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Un petit mot de votre amie noire
Mon entourage est très blanc. Je suis l’amie, la collègue, la coloc, la voisine, noire, de bien des gens. C’est un rôle que j’ai dû accepter, et que j’ai appris à jouer à la perfection. Je suis Québécoise. Je mets du sirop d’érable dans mon granola, le 1er mars je commence à dire qu’il en reste pas gros avant le printemps, pis je trouve que le spécial de fin d’année d’Infoman est vraiment meilleur que le Bye Bye. Je suis la parfaite amie / collègue / coloc / voisine noire, parce que votre code je l’ai appris à la perfection et je l’applique à la perfection. À vos yeux, on est pareils. Vous la voyez pas la couleur de ma peau, ça change rien pour vous la couleur de ma peau, je suis pas vraiment Noire dans le fond.
Mais spoiler alert : On est pas pareils, et je suis Noire.
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Juin 2020
Ça fait un mois que j’essaie de me remettre d’un autre meurtre d’un autre homme noir tué par un autre policier blanc, et que j’essaie à tout prix d’éviter de revoir la vidéo de 8 minutes 46 secondes dans mon feed Instagram. Je partage de plus en plus de contenu engagé sur mes plateformes sociales, j’élève ma voix pour dénoncer et sensibiliser. Vous, vous slidez dans mes DMs pour me dire :
« Merci tellement de partager ça, je savais trop pas 😱 »
« Merci de m’informer, je peux pas croire que ça arrive encore des choses comme ça 😢 »
Août 2020
J’ai une discussion téléphonique avec Balarama Holness, fondateur de l’organisme Montréal en Action. On jase de son organisme, sa mission et sa vision, mon expérience professionnelle et personnelle, mais surtout de mon désir de faire activement partie de la solution. Sans hésitation, je rejoins Montréal en Action comme bénévole au sein de l’équipe communication marketing. Beaucoup de choses sont à venir pour le reste de l’année et pour 2021. Vous, vous slidez dans mes DMs pour me dire :
« Bravo de t’impliquer! »
« Je t’admire tellement de faire ça 🙌 »
Février 2021
C’est le Mois de l’histoire des Noir.e.s, on travaille pendant des semaines sur une programmation variée et pertinente, j’en fais activement la promotion autour de moi, je co- anime 4 webinaires, je fais une entrevue avec La Presse. Vous, vous slidez dans mes DMs pour me dire :
« Wow bravo! »
« Bravo pour ton implication 👏 »
Je réponds à tous vos messages : « Ça me fait plaisir » , « Merci à toi », « C’est rien! ». Je vous réponds que si je peux vous éduquer un peu plus sur cette réalité, sur ma réalité, si je peux vous faire prendre conscience de certaines choses, j’aurai fait ma job.
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Je vous ai laissé en dire des blagues et des commentaires sans rien dire :
« T’es belle pour une Noire. », mon ami.
« Nadège est la couleur de la marde. », le fatiguant dans la cour d’école.
« Si j’efface ta peau, est-ce que tu vas devenir blanche? », mon amie.
« Tu dois bien danser toi! », mon boss devant tout le monde pendant un meeting.
« C’est l’fun qu’ils engagent des gens comme toi ici. », mon client.
« Mon chien aussi aime ça les p’tites bronzées comme toi. », un monsieur dans la rue.
Je suis très consciente que je suis plus patiente avec vous. Trop patiente. Et malgré que je crois sincèrement qu’on devrait tous être patients les uns envers les autres pour permettre un dialogue, y a certains problèmes qui ne peuvent pas être traités patiemment. Car la colère, la douleur et l’injustice qu’ils soulèvent méritent qu’on les traite avec urgence. Méritent que vous les traitiez avec urgence.
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Vous êtes plusieurs à avoir découvert ce qu’est le racisme systémique dans la dernière année. C’était épuisant to be honest. Mais j’étais contente d’enfin parler de racisme avec vous. J’étais fière quand vous êtes allés manifester avec vos masques et vos pancartes Black Lives Matter. Et j’étais émue quand vous m’avez écrit pour savoir comment j’allais. Vous m’avez donné espoir. Vraiment. Vous étiez empathiques, éveillés, et à l’écoute. J’écris au passé, parce que ça n’a pas duré. Lentement, mais sûrement, vous êtes passés à autre chose. C’était rien de plus que le sujet trendy de l’été, le hashtag du mois. Vous avez publié un carré noir sur votre feed Instagram, #blackouttuesday, vous vous êtes impliqués dans le comité diversité et inclusion qui a moins de budget que le comité social, et basta. C’était réglé! Vous aviez fait votre job d’ami.e / collègue / coloc / voisin.e blanc.he pas raciste. Et moi je pensais qu’en étant excellente dans mon rôle, qu’en étant patiente, je pourrais compter sur vous. Mais pas vraiment finalement.
C’est pas de votre fierté dont j’ai besoin, c’est de votre engagement, de votre voix, de vos actions.
Ce que j’essaie de gentiment vous dire depuis tantôt c’est que vous en faites pas assez. C’est pas assez de défendre la vie des Noir.e.s un mois par année, deux stories Instagram par mois, et une conversation malaisante aux 6 mois. C’est pas assez de me dire merci, pis bravo. C’est pas assez d’être pas raciste. C’est pas assez de me regarder aller, d’admirer ce que je fais pis d’être fier de moi. C’est pas de votre fierté dont j’ai besoin, c’est de votre engagement, de votre voix, de vos actions. Rappelez-vous de la rage que vous avez ressentie pour George Floyd, Joyce Echaquan, Mamadi Fara Camara, et récemment, pour Mireille Ndjomouo. Utilisez-la. Utilisez votre voix là où la mienne est moins légitime. Utilisez votre peau blanche là où ma peau noire ne peut pas entrer.
Vous êtes tannés d’entendre parler de racisme, j’comprends. Mais je l’ai pas moi ce luxe-là d’être tannée.
Sincèrement,
Votre amie / collègue / coloc / voisine noire.