Imaginez la scène : après plusieurs conversations fluides avec un garçon qui vous happe par une personnalité hilarante, sensible, qui ose des questions risquées et prend l’initiative de la première rencontre, vous arrivez devant un visage avec un charme inouï, des traits doux, rassurants.
Seul hic— il vous apprend qu’il ne mange pas de légumes. Il n’est pas intéressé à partager au resto. Manger est un carburant nécessaire qui ne l’enchante pas.
Mais pour vous, c’est votre partie préférée de la journée. Vous faites quoi?
C’est une situation semblable que décrit l’autrice Adrienne Brodeur dans le magazine Bon Appétit : après un mois de fréquentation, son homme a tout pour lui, mais son affinité pour les aliments fades – des soupes en canne – la dérange. L’anxiété qui se déploie dans son corps à l’idée de cuisiner pour lui est élevée.
La publication du magazine sur Instagram a suscité un grand engouement et certains commentaires m’ont fascinée :
Mon Dieu, parlez avant de trop réfléchir et d’accorder de la valeur à quelque chose qui n’a vraiment pas d’importance lorsque vous essayez de trouver un partenaire.
Ces commentaires me rendent tristes : vous êtes tellement plus que ce que vous mangez.
Ça me semble vraiment superficiel comme critère.
Est-ce une question si insipide à se poser?
Moi, si j’apprends que ma date mange comme un enfant de trois ans, c’est absolument un deal breaker. Absolument. Et ça n’a rien d’un critère futile.
Partager un repas, cuisiner, c’est ma missive d’amour la plus directe.
L’intention est ample : penser à ce qu’on va manger, aller chercher les ingrédients, s’attarder sur une recette, la livrer… c’est la preuve d’amour qui m’a toujours le plus marquée et je ne me suis jamais sentie aussi spéciale qu’en regardant quelqu’un que j’aime devant son four, pour moi.
Je suis aussi fébrile à l’idée de cuisiner pour une date : qu’est-ce que je vais apprendre sur sa relation avec la nourriture? Sur son appréciation et sur la manière dont il la nomme? Est-il aventureux, curieux de ce qui est sur la table s’il n’y a jamais goûté? Va-t-il m’aider à servir et desservir? Est-ce qu’il a assez confiance en ses goûts pour amener un à-côté?
La prise de risque, la curiosité, l’excitation pour peu de choses – comme une sauce tomate juste assez acide et sucrée– sont tous des traits de personnalité loin d’être banals.
La bouffe amène une telle couleur à un quotidien.
Si je décide de la partager avec un partenaire qui choisit de se limiter à une palette d’aliments beiges sans vouloir élargir son palais, c’est une exigence qui s’étend dans ma cour. Mon love langage se réduit maintenant à un exercice de style régi par des codes dans lesquels je ne retrouve aucun appétit.
Pourquoi ?
Parce que mon plaisir ne se niche pas dans des patates pilées pas de beurre pas de sel pas assaisonnées. J’estime que les textures et les sensations que la nourriture nous procure ont un impact direct sur notre dopamine. On a besoin de couleurs. De textures.
J’irais même plus loin. En ouvrant le frigo d’un garçon où trônent uniquement trois bouteilles de moutarde, évidemment, j’ai des questions. La première :
existe-t-il une corrélation entre bien se nourrir et nourrir ses relations ?
Les raisons qui peuvent expliquer ce choix sont vastes : l’éducation, le temps qu’on détient à investir dans la préparation des repas et le plaisir qu’on y trouve, les allergies et intolérances, si on souffre de néophobie alimentaire, la difficulté d’accès à une variété d’aliments selon l’endroit où on se trouve dans le monde.
Je ne daterais pas le meilleur garçon du monde, doté d’une intelligence émotionnelle hors de ce monde et d’un sens de l’humour vif, si ses repas valsent entre des plats congelés ou des doigts de poulets.
Mais s’il a envie d’être curieux et d’expérimenter? Ahhhhhh, là, on jase.
Parce que j’estime que les couleurs sont partout et que si on revendique une rigidité alimentaire à l’autre, on se refuse aussi à tout ce que la bouffe détient comme pouvoir – une voie pour imprimer des souvenirs, s’ouvrir à la surprise, nommer pour l’autre toute notre estime.
C’est une vaste partie de l’amour, ça, non?