrogations des spécialistes de la santé. À la clinique de Tourette du Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine, au plus fort de la pandémie, au moins une adolescente par semaine, généralement âgée de 15 ou 16 ans, se présentait avec des tics aigus apparus soudainement, selon la neuropédiatre Dre Inge Meijer.

« Je dirais que c’était comme ça à partir de quand les écoles ont fermé en septembre 2020 jusqu’à mai de cette année à peu près, indique-t-elle. Dans les derniers mois, j’en ai vu plusieurs encore, donc ce n’est pas terminé, mais ça semble s’estomper. Normalement, 2 à 5 % des enfants qui se présentent à notre clinique ont des tics complexes comme ça, et maintenant, c’est 20 à 30 % de nos cas. »

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« Quand je rencontre ces jeunes-là et que je leur demande pourquoi ils pensent qu’ils ont la Tourette, la plupart finissent par me dire qu’ils ont vu ça sur TikTok », ajoute-t-elle.

La très grande majorité des jeunes qui ont des « tics TikTok » ne souffrent pas du syndrome de la Tourette, précise la Dre Inge Meijer. Il s’agit d’un trouble tout à fait distinct.

«Les mouvements sont très différents des tics qu’on voit d’habitude chez les jeunes qui ont la Tourette.»

« Les mouvements sont très différents des tics qu’on voit d’habitude chez les jeunes qui ont la Tourette, note-t-elle. Normalement, les tics commencent vers l’âge de 4 à 6 ans, surtout dans le visage, et tranquillement, la maladie se complexifie dans les années qui suivent. Chez les jeunes qui ont des “tics TikTok”, il va plutôt y avoir un début aigu, du jour au lendemain, avec des mouvements beaucoup plus amples et complexes, souvent avec les mains, avec des sons très complexes aussi. Ils vont dire des mots complets ou une panoplie de mots, ce qu’on ne voit presque jamais chez les gens qui ont la Tourette. Ça ne suit pas du tout une évolution habituelle. »

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Les mots qui reviennent dans les tics de ces jeunes sont souvent les mêmes que ceux fréquemment mentionnés par des influenceurs et influenceuses sur TikTok. Par exemple, une chercheuse de Chicago a remarqué que les adolescent.e.s répétaient souvent le mot « beans », popularisé par Evie Meg, une influenceuse britannique vivant avec le syndrome de la Tourette.

« Ici, au Québec, je remarque aussi que mes patients font des tics qui ressemblent beaucoup beaucoup à ceux d’Evie Meg », souligne la Dre Meijer.

Des manifestations d’une anxiété de plus en plus lourde

Tout porte à croire que s’ils ne relèvent pas du syndrome de la Tourette, les « tics TikTok » font plutôt partie de ce qu’on appelle les troubles fonctionnels, selon la neuropédiatre. Grosso modo, les troubles fonctionnels sont des symptômes physiques qui traduisent des émotions, un peu comme des messages que nous enverrait notre corps pour nous signaler que quelque chose cloche.

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« Les enfants n’ont pas beaucoup de moyens de reconnaître leurs émotions, ou de comprendre qu’ils sont anxieux ou déprimés par exemple, donc leur corps l’exprime plutôt par des symptômes, explique la Dre Inge Meijer. En neurologie, c’est un phénomène qu’on voit beaucoup. »

Les troubles fonctionnels sont beaucoup plus fréquents chez les enfants et les adolescent.e.s depuis quelques années, et encore plus depuis la pandémie, constate la neuropédiatre en faisant le lien avec les troubles anxieux, qui connaissent également une hausse fulgurante. « La vie est juste devenue beaucoup plus stressante pour les ados en 2021 », résume-t-elle. Le CHU Sainte-Justine serait d’ailleurs à mettre sur pied une clinique spécifique pour les ados aux prises avec des troubles fonctionnels.

Mais ce qui est particulier, c’est justement que ces troubles se présentent en grande majorité sous forme de tics depuis la pandémie. « Il existe toutes sortes d’autres types de troubles fonctionnels, par exemple des troubles gastro-intestinaux ou des convulsions, mais ce qui laisse croire que les médias sociaux ont un impact dans tout ça, c’est que les autres types de troubles fonctionnels ne sont pas devenus plus populaires. Juste les tics, et c’est ce qui est populaire sur les réseaux en ce moment », mentionne la neuropédiatre.

«Ces enfants-là sont réellement souffrants, il faut les aider.»

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Mais attention, ce n’est pas parce que les « tics TikTok » semblent être des manifestations de somatisation qu’il ne faut pas croire les jeunes qui les subissent, avertit la Dre Meijer.

« C’est vraiment quelque chose de subconscient, précise-t-elle. C’est un défaut de mentalisation, c’est-à-dire qu’au lieu de prendre conscience qu’ils sont anxieux, les jeunes vont avoir des tics, parce que leur cerveau n’arrive pas encore à comprendre ce qu’ils ressentent, donc leur corps va se mettre à avoir des symptômes physiques pour signaler qu’ils ne vont pas bien. Ces enfants-là sont réellement souffrants, il faut les aider. »

Contrairement aux traitements préconisés pour le syndrome de la Tourette, les traitements utilisés pour les tics fonctionnels se concentrent sur la cause des tics plutôt que sur les tics eux-mêmes. « On va utiliser une thérapie centrée sur les enjeux d’anxiété et de dépression et les difficultés de mentalisation, mentionne la Dre Inge Meijer. On vise à ce que les jeunes puissent mieux reconnaître et comprendre leurs émotions et les exprimer. »

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« J’ai commencé à faire les mêmes tics que toi »

Andréanne Fortin, comédienne et porte-parole de l’Association québécoise du syndrome de la Tourette (AQST), publiait elle-même des vidéos de ses tics sur YouTube et sur TikTok il y a encore quelques mois dans le but de démystifier le syndrome dont elle est atteinte. Sa chaîne YouTube, réalisée avec son amie Olivia Leclerc et intitulée Gilles pis la p’tite, cumulait plus de 65 000 abonné.e.s.

Mais c’était avant qu’Andréanne réalise que plus elle filmait ses tics, plus leur fréquence et leur intensité augmentaient.

« Il y a aussi des jeunes qui me disaient : “J’ai commencé à faire les mêmes tics que toi”, raconte-t-elle. Donc non seulement ça ne m’aidait pas moi, mais j’ai eu peur que ça n’aide pas les autres non plus. »

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La jeune femme de 26 ans a donc décidé en août dernier de prendre une pause des réseaux sociaux. « Du moment que j’ai arrêté la chaîne YouTube, mes tics ont beaucoup diminué », note-t-elle.

Si elle aimerait éventuellement recommencer à parler du syndrome de la Tourette en vidéo, Andréanne Fortin prévoit le faire différemment cette fois. « Je veux continuer de sensibiliser les gens au syndrome, parce que c’est important qu’on en parle, mentionne-t-elle. Mais les tics, les gens les ont vus, je pense qu’il faudrait donner plus d’information maintenant. »

«Du moment que j’ai arrêté la chaîne YouTube, mes tics ont beaucoup diminué.»

En effet, les vidéos qui abordent le syndrome de la Tourette ne consistent généralement qu’en une démonstration de tics extrêmes, ce qui n’est pas représentatif de la réalité et qui renforce des stéréotypes associés au syndrome selon Sabrina Truchon, une autre jeune femme qui vit avec le SGT et qui consomme régulièrement du contenu sur TikTok.

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« C’est vraiment fâchant, parce que ce qu’on voit sur les réseaux sociaux, c’est toujours des gros, gros tics, souligne-t-elle. Par exemple, quelqu’un essaie de faire de la cuisine et tous les ingrédients lui tombent des mains. C’est toujours très exagéré, parce que c’est ça qui donne des likes. Donc ensuite, les gens pensent que le SGT, ça ressemble toujours à ça. Mais dans la vraie vie, ces cas-là vraiment sévères, c’est très rare. »

De nombreuses vidéos montrent aussi des jeunes qui lancent des jurons ou des mots grossiers de façon involontaire, ce que l’on appelle de la coprolalie, explique la jeune femme. Or, la coprolalie touche environ 10 % seulement des gens qui vivent avec le syndrome de la Tourette, selon l’AQST.

Toutes les personnes que nous avons interrogées ont souligné que les vidéos sur le syndrome de la Tourette peuvent aussi avoir des impacts positifs : renforcement du sentiment d’appartenance à une communauté, sensibilisation à l’existence du syndrome, etc.

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Mais ici, l’adage « parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en » ne s’applique pas. Les femmes rencontrées estiment toutes que pour véritablement faire avancer la cause, il faut éviter que les informations véhiculées au sujet du syndrome de la Tourette soient stigmatisantes ou sensationnalistes.

« C’est bien que tout ça fasse parler du SGT, mais il faudrait en parler de la bonne manière », résume Sabrina Truchon.