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Un père de 18 ans

Par
Pascal Henrard
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Aujourd’hui, je suis un papa majeur. Hier, ma fille a eu 18 ans. Avant-hier, je la tenais dans mes bras, émus, petit être tout chaud et déjà sage qui venait à peine de s’extraire du ventre de sa mère.

Je me souviens de cette nuit de décembre, des escaliers enneigés, du taxi que j’ai renvoyé parce qu’il était trop enfumé, de la confusion des contractions, de la douleur immense que je ne pouvais pas ressentir et des grimaces intenses que je trouvais si belles. Je me souviens de l’émotion inconnue, des gestes qui viennent tout seuls, des paroles de réconfort, de l’effervescence. La magie des moments naturels. Je me souviens de la vie qui pointe la tête, du corps qui émerge dans un éclat de rouge. Un déchirement. Un cri. Des rires mêlés de pleurs. Ton nom est sorti de ma bouche quand j’ai vu ta petite frimousse. Ophélie. Je ne savais pas que tu serais une fille. Tu avais une tête à t’appeler Ophélie. Ta maman t’a prise sur son ventre vide. Nous avons pleuré ensemble.

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Je me souviens du couloir clair et un peu trop blafard que j’ai traversé sur un nuage. Je me souviens de l’extrême gentillesse des humains qui nous entouraient. Je me souviens de chaque pas que j’ai fait avec toi contre moi pour te conduire à la première chambre de ta nouvelle vie. Je me souviens de t’avoir raconté tout bas le monde dans lequel tu venais de débarquer. Tu avais l’oreille encore humide, la peau un peu fripée, la bouche déformée. Dehors, il faisait froid, le Québec venait de perdre de justesse son deuxième référendum, Jean Chrétien fanfaronnait, je ne sais pas ce que faisait le Canadien, Ytzhak Rabin venait d’être assassiné, Internet et le World Wide Web étaient des mots connus de quelques initiés, la Princesse Diana était toujours en vie, les gens se préparaient à fêter Noël. Je me rappelle encore des espoirs que je voulais partager avec toi et des rêves que je voulais t’insuffler. Qu’entendais-tu de ma voix, de mes mots, de mon amour? Tous ces bruits extérieurs devaient te paraître bien agressants à côté du silence aquatique où tu étais encore quelques instants avant.

Comme tu étais belle, ma fille! Ton cœur battait à toute allure. Tes minuscules doigts palpaient l’air qu’ils ne connaissaient pas. Tes yeux avaient encore la couleur sombre des profondeurs maternelles. Tu sentais bon la vie, ta vie. Dans ce long couloir d’hôpital, j’ai fait quelques pas de valse avec toi. J’aurais tant voulu t’offrir un monde bercé d’insouciance et de légèreté. Mais la vie n’est pas toujours tendre avec ceux qui l’aiment.

Je me souviens que tu es rentrée en auto à la maison en écoutant une chanson de Serge Reggiani. Tu avais à peine trois jours. Dehors, il neigeait comme un soir de Noël. Avec ta maman, je pleurais à grosses larmes. Heureusement, c’était l’ami François qui conduisait.

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Tu as levé la tête, tu t’es dressée sur les bras, tu as eu ton première sourire, tes premières larmes. Tu as appris à marcher. Tu as dit tes premiers mots. Tu as mangé toutes tes carottes. Tu as fait pipi toute seule. Et puis tu as enluminé des centaines de feuilles de papier à grands coups de crayons de couleur. Tu as monté des spectacles de salon qu’on payait 30 sous chacun. Tu as joué du piano, tu as fait de la danse. Tu as connu le bruit des vagues et la douceur du vent. Tu as écrit des textes, taillé des mots, inventé des poèmes, mis en musique tes émotions. Tu avais 8 ans quand tu as créé ta propre robe pour le mariage de tes parents, notre mariage. Tu as joué à la ringuette, mais tu n’as pas osé le théâtre. Tu as ri sur les films de Louis de Funès et tu as appris par cœur les répliques des Demoiselles de Rochefort. Tu t’es créé ta propre histoire. Et puis ton cœur a croisé le vol d’un papillon.

Ma fille, tu n’es plus un bébé depuis longtemps. Tu as tes rêves, tes espoirs et ta vie. Et puisqu’aujourd’hui, je suis désormais un père de 18 ans, je vais pouvoir te payer un verre dans une taverne Bienvenue aux Dames pour fêter ça comme il se doit!

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