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Un mal de Bloc satisfaisant

Lendemain de veille sans amertume pour le parti d’Yves-François Blanchet.

Par
François Breton-Champigny
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En arrivant au Centre Pierre-Péladeau autour de 18h, il n’y a pas un chat mis à part le staff du Bloc québécois en train de préparer la soirée et des collègues de divers médias qui s’installent tranquillement. C’est ici qu’aura lieu tout à l’heure le rassemblement électoral de la formation souverainiste.

Après un contrôle du passeport vaccinal et un enregistrement à l’accueil, on nous dirige vers la salle Pierre-Mercure où se tiendra l’évènement.

Un jeune agent de Garda fait faire le tour du proprio à deux policiers qui cadrent le périmètre pour identifier les sorties d’urgence possibles.

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Le temps passe lentement et j’attends toujours de l’Action avec un grand A. C’est l’heure du souper et, es*** de COVID oblige, il n’y a pas de buffet pour les médias. À quoi bon être journaliste si on ne peut plus jouer les pique-assiettes!?

Je sors en bougonnant faire bras dessus bras dessous avec ma nostalgie uqamienne en m’offrant un banh mi végé du Vua.

En passant à la salle de bain, j’arrive nez à nez avec un collègue de Noovo en train de se mettre du maquillage avant son live. «En veux-tu?», m’offre-t-il tout sourire. «Non merci, je ne fais pas de télé ce soir et ce n’est pas vraiment mon teint».

Le journaliste confie être un peu nerveux, mais néanmoins excité pour ses premières élections avec la chaîne de Bell.

«Tu travailles pour URBANIA? Nice! Vous êtes cool vous!»

Je feins l’humilité en rétorquant un «Merci, c’est fin!», mais en me disant intérieurement à voix haute: «PLUS COOL QUE VOUS EN TOUT CAS!». Bon joueur, je lui souhaite une bonne première électorale et un triomphe de la démocratie.

De retour dans la salle. Julie Marcoux de TVA, commence un direct avec de la musique québécoise entrainante en background. «Québec! C’est le cœur du pays du Québec! Fier fief de la francophonie!» entonne les Loco Locass suivis par Alex Nevsky.

«On ferait des po-la-la-la-la-roids

Toi qui cours nu dans la nuit

Moi l’a-l’a-l’accroc, toi la drogue

C’est chaud, oh, oh!»

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Fait à noter: aucune toune d’Éric Lapointe ne résonne dans la salle.

Le Bloc: le parti des millénariaux?

«Pour l’instant la salle est assez vide, mais ça risque de changer rapidement, puisqu’on attend une centaine de partisans d’ici 20h», explique la journaliste de TVA en direct.

Si le Bloc réussit à rafler quelques comtés conservateurs et libéraux, le party risque de pogner.

Avec la fin de campagne de leur chef Yves-François Blanchet, qui a remonté dans les sondages depuis le débat en anglais où la modératrice Shachi Kurl a insinué que le Québec aurait des problèmes de racisme, on peut s’attendre à une soirée parfumée aux effluves de fleur de lys. Si le Bloc réussit à rafler quelques comtés conservateurs et libéraux, le party risque de pogner. Ça tombe bien, l’effet du Guru commence à décliner et j’ai du mal à réprimer mes premiers bâillements.

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Pour l’heure, les médias s’arrachent Jean-Denis Garon, un candidat bloquiste qui se présente pour la première fois dans la circonscription de Mirabel. «C’est sûr que c’était pas toujours évident de faire du porte à porte à 42 degrés, avec la rentrée et le variant Delta qui circule, mais somme toute, on a fait une belle campagne et on est confiant», martèle avec optimisme l’économiste de 38 ans.

20h40. Quelques partisans du parti fondé par Lucien Bouchard commencent à arriver. «Ça regarde bien pour le Bloc en Gaspésie-Les-Îles-de-la-Madeleine!», annonce Patrice Roy. Un jeune homme dans l’assemblée lâche un «Woup woup!» bien senti.

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«C’est sûr qu’on aimerait bien avoir les fameux 40 sièges, mais on va être content si on conserve les 32 qu’on a déjà», estime Jeanne Craig Larouche, responsable des cellules étudiantes et des groupes jeunes du Forum jeunesse du Bloc québécois.

«Quand tu regardes les autres partis, tu te rends compte que c’est celui qui se soucie le plus de l’environnement et qui souhaite prendre des actions pour le défendre.», croit Jeanne.

Ce qui interpelle le plus l’étudiante en sociologie de l’UQAM, c’est la plateforme environnementale du parti. «Quand tu regardes les autres partis, tu te rends compte que c’est celui qui se soucie le plus de l’environnement et qui souhaite prendre des actions pour le défendre», croit Jeanne. Quand je la questionne sur les propos d’Yves-François Blanchet concernant le troisième lien, qui se dit «convaincu» que le projet peut être écologique alors que plusieurs organismes et experts affirment le contraire, sa réponse est sans équivoque.

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«Les médias ont déformé ses propos et ont seulement pris ce qu’ils voulaient dans son message. Ce qu’il soutient, c’est qu’il croit que le projet PEUT être écologique si on fait des études et des démarches en conséquence.»

Son voisin de fauteuil abonde dans le même sens, garochant des fleurs à la plateforme environnementale du parti. «Ce que j’aime, c’est qu’il propose des actions concrètes pour défendre le français et il ramène une certaine fierté d’être Québécois», croit Laurent Lefebvre, qui caresse l’idée de se lancer en politique un jour.

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Tremper dans la politique, c’est justement ce qu’a fait Tarik Moundir lorsqu’il était attaché politique sur la scène municipale. «Ça fait depuis 2012 que j’assiste à des soirées électorales en personne comme ça. J’aime la fébrilité qui en émane. C’est comme notre coupe Stanley», confie le diplômé en sciences politiques.

«Ça fait depuis 2012 que j’assiste à des soirées électorales en personne comme ça. J’aime la fébrilité qui s’en émane. C’est comme notre coupe Stanley.»

De son côté, Karlo Labrie aimerait bien que le parti d’Yves-François Blanchet récolte entre 30 et 40 sièges. «Honnêtement, le plus important, c’est que le prochain gouvernement soit minoritaire, peu importe que ça soit libéral ou conservateur».

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Même s’ils considèrent que le Bloc est le seul parti qui défend réellement les intérêts des Québécois, les deux jeunes hommes comprennent que la politique peut être aride. «Il y a beaucoup de langue de bois dans ce milieu-là et plusieurs jeunes ne croient pas qu’on prenne leurs considérations au sérieux. C’est dur de voir comment un parti peut avoir un impact sur nos vies quand on ne connait pas les rouages de la politique, croit Karlo, qui compte finir la soirée avec une demoiselle et non au Centre Pierre-Péladeau. «Yves-François a beaucoup de charisme, mais le charme de madame m’a eu».

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«Tout ça pour ça»

22h07. Yves-François Blanchet est en forte avance dans sa circonscription de Beloeil-Chambly. Les cris fusent dans le coin de la salle où les membres du Forum jeunesse du Bloc sont rassemblés.

«Il est 22h24 et nous prévoyons que le prochain gouvernement sera libéral!», déclare Patrice Roy, créant un silence dans la salle, juste avant que les claviers et les caméras se fassent aller de plus belle.

Quelques minutes plus tard, Alexis Brunelle-Duceppe, le fils de Gilles Duceppe, remporte pour une deuxième fois sa circonscription du Lac-Saint-Jean puis Yves-François Blanchet est officiellement réélu, suscitant des cris et des applaudissements sans retenue chez la trentaine de partisans réunis.

La directrice générale du Bloc, Josée Beaudin, se pointe sur l’estrade pour faire une annonce. «Ça finit à quelle heure?», lance le seul et unique Jean-René Dufort flanqué de son fidèle compagnon MC Gilles en se craquant une cannette qui, je leur souhaite, est une bière. «Pas trop tard, Jean-René», lui rétorque la directrice en riant, avant d’enchaîner quelques minutes plus tard avec une présentation des députés élus du parti.

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Les visages de la députée de Salaberry-Suroît Claude DeBellefeuille et de Laurentides-Labelle Marie-Claude Gaudreau s’affichent l’un après l’autre sur l’écran géant. On comprend qu’elles sont très contentes d’être réélues malgré les bogues de la visioconférence. Le manège se répète avec d’autres députés pendant quelques minutes.

Pourtant, au moment d’écrire ces lignes, on est encore loin du scénario idéal de 40 sièges que le leader du parti s’était fixés avec 32 sièges de gagnés, le même nombre de sièges qu’ils avaient avant les élections.

Minuit. Ça commence à bâiller fort dans les allées. Une rumeur court que le big boss devrait arriver sous peu pour s’adresser à ses troupes. «Il est dans sa loge, ça devrait se faire bientôt», promet l’attaché de presse en passant rapidement.

12h41. Yves-François Blanchet se pointe enfin sur l’estrade, accueilli par une (petite) foule en liesse. Sans surprise, le chef trouve les résultats un peu décevants et blâme à mots couverts la décision d’avoir déclenché des élections. «On a envie de dire: tout ça pour ça». Il rappelle par la bande les diverses missions du Bloc (défendre les ressources naturelles, les valeurs et l’identité québécoises, entre autres) et décoche quelques flèches au gouvernement libéral.

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Après de courts remerciements, il quitte la scène par le backstage avec une chanson entonnant «Quééééébécois! Quééééébécois!» sans accorder d’entrevue.

Il est 1h du matin. Les résultats des dernières circonscriptions ne sont pas encore entrés, mais on comprend que l’histoire se répète en grande partie.

La salle se vide tranquillement. Je salue quelques collègues journalistes et commande un Uber.

Sur la route du retour, je pense à toutes les ressources qui ont été déployées pour cette campagne sur fond de pandémie historique qui a donné pratiquement un copier-coller de la situation précédente et les mots du chef bloquiste me reviennent en tête.

«Tout ça pour ça.»

J’aurais pas mieux dit, Yves-François.