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Un samedi au Grand Salon de l’homme de Montréal

Huiles gourmandes, ski doo et rendez-vous manqué avec Philippe Berghella

Par
Benoît Lelièvre
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Dans la salle de rédaction d’URBANIA, la découverte de l’existence d’un Grand Salon de l’homme de Montréal a été accueillie avec un brin de cynisme et d’ironie.

« On dirait une parodie », s’est exclamée une de mes collègues à la vue du site web.

« Ça sent le vox pop parfumé à l’après-rasage cheap, cette histoire-là! », en rajoutait un autre.

C’était le 18 octobre dernier et cette annonce sortie de nulle part semblait aller à contre-courant de l’éclatement des modèles genrés qui fait son petit bonhomme de chemin dans la société depuis quelques années, au Québec comme ailleurs. À quoi peut bien servir un Salon de l’homme en 2021 alors qu’on est en pleine (re)définition du concept même de masculinité et qu’on tente de faire tomber les stéréotypes?

J’ai grandi dans un milieu conservateur qui, dans les années 90, véhiculait une conception un peu traditionnelle et étroite de la masculinité. L’eau a coulé sous les ponts et depuis ce temps, heureusement, j’ai pas mal élargi mes horizons. Dans ce contexte, inutile de dire que j’étais particulièrement curieux de savoir ce qu’avait à offrir ce grand rassemblement destiné, nous disait-on, à l’homme avec un petit h.

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Je suis donc parti en quête de « vérité » en me rendant à l’événement un beau samedi matin, et je n’ai pas été déçu par mes trouvailles.

Premier constat : le Palais des congrès est un labyrinthe interdimensionnel

Ne se rend pas au Grand Salon de l’homme de Montréal qui veut.

Seuls les aventuriers urbains aux tempéraments les plus implacables peuvent naviguer l’énigme existentielle que pose le premier étage du Palais des congrès. Passant directement par la station de métro Place-d’Armes, je demande la direction du Grand Salon à la première personne en uniforme que je rencontre. On me dirige vers la gauche, mais seul un grand corridor en ligne droite apparaît devant moi.

Je progresse alors jusqu’à la première personne en uniforme sur la gauche, qui me dirige ENCORE vers la gauche, malgré l’absence visible de couloir menant vers la gauche. Au moment où je commence à penser que le Salon de l’homme n’existe pas vraiment et qu’il s’agit d’une conspiration « gauchiste » (!) visant à m’éloigner de mon vrai homme intérieur, qui, selon les clichés, devrait avoir un sens de l’orientation à toute épreuve, j’aperçois une dame qui dessert un unique client, ce dernier disparaissant au bout d’un escalier roulant après avoir fait scanner un passeport vaccinal imprimé.

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« Bienvenue au Grand Salon de l’homme de Montréal! », me dira-t-elle en me remettant mon billet lorsque je l’atteindrai enfin.

Elle poursuit en m’expliquant que l’événement se situe au deuxième étage, dans une salle d’exposition conçue pour ce genre d’exposition. Et qu’à partir de maintenant, je n’ai qu’à suivre une série de flèches pour me diriger. VICTOIRE! J’ai dompté le monstre architectural qu’est le Palais des congrès. Je me sens déjà l’âme d’un Indiana Jones du béton.

Deuxième constat : j’pensais que c’tait ça que c’tait, mais c’tait pas ça que c’tait

Au Salon, rien n’est séparé par thématique. Skateboarding, alcool, bijoux, motoneiges et cartes Magic coexistent paisiblement sur le plancher d’exposition.

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Mon premier arrêt se fait à l’aveuglette, au kiosque de la compagnie Saveurs & Assaisonnements, où un sympathique monsieur m’invite à essayer ses huiles alimentaires gourmandes : piment chili sucré, citron-lime thaï, ail rôti et bacon croustillant.

« Celle-là est faite à base de pruneaux fumés. Y’a pas de bacon dedans », m’indique-t-il en me tendant un échantillon dans un verre de carton. « Tu mets une goutte de ça dans ta mayo pis tu brasses. J’te dis, mon homme, tu vas remercier le ciel. »

Skateboarding, alcool, bijoux, motoneiges et cartes Magic coexistent paisiblement sur le plancher d’exposition.

Le représentant m’explique qu’il est très impliqué dans les salons chasse et pêche. Que ses produits y font fureur. J’ai aucun doute là-dessus. Si la chasse et les grosses bouffes viandeuses étaient ma passion, l’huile de bacon me ferait passer pour Nikola Tesla dans les partys. Malheureusement pour lui, mes intérêts sont ailleurs. (Spoiler : quelqu’un mettra le doigt dessus avant la fin de ma visite au Salon.) Je remercie sincèrement mon interlocuteur avant de poursuivre mon aventure.

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Au fond, le Grand Salon de l’homme de Montréal, c’est un peu le salon des métiers d’arts pour bros. C’est une vitrine sur le travail d’artisans québécois. J’y rencontre Nicolas et Dodji, les propriétaires de Montreal B-Board, une entreprise de matériel d’exercice; Jean-François, de la boutique de skate Rollin; je croise même mon vieux partenaire d’entraînement Anthony Haddad, qui est sur place avec son associé pour promouvoir le gym de boxe Panda, qu’il a ouvert en pleine pandémie. Il me fait d’ailleurs mettre les gants en souvenir du bon vieux temps. Le matériel est rouillé, mais il fonctionne encore.

Tony me confie que c’est tranquille au Salon depuis l’ouverture.

« Est-ce qu’il y a quelques femmes parmi les visiteurs?

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– Pas beaucoup. Tu sais, bro, ça s’appelle le Salon de l’homme. Mais la boxe, c’est inclusif. 70 % de ma clientèle est féminine. » (40 % de son personnel d’entraîneurs et d’entraîneuses aussi.)

En gros, tout le monde semble bien fier de présenter son travail à un auditoire de nouveaux clients et clientes potentiels. Le seul énergumène que j’ai croisé dans ma journée était devant un kiosque de suppléments alimentaires pour haltérophiles.

« Y’a-tu d’la caféine dans tes affaires? demande-t-il à l’exposant avec méfiance.

– Ouais, heu… oui, y’en a.

– J’prends pas ça, moi. C’est pas bon pour toi, ces affaires-là », dit-il avant de prendre la poudre d’escampette.

Ah, ben merci, bro. Maintenant tout le monde sait que tu prends pas de café. J’espère que t’assumes bien cette déclaration choc.

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Quatrième constat : il y a beaucoup de femmes au Salon de l’homme

Bien que Tony n’en ait pas croisé beaucoup (ce qui s’explique peut-être par le fait que son kiosque est dans un coin), le ratio homme/femme du Grand Salon de l’homme de Montréal est assez équilibré. Dans l’audience comme chez les exposant.e.s. J’y vois plusieurs couples. Beaucoup de têtes blanches.

On me demande mon adresse courriel pour un projet « sensations fortes » dont je ne comprends pas trop la nature. Je conduis (de peine et de misère) un simulateur de Formule 1 sur le circuit Gilles-Villeneuve. Un gars m’offre une expédition en Ski-Doo sans même me demander si j’ai un permis de conduire. Est-ce que j’ai du fun? Je serais hypocrite si je répondais non à cette question. Est-ce que ce qu’on propose éclate complètement les clichés bacon-alcool-chest-bras et brasse les codes de genre? Non.

À mi-chemin, je m’arrête au kiosque du gin Stadaconé pour me reposer les jambes et coordonner le reste de ma journée. Leur ambassadrice de marque Hélène Bernardot en profite pour me donner un gin tonic.

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« Merci! Ça doit être rough, la business du gin en 2021. Y’en a combien de variété au Québec? 260?

– 171, me répond-elle

– J’étais pas loin…

– En effet. C’est sûr que c’est pas facile. C’est pour ça qu’on se diversifie un peu tous. On a une bière maintenant et un prêt-à-boire. C’est un peu ça la prochaine étape pour tout le monde du milieu, j’ai l’impression.

– Et être une femme au Grand Salon de l’homme, c’est comment? »

Je perçois un sourire derrière son masque. Elle me fait essayer leur gin rouge – le meilleur des trois que la marque propose à mon avis – en réfléchissant à sa réponse.

« C’est sûr qu’il y a un aspect stéréotypé à tout ça : les grosses machines, les accessoires de cuir, etc. J’suis allée au Salon national de la femme aussi, et je ne m’y suis pas vraiment reconnue non plus. Là-bas, il y a quelqu’un qui vendait des leggings avec des chats dessus. Je mets pas ça, moi. Tu comprends? Ici, il y a quand même un attrait plus “grand public”. Tout le monde peut y trouver son compte », me dit-elle.

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Cinquième et dernier constat : le capitalisme gagne toujours

Au fond, le Grand Salon de l’homme est surtout un exercice de marketing ciblé. J’y ai vu des options à mes habitudes de consommation. Des produits qui m’ont donné le goût d’élargir lesdites habitudes et plein d’autre produits envers lesquels je n’éprouve aucun intérêt, mais auxquels je suis exposé parce que je suis un homme cishet blanc et que selon les expert.e.s en marketing, je devrais m’intéresser aux motos Harley-Davidson et aux affaires gossées dans le bois. C’est étroit comme conception, mais c’est pas exactement de l’oppression.

Il y avait aussi un volet « divertissement et éducation » au Grand Salon de l’homme, avec des performances de Philippe Berghella pendant LES TROIS JOURS.

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Moi qui espérais un show réunion de Slayer, j’étais relativement déçu, mais je souhaitais au moins assister à une conférence pendant ma visite. Je suis donc resté pour la conférence sur le cancer de la prostate Procure. La reprise de Wicked Games de ce bon Philippe attendra à la prochaine fois. Je tâcherai d’apporter un lighter.

On est deux dans la « foule » pour Procure. Il y a moi et un monsieur qui filme avec son iPad.

La dame de Procure y met du sien. Elle nous demande si on sait à quoi ça sert, une prostate. J’avais tout faux. La prostate n’est pas responsable des érections, mais bien de la fertilité. Ma vie est un mensonge. J’en sors ébranlé avec la vague envie d’aller consulter mon médecin.

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La contemplation de ma vulnérabilité et de ma mortalité ne m’empêche pas de finir ma visite au kiosque de Saucespiquantes.ca, où La Pimenterie tient une dégustation. J’ai flanché. Je suis reparti à la maison avec trois délicieuses bouteilles de sauces fortes pour oublier le cancer de la prostate, le réchauffement climatique, les motoneiges et le kiosque d’Assurancia, que j’ai habilement réussi à éviter pendant les trois heures au Salon.

Le Grand Salon de l’homme de Montréal n’était vraiment pas aussi corny que j’aurais pu l’imaginer, mais je n’ai pas non plus appris grand-chose à propos de ma masculinité. À l’an prochain? On verra où en sont mes stocks de sauces piquantes.