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Une chance que la Ville a sauvé l’enseigne de la boutique Archambault
Pour certains, c’est de la pollution visuelle, pour d’autres ce sont des repères historiques qui ont le pouvoir de faire retomber en enfance ou de rappeler des soirées de brosses étudiantes qui se terminaient dans un casse-croûte. Les enseignes commerciales, qu’elles soient kitsch, en néon, avec des jeux de lumière, peintes à la main ou juste laides, on les aime.
On a discuté de cet amour inconditionnel avec le professeur Matt Soar, pour qui la préservation des enseignes commerciales est une mission de vie.
Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur votre travail?
En plus d’être professeur au département des communications à l’Université Concordia, je suis directeur du Projet d’enseignes de Montréal depuis 2010. C’est une collection d’enseignes de la ville qui ont une certaine résonance culturelle pour les Montréalais.
Nous avons environ 25 enseignes qui sont exposées au campus Loyola de Concordia. Les plus récentes acquisitions sont l’enseigne du Club Sandwich et celle de Fairmount Bagel. Nous avons des logos de la STM, des tableaux de l’aéroport Mirabel ainsi que les enseignes de Warshaw, Bens, Monsieur Hot-Dog, Dumoulin Bicyclettes, Librairie Guérin, etc.
Comment avez-vous réagi quand vous avez vu que l’enseigne d’Archambault était enlevée?
J’étais stupéfait et un peu fâché, mais je n’étais pas surpris. Nous n’avons pas de discussions à propos de ce qu’on a perdu comme patrimoine visuel. Par exemple les rues Sainte-Catherine et Saint-Hubert étaient couvertes de néons dans les années 50, mais elles étaient presque toutes disparues dans les années 80 et 90. Et c’est vraiment triste.
L’enseigne d’Archambault, c’est un emblème au même titre que l’enseigne Five Roses et la bouteille de lait Guaranteed Milk ou même comme la croix du mont Royal. Les gens s’en soucient vraiment. Quand l’enseigne Five Roses a été éteinte en 2006, beaucoup de gens se sont révoltés.
Si vous avez une enseigne qui a plus de 50 ans, ça devrait être votre devoir de consulter l’arrondissement à propos de son retrait. Surtout quand ça concerne l’enseigne d’Archambault, qui a plus de 90 ans.
Est-ce que les Montréalais sont particulièrement attachés à leurs enseignes?
Ça serait difficile d’affirmer qu’on est «spéciaux» dans ce sens, ou qu’on a préservé beaucoup d’enseignes, car ce n’est pas le cas. On est semblables à d’autres villes post-industrielles qui ont un héritage dont elles peuvent être fières.
Je crois par contre qu’il serait temps qu’on ait un véritable musée des enseignes à Montréal, comme c’est le cas avec l’allée des néons à Edmonton ou les musées d’enseignes à Vancouver, Las Vegas, Cincinnati et Berlin.
D’un côté on se plaint qu’il y a trop de publicité dans l’espace public et d’un autre côté on est fascinés par les enseignes commerciales. Qu’est-ce que ça dit sur nous?
Ça dit surtout que ça prend une meilleure planification urbaine, un meilleur dialogue entre l’industrie des enseignes commerciales et les planificateurs urbains concernant ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.
Je crois toujours qu’il y a de l’encombrement visuel dans la ville, mais c’est clair pour moi que certaines enseignes sont différentes et qu’elles valent la peine d’être préservées. Quand les gens viennent voir nos enseignes, ça déclenche des souvenirs. Certains se remémorent le quartier où ils ont grandi ou les boutiques où ils allaient magasiner avec leurs parents, ou encore l’endroit où ils vivaient en tant qu’étudiants.
Il faut peut-être aussi élever les standards de qualité des enseignes qui sont installées. On peut tous penser à des enseignes vraiment moches qu’on a vues dans la rue. La plupart des enseignes qu’on voit sont des boîtes blanches illuminées avec des lettres coupées dans du vinyle. Ça n’apporte rien au quartier ou à l’architecture.
Est-ce que vous pouvez m’indiquer une enseigne que vous trouvez particulièrement laide?
Je ne voudrais pas m’aventurer là-dedans… Mais regarde le dépanneur au coin de la rue et c’est probablement un bon exemple de mauvaise enseigne. Par contre c’est logique économiquement. C’est cheap, c’est lumineux et ça communique le message que ça doit communiquer dans le langage adéquat.
Savez-vous ce qui va advenir de l’enseigne du Club Super Sexe?
Celle-là est tricky pour toutes sortes de raisons. D’une part, il y a le bon goût. Je fais des blagues avec des collègues à savoir si on serait prêt à l’accrocher au mur ici. Et l’autre chose c’est qu’elle est vraiment immense. Si j’étais impliqué, ce serait pour sauvegarder seulement certaines parties.
Et en plus, la rumeur veut que le propriétaire désire la vendre à fort prix. Mais si quelqu’un veut l’acheter et la mettre dans un bar ou ailleurs, ça serait fantastique.
Est-ce que c’est une enseigne qui vaut la peine d’être préservée selon vous?
Absolument! Cette enseigne est incroyablement kitsch, ses personnages sont vraiment mal dessinés, et c’est quelque chose qui revient dans plusieurs enseignes. Mais ça fait partie de l’histoire de Montréal. J’adorerais prendre part à la conversation à propos de quoi faire avec, car c’est clairement une conversation délicate.
Est-ce que vous regrettez la disparition de certaines enseignes?
Oui, bien sûr. Les gens qui viennent voir la collection se demandent pourquoi on n’a pas d’enseigne de Steinberg, par exemple. Mais celle qui va toujours me hanter c’est l’enseigne de la taverne Toe Blake. C’était un néon à l’extérieur de la taverne qui était située sur Sainte-Catherine près de la rue Guy, je crois. C’est un peu comme un fantôme. Parfois, j’entends le vent murmurer que l’enseigne de la taverne Toe Blake est cachée dans une archive ou un musée quelque part.