« Ce n’est pas un retour à la normale, c’est un premier pas », lançait au début du mois la ministre québécoise de l’Enseignement supérieur Danielle McCann, en annonçant un retour en classe graduel dans les collèges et les universités de la province, toutes zones confondues.
Deux semaines plus tard, à quoi ressemble concrètement cette reprise « en présentiel » ?
Pour le savoir, nous avons entrepris une tournée de quelques établissements. D’emblée, un constat s’impose: les étudiants rencontrés sont très heureux d’enfin aller à l’école, mais refusent de tenir « ce premier pas » pour acquis.
À l’Université de Montréal, où j’effectue un premier arrêt, on est vite frappé par le va-et-vient des étudiants à l’intérieur et à l’extérieur du pavillon Jean-Brillant, situé sur la rue du même nom.
les étudiants rencontrés sont très heureux d’enfin aller à l’école, mais refusent de tenir «ce premier pas» pour acquis.
Un agent de sécurité monte la garde à l’entrée devant des distributrices de désinfectant à main et de masques jetables obligatoires.
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Un semblant de normalité semble régner dans les couloirs du pavillon.
Des étudiants sont attablés à la cafétéria (la cuisine fonctionne, le plat du jour à notre passage consiste en des boulettes de viande avec du riz), d’autres placotent sur des bancs espacés ou flânent à la librairie.
Bien sûr les règles sanitaires mille fois martelées depuis un an demeurent en vigueur. Des étudiants de la brigade sanitaire – avec leur cocarde bleue officielle – arpentent les étages pour rafraîchir la mémoire aux récalcitrants.
Au rez-de-chaussée, Guillaume Chabaud-Proulx se rend à son tout premier cours en trois dimensions depuis presque un an, son sac à dos en bandoulière. « C’est incroyable! C’est sûr que juste être ici est une expérience surréelle », confie, un sourire estampé au visage, le jeune homme inscrit en deuxième année du baccalauréat en science politique.
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«C’est incroyable! C’est sûr que juste être ici est une expérience surréelle»
De mémoire, jamais dans l’histoire de l’éducation n’a-t-on vu quelqu’un aussi impatient d’aller assister à un cours d’histoire sur les systèmes internationaux aux 19 et 20e siècles. « Un de mes cours préférés », souligne d’ailleurs Guillaume, qui s’estime chanceux.
Malgré le feu vert (bon, jaune) de la ministre, le retour en classe demeure à la discrétion des profs. La capacité d’accueil en classe ne peut pas excéder 50% et les cours à distance doivent être maintenus pour accommoder les étudiants qui ne peuvent pas ou ne veulent pas se déplacer.
C’est sans doute le cas des étudiants vivant loin des établissements, puisque tous ceux croisés dans ma tournée habitaient la métropole.
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Guillaume, qui vit avec ses parents à L’Île-des-Soeurs, explique que les étudiants de son cours doivent se manifester par sondage s’ils souhaitent assister au cours en personne. Au total, 45 places sont disponibles sur les 90 de l’amphithéâtre, afin de laisser un espace vacant entre chaque étudiant.
Il ne s’est pas fait prier pour réserver sa place. « J’ai pris des cours en ligne cet été, plus ceux de la session d’automne. Celle d’hiver est vraiment la pire. On devient un peu fou à la longue », confie le jeune homme, évoquant les problèmes de posture, le manque de luminosité et les heures passées devant un ordinateur à la maison.
«On devient un peu fou à la longue», confie guillaume, évoquant les problèmes de posture, le manque de luminosité et les heures passées devant un ordinateur à la maison.
Son cours commence dans quelques minutes. Guillaume n’a pas entendu tout ce temps pour jaser dans les couloirs avec un journaliste. Je l’accompagne jusqu’au local B-3325, où je suis surpris de trouver une trentaine d’étudiants éparpillés dans la salle.
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Le professeur titulaire Michel Fortmann et son stagiaire Camille Bilcot sont à l’avant, en train de résoudre les derniers pépins logistiques. Ce sera leur tout premier cours en formule présentiel/Zoom après tout.
Une caméra est perchée au-dessus de la salle pour les étudiants à la maison, pendant que les étudiants masqués attendent le début du cours. « Bienvenue! C’est un plaisir de reprendre contact avec vous! », lance M. Fortmann pour briser la glace, en invitant d’autres étudiants à venir en classe. « N’hésitez pas, on peut aller jusqu’à 45.»
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Au troisième étage, plusieurs cours se déroulent simultanément dans de plus petits locaux. Julia et Nicole, deux étudiantes en droit, ont décidé de s’installer dans une classe déserte pour étudier en équipe. « Avec trois frères et sœurs, c’est difficile d’être concentrée à la maison », admet Julia, bien heureuse de venir ici pour étudier, mais surtout changer d’air.
Même discours chez sa camarade, qui dit prendre ce qui passe entre deux confinements. « Je ne me fais pas de faux espoirs », admet-elle, un peu résignée.
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Les deux jeunes femmes s’exclament d’ailleurs lorsque j’évoque l’impact de la pandémie sur leur parcours scolaire, mais aussi sur leur santé mentale. Elles en jasaient justement avant mon arrivée, m’expliquent-elles. « Il y a vraiment un effet néfaste de n’avoir aucun contact. C’est pire pour ceux qui vivent seuls », soupire Julia.
«J’ai l’impression qu’on nous vole des moments importants. Je n’ai même pas eu l’occasion de rencontrer tous les gens du bac.»
« J’ai l’impression qu’on nous vole des moments importants. Je n’ai même pas eu l’occasion de rencontrer tous les gens du bac. », renchérit Nicole, qui doit se contenter d’activités parascolaires organisées à distance, à des années-lumière des initiations et des partys marquant d’ordinaire le passage à l’université.
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Près de la cafétéria, les étudiantes à la maîtrise Marine et Camille bavardent sur des bancs séparés de quelques mètres. « On vient seulement travailler ici, juste pour le plaisir de voir du monde et sortir de chez nous », explique Marine, inscrite comme son amie en Études internationales. « Ça fait un mois qu’on se voit une fois par semaine, j’ai moins de motivation à la maison », admet Camille.
Le jour et la nuit
Sur le parvis du cégep du Vieux Montréal, je croise Aurélie, une étudiante en photo venue chercher du matériel. « C’est tranquille en dedans, j’ai juste vu une classe. Les programmes plus théoriques ne recommenceront pas pantoute [en salle]», constate la jeune femme, qui admet que c’est « vraiment rough » de rester motivée.
Et encore, elle s’estime chanceuse à 21 ans d’avoir déjà vécu le cégep «d’avant », contrairement aux nouveaux. « Je sympathise avec eux. C’est tellement le fun comme cégep. Sans ce côté humain, c’est vraiment le jour et la nuit », déplore Aurélie, qui n’a pas encore eu de cours en classe, sauf pour des shootings en studio (avec tout l’attirail sanitaire).
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«Comme on dit en bon québécois, je pense encore que ça va “rechier” dans pelle.»
Cette employée à temps partiel d’une boutique de vêtements refuse de se bercer d’illusions quant à un éventuel retour officiel à l’école. « Comme on dit en bon québécois, je pense encore que ça va “rechier” dans pelle. »
« Avez-vous des symptômes? », demande l’agent de sécurité à l’intérieur, avant de m’autoriser le passage, dupé par ma couverture de cégépien (je porte une tuque en fredonnant du FouKi).
Contrairement à l’UdeM, c’est le calme plat ici, sinon pour quelques étudiants éparpillés dans des espaces communs. Les seuls étudiants croisés sont inscrits dans des techniques, nécessitant l’emprunt de matériel et l’accès à des locaux spécialisés.
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Dans la cafétéria, quatre étudiantes en photo (décidément) travaillent sur un projet d’équipe. Christina, Marie-Ève, Jessica et Maeva admettent que l’absence de contacts humains se fait sentir.
Comme elles sont inscrites en deuxième année, elles se consolent d’avoir vécu une moitié de cégep « normale » et leur bal des finissants du secondaire. « C’est très difficile et c’est vraiment frustrant de voir que plein de monde triche. Les gens n’écoutent pas », peste Christina.
C’est bon pour le moral
Impossible de déambuler dans les couloirs de l’UQAM, puisqu’un agent de sécurité à l’entrée exige de voir une carte étudiante.
Je sonde les rares étudiants croisés sur place.
C’est le cas de Kevin, inscrit en télévision. « Pour l’accès au studio et pour le côté pratique, on a le droit de venir une fois par semaine », m’informe le jeune homme, pour qui ces visites sont salutaires. « Perso, ça fait du bien de voir du monde, ça fait du bien au moral. »
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Anne-Marie et Éva se réjouissent aussi de pouvoir venir briser l’isolement. « Nos profs ont dû insister parce qu’on ne peut pas tout faire à distance », explique Anne-Marie, inscrite comme son amie en enseignement d’art dramatique. « On doit laver tout ce qu’on prend, mais on a de la chance », enchaîne son amie. Les deux étudiantes affirment témoigner de près de la détresse humaine dans leurs rangs. « Des gens ont l’air démolis des fois. On s’ennuie des partys aussi, on en parlait justement tantôt », souligne Anne-Marie, qui se contente en attendant d’aller patiner avec ses camarades de classe, à distance.
Une vie étudiante plus saine, mais assurément moins amusante note Éva, qui, résignée, ne s’autorise même plus à évoquer un retour à la normale. « On ne se fait plus d’idées. Si les choses s’améliorent, tant mieux », résume-t-elle, avant de s’engouffrer dans l’université.