.jpg)
Le programme Cobra permet à tout civil de prendre place auprès d’un policier dans l’exercice de ses fonctions. Urbania a accompagné une patrouille dans les rues de Montréal afin de vivre sa propre version de 19-2, les fesses de Claude Legault en moins.
Ce texte est extrait du Spécial RUE, en kiosque dès maintenant ou disponible en version PDF sur la Boutique Urbania
L’équipe du poste 21, au centre-ville, est réunie autour de la grande table rectangulaire. Ça jase fort, mais surtout d’aménagement paysager : on rentre d’un six jours de congé. C’est le fameux fall-in, comme dans 19-2. J’ai devant moi 11 hommes, 2 femmes, 1 étudiant « en cobra » comme moi et 2 agents undercover.
L’agent superviseur Northern énumère les points chauds de la soirée : manif au parc Émilie-Gamelin vers 17 h, on garde un œil sur le Pool Room en fin de soirée – les boss sont tannés des putes et des crackheads. On peut faire du ménage. Sinon il y a un cocktail pour Maka Kotto, coin Bleury-Ste-Catherine. Du bout de la table, on rigole. « Macaque Auto ? C’t’un garage ? » Éclat de rire général.
Avant de partir avec la patrouille, le relationniste du SPVM, l’agent Daniel Lacoursière, me retient : il a besoin de mon consentement attestant que j’endosse tous les risques et périls potentiels et que je suis prête à mourir en service. On remplit les papiers diligemment. L’agent Lacoursière trace ses lettres avec une règle. L’instant d’un moment, je suis projetée dans les Filles de Caleb. J’admire sa belle écriture cursive. Il prend des appels (Tu dis : Enquête en cours afin d’établir les circonstances ! C’est pas compliqué !) On est dans Mirador, l’ambiguïté sexuelle de
David La Haye en moins.
***
« On va commencer ça par un café ? »
L’offre vient de Marc-Mathieu. C’est avec lui et son partenaire Sébastien que je vais patrouiller. Marc-Mathieu fait un double aujourd’hui, il a besoin d’énergie. Sébastien retient un rire. Marc-Mathieu passe aux aveux : « Ok… j’avais une pratique de tir à Laval, ce matin. Un beau champ de tir extérieur. N’empêche, je suis debout depuis 5 heures pareil! »
Go pour le café. Toujours partante pour dérouler le rebord.
Mais on a déjà un appel. Pas de « 21-4, on l’prend ! » ? Je déchante aussitôt : ils l’ont reçu par ordinateur. Pas le temps pour le café, mais on s’y rendra mollo : c’est une priorité 3. Dans une prio 1, il y a danger pour la vie, on y va en conduite d’urgence, gyrophares devant. Après, on décline selon le gros bon sens. « On ne sait jamais à quoi s’en tenir, s’enthousiasme Marc-Mathieu. Si t’aimes la routine, c’est pas le bon métier pour toi. » Pour notre prio 3, on se la joue donc un peu pépère.
C’est un chauffeur de la STM qui avait placé l’appel – une voiture stationnée dans sa zone de débarquement, devant le palais de justice dans le Vieux-Montréal, refusait de bouger. À notre arrivée, une bonne quinzaine de minutes plus tard, nulle trace ni de la voiture, ni de l’autobus. On complète l’appel et on se remet disponibles.
On se dirige vers le métro Berri, haut lieu de la consommation et de la vente de stupéfiants de la dernière chance. On va aussi pouvoir jeter un coup d’œil à la manif : les organisateurs promettent le port du masque à l’effigie d’Ian Lafrenière. J’ai hâte de voir mes deux policiers réagir à une foule arborant la face de leur propre patron aux communications. Parce qu’il semblerait que ces jours-ci, le panda ne soit pas la seule espèce menacée dans les rues de Montréal.
Le Rouge et le Noir
À un feu rouge, coin Viger et Berri, Sébastien interpelle un jeune en train de mendier.
– Heille Red, comment ça va ?
Le Red en question s’approche, suspicieux, force un sourire. Il regarde Sébastien, puis m’aperçoit avec surprise sur la banquette arrière. Il ne sait pas ce qui se passe, mais choisit de coopérer. Son regard s’immobilise quelque part entre nous deux.
– Ça va… Vous autres ?
Faudra m’habituer à ce masque de malaise qui se tricote lentement sur les visages des « amis » des policiers : si un lien les unit, il est ambigu.
– Qu’est-ce que tu fais à soir ?
– J’couche dehors ! s’exclame-t-il. Dans sa voix, un mélange de triomphe et d’aspérité.
– Veux-tu qu’on te trouve une place ? propose spontanément Sébastien.
Red refuse poliment. On est bien, ce soir. Le fond de l’air est tiède. Il les rassure : « C’est juste pour à soir. C’est fini, ce temps-là… J’ai une place quelque part, faut juste que j’appelle. J’ai le numéro. » Il ne se donne même pas la peine de prendre un ton convaincant.
Pour Sébastien, l’important, c’est de tisser des liens. Entre policiers et gens de la rue, on finit par se connaître. Red a l’hépatite et il a accès à des soins dans un centre spécialisé. Pour ce soir, ils le laisseront dehors, arguant qu’ils finiront bien par le recroiser pour continuer le travail avec lui. Pour ne pas qu’il sombre à nouveau.
En approchant du métro Berri, il me met en garde :
– Ta perception du métro Berri n’est pas la même que la nôtre. Tu vas voir.
Je ne m’emballe pas trop : j’ai encore notre niaisage dans le Vieux en plein heure de pointe en travers de la gorge.
Métro, boulot, héro
En arrivant au métro, on fait de l’ironie sans le vouloir en se
stationnant dans un arrêt d’autobus. Les policiers prennent leur temps pour sortir, le temps que se dissémine devant nos yeux l’essaim d’abeilles qui faisaient la sentinelle devant les portes du métro.
À la vue de la voiture de police, petits dealers et autres bums de bas étage s’éloignent en effet à la mine-de-rien, presque en sifflant. Malgré mes efforts pour sortir, je reste prisonnière de la voiture. Je rechigne un peu. Marc-Mathieu vient m’ouvrir la portière: « Ici tu peux rentrer, mais tu peux pas sortir. C’est d’même que ça marche. » Ça m’angoisse un peu, mais je choisis de le voir positivement, comme un acte de galanterie. Un art qui se perd mais se peaufine peut-être à Nicolet.
Sébastien avait envie de parler à un autre de ses “amis”, mais celui-ci s’éloigne. On marche derrière lui. Ses pas s’accélèrent. Nos pas aussi. On marche vite. Ça sent la fuite. On court.
Une poursuite ! En plein sur Ste-Catherine !
Lisez dans la suite dans le Spécial RUE, en kiosque dès maintenant ou disponible en version PDF sur la Boutique Urbania