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Louis-Daniel Godin Cindy_16

Un roman pour déconstruire la honte

Dans « Cindy_16 », Louis-Daniel Godin explore un sentiment qu’on éprouve tous, mais qui nous isole.

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Louis-Daniel Godin et moi sommes seuls à l’ouverture de La boîte gourmande sur Laurier, à l’exception d’une employée à moitié endormie derrière le comptoir. On s’installe autour d’une table, sur ce qui s’apparente à des bancs d’église. L’ambiance idéale pour parler de honte.

« C’est important pour moi de trouver la bonne distance avec les souvenirs. Surtout avec un récit plus intime et vulnérable. Ça permet d’inventer, d’assumer l’inexactitude, le flou, mais aussi de pouvoir observer le vécu d’un œil externe », confie l’auteur.

Fort du succès de son premier roman Le compte est bon, corécipiendaire du prix Ringuet en 2024 et finaliste pour un paquet d’autres (dont le Prix littéraire des collégiens et celui du Gouverneur général, ben oui, rien que ça), Louis-Daniel Godin enchaîne, le 15 octobre prochain, avec Cindy_16, une autofiction beaucoup plus glauque où l’auteur revisite les deux années passées auprès de son premier conjoint, après avoir appris (longtemps après) que ce dernier était un prédateur sexuel.

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Une enquête sur des fantômes persistants où Godin ne rencontrera qu’une seule victime, lui-même.

Revoir, revivre et reconsidérer sa honte

« J’ai vécu deux années somme toute assez banales avec un délinquant sexuel. »

Louis-Daniel Godin n’a pas été victime d’agressions sexuelles aux mains de celui qu’il a renommé Marc-Alain pour l’exercice. Ils n’ont eu qu’une seule relation ensemble dans des circonstances qui s’apparentent à celles de l’exploitation sexuelle au sens de la loi, car le Louis-Daniel de 17 ans était déjà « trop vieux » pour celui qui était de vingt ans son aîné, mais ce dernier en porte tout de même les traces.

Deux années finalement pas si banales où les souvenirs sont empreints de différentes couches de honte : celle de ne pas avoir plu à Marc-Alain, de ne pas avoir vu le prédateur caché sous ce costume de conjoint décevant, de l’avoir cru, de s’être plié à ses refus et à son silence. De ne lui avoir jamais demandé qui était cette « Cindy_16 » inscrite comme identifiant dans le chat MSN sur l’ordinateur que partageaient les deux hommes.

« La plupart des gens vont traîner leur honte avec eux. La mettre dans un tiroir et essayer de l’oublier comme si elle allait partir d’elle-même. J’ai fait plus de dix ans de psychanalyse, soulevé chaque pierre pour regarder en dessous. »

« C’était nécessaire pour moi d’aller là, d’explorer mes zones d’ombre et je n’ai pas honte du résultat », affirme Godin.

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Indulgent envers celui qu’il a été, l’auteur explique que le roman expose aussi une réalité propre aux jeunes hommes de la communauté LGBTQ+ au tournant du XXIe siècle. « On avait tellement pas de modèles dans ce temps-là qu’on pensait que la première personne qui nous témoignait de l’intérêt allait être la seule. J’ai l’impression que plein de jeunes hommes, au début des années 2000, ont été approchés par des monsieurs comme Marc-Alain », ajoute-t-il.

Cette recherche d’affection et de validation est le principal levier psychologique de la relation entre Marc-Alain et Louis-Daniel. En lui refusant l’intimité sexuelle si âprement désirée, Marc-Alain garde le jeune homme dans un état de vulnérabilité quasi-total. À ses yeux, si l’homme se refusait à lui, c’est parce que quelque chose clochait dans sa manière de l’approcher. Dans sa manière de vivre avec lui. Une violence invisible, mais qui écrira tout de même un chapitre de sa vie.

Louis-Daniel, celui du roman et celui assis en face de moi à La boîte gourmande, ne s’estime pas aussi profondément blessé par celui qui se révélera être un criminel. Le personnage affirme d’ailleurs ne rien y comprendre : « Est-ce que j’étais victime ? C’est pas si clair. Je n’ai jamais considéré que je l’étais », lance l’écrivain.

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Voir l’abus ordinaire

L’auteur de Cindy_16 garde les yeux au sol pendant notre entretien. Introverti, il ne semble toutefois pas intimidé. Louis-Daniel Godin réfléchit en temps réel comme le ferait un ordinateur. Lorsqu’il baisse le regard, on le sent sonder ses souvenirs et choisir méticuleusement ses formulations comme s’il cherchait lui aussi à comprendre l’origine de ses sentiments.

Il a d’ailleurs traîné plusieurs pages de notes avec lui sur sa démarche artistique afin de répondre à mes questions au meilleur de ses capacités.

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« C’est ma première entrevue sur ce roman, alors je ne sais pas encore tout à fait comment je vais en parler », avoue l’auteur dans une réponse ponctuée de silences songeurs. « C’est pas un témoignage. C’est pas une biographie, mais c’est quand même quelque chose qui relève de l’expérience intime et qui, selon moi, méritait d’être raconté », lance Godin.

La facture plus intime et vulnérable de Cindy_16 ne l’effraie pas. Il affirme peu se soucier de la réception d’un roman au moment de l’écriture.

Plusieurs personnes vont pourtant se reconnaître dans le portrait de l’impuissance suffocante qu’implique la vie sous le joug d’une personne qui ne nous veut pas nécessairement du bien.

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« On écrit souvent à partir de notre petite affaire qui nous apparaît unique, mais quand Le compte est bon a été publié, j’ai été submergé de témoignages d’enfants adoptés et de parents adoptifs qui s’y sont reconnus. Si un livre résonne et que d’autres gens s’y retrouvent, ça me fait plaisir. Ça me confirme que c’était pas juste ma petite affaire. »

Un aspect de Cindy_16 qui risque peut-être de polariser, c’est le portrait que Louis-Daniel dresse de Marc-Alain, un peu paumé et constamment décevant, à la fois blessé et cruel. Un gars tourmenté comme on en connaît tous. Il aurait pu être votre coloc poche en 2002. On est loin des monstres libidineux ou des obsédés manichéens de la littérature policière.

« La figure du monstre est réconfortante parce qu’elle met le mal à distance, mais j’ai pensé à l’adolescent qui allait lire ce livre. S’il s’imagine que les délinquants sexuels sont tous des monstres, il ne les verra pas venir. Ça ne fonctionne pas comme ça. Ça m’apparaissait important de dresser un portrait plus réaliste. »

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Cindy_16 sera disponible en librairie le 15 octobre prochain. Le roman propose une image à la fois banale et insidieuse d’une violence qui s’exprime dans le silence comme dans l’absence. Il explore avec inconfort la facilité avec laquelle on peut devenir victime. Un roman difficile, mais qui libère de la honte.

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