.jpg)
Une campagne de pub en train de devenir tristement célèbre
« Full célèbre », c’est le titre d’une campagne publicitaire ayant comme objectif de « faire mieux connaître les réalités de la cyberexploitation sexuelle et la cyberagression sexuelle, deux fléaux reliés à la propagation de photos et de vidéos intimes sur le web. ». C’est du moins ce que l’on peut lire sur le site de la campagne en question.
Mercredi, l’animatrice et chroniqueuse Catherine Ethier a partagé une photo de la publicité, prise au coin des rues Jarry et Saint-Laurent à Montréal, en décembre dernier, accompagné d’un commentaire témoignant de son ras-le-bol :
« POUR UNE FOIS qu’on essaie timidement de prendre soin de nos filles, pourrait-on, JE RÊVASSE, s’adresser aux agresseurs et à tous ceux qui détruisent la vie des femmes plutôt que de s’attaquer aux victimes, encore? Je connais une couple de ti-gars qui mériteraient d’avoir un sac de papier sua tête. »
«Je connais une couple de ti-gars qui mériteraient d’avoir un sac de papier sua tête.» – Catherine Éthier
Celle qui est aussi marraine du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale estime que la campagne rate la cible en pointant du doigt les victimes plutôt que les agresseurs.
En quelques heures, la publication a été partagée plus de 1000 fois et a provoqué des milliers de réactions, majoritairement négatives.
.jpg)
La honte doit changer de camp
« Quand j’ai vu la photo de la publicité, ça m’a jetée à terre en tant que citoyenne et en tant que femme, affirme la chroniqueuse, très sensible aux enjeux féministes en général. Si on s’intéresse au narratif de la publicité, on nous raconte l’histoire de Yasmine, une adolescente qui aurait envoyé des nudes par texto à quelqu’un qui les auraient partagées. Jusqu’ici ça va. Mais là où ça devient problématique, c’est le message qui s’en dégage. Le sac de papier sur la tête de la jeune fille lui fait porter la honte à ELLE, le fardeau à ELLE, la responsabilité à ELLE. Je l’ai écrit sur Facebook et je le répète ici: “La honte doit changer de camp, ciboire.” En tant que marraine du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, je considère que c’est mon rôle d’élever la voix et d’utiliser ma tribune pour sensibiliser les gens aux enjeux en lien avec la culture du viol. Je comprends qu’il faut faire de la prévention. Mais dire à une jeune fille, “Si tu voulais pas que ta photo soit partagée, tu avais juste à pas l’envoyer.”, ça revient à dire “Si tu voulais pas te faire agresser, tu avais juste à pas marcher dans la rue.”. C’est la même logique de victim shaming. »
«Le sac de papier sur la tête de la jeune fille lui fait porter la honte à ELLE, le fardeau à ELLE, la responsabilité à ELLE. Je l’ai écrit sur Facebook et je le répète ici: “La honte doit changer de camp, ciboire.”»
Si Catherine Ethier reconnaît qu’il n’y a évidemment aucune mauvaise intention derrière la campagne, et que beaucoup d’argent, de travail et d’énergie ont sans doute été déployés pour la réaliser, elle considère qu’on aurait pu mieux faire « On a tellement peu de place pour parler de la culture du viol et de ses impacts que je trouve ça dommage comme situation. On le sait ce que la campagne cherche à dire, mais le résultat est stigmatisant et culpabilisant pour les femmes. J’essaye tout de même de me dire que la discussion que ça provoque est intéressante et fera sans doute réfléchir beaucoup de gens. »
Depuis sa publication mercredi, Catherine suit de près les commentaires et réactions suscités par la campagne sur laquelle elle a braqué les projecteurs. Elle invite les gens à lire les mots de l’étudiante en victimologie et criminologie Juliette Bélanger-Charpentier sur Instagram, qu’elle trouve très à propos.
Selon Catherine Ethier, l’angle adopté par la campagne « Full Célèbre » révèle à quel point les mentalités tardent à changer. « C’est flagrant à quel point dans notre société, le fardeau des agressions sexuelles, de la cyberexploitation à la cyberagression sexuelle en passant par la sextorcion, repose encore et toujours sur les femmes. C’est important de parler de l’enjeu des nudes, des sextos envoyés par les personnes mineures, mais pour moi, le choix d’en parler en punissant, en humiliant et en ostracisant la victime, c’est une posture très dangereuse. »
Tristement célèbre
Nous avons tenté de joindre plusieurs partenaires du comité derrière la campagne «Full Célèbre» afin d’obtenir leur point de vue. On nous a alors orienté vers un communiqué publié sur la page Facebook de la CLES (Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle) commentant l’affaire.
«La campagne vise à sensibiliser les jeunes mineur.e.s sur les impacts que peuvent avoir l’envoi d’images intimes par les médias sociaux, les téléphones intelligents ou autres médiums», peut-on y lire. On y indique aussi que la campagne a été construite «selon un processus soucieux des jeunes victimes» et que ce sont les «jeunes concerné.e.s» qui auraient choisi les images.
«Cette image “choc” d’une jeune fille avec un sac de papier sur la tête les interpellait parmi toutes les images présentées. Les jeunes nous ont dit que cette image les incitait à en discuter davantage et à se rendre sur le site web Fullcelebre.org. En ce sens, notre campagne a atteint sa cible», estime l’organisme, qui affirme toutefois que «la honte doit changer de camp» dans le discours public.
«Le but n’est nullement de blâmer les victimes, mais de sensibiliser les jeunes aux conséquences que ces actions peuvent avoir sur leur vie.»
Lors d’une brève entrevue téléphonique, Pina Arcamone, la directrice d’Enfant-Retour Québec, un autre organisme partenaire, nous a également affirmé soutenir l’initiative. «Nous trouvons cela dommage que des gens perçoivent la campagne de cette façon. Le but n’est nullement de blâmer les victimes, mais de sensibiliser les jeunes aux conséquences que ces actions peuvent avoir sur leur vie. »
« Je ne suis pas sûre que de miser sur la peur et la menace des conséquences sur la vie de la victime soit la bonne avenue, croit Catherine Ethier. Personnellement, j’aurais plutôt fait une campagne qui s’adresse aux garçons, pour les éduquer sur les notions de consentement, de confiance et de respect de l’intimité », affirme l’animatrice, qui mise sur une éducation et une approche positive de la sexualité. Elle souhaite qu’à l’avenir, ce genre de campagne soit mieux conçue.
Et comme l’affirme Juliette Bélanger-Charpentier sur Instagram, « On doit faire mieux. Et la barre n’est pas haute. »