« Un gars dynamique » : quand le swipe left est assuré

La Saint-Valentin approche, soyons solidaires avec les célibataires : iels ne l’ont pas eu facile cette année.

Mais on pourrait dire que pour certain.e.s, naviguer le célibat, c’est difficile avec ou sans pandémie. C’est du moins l’impression qu’on a lorsqu’on se perd sur le IG de Un gars dynamique, galerie tantôt loufoque tantôt décourageante qui nous offre le meilleur du pire des bios Tinder. Des perles 100 % locales en plus.

Entretien avec Monique*, créatrice du compte.

J’ai commencé à documenter des bios sur Tinder pour les poster sur mon Instagram personnel il y a à peu près 1 an. Il faut dire que j’ai toujours été une grande collectionneuse. Je commençais à avoir fait le tour de ma collection de petits chats en porcelaine, donc je me suis tournée vers les bios Tinder bizarres. Ça a tout de suite été très populaire chez les gens qui me suivaient, on en redemandait.

J’ai créé un compte dédié uniquement à ces bios (j’en avais déjà beaucoup accumulé) un peu en mode procrastination, à l’automne 2020. Dès sa création, Un gars dynamique a pris de l’ampleur et j’ai commencé à recevoir des soumissions de fans, des bios comme des échanges de messages. Aujourd’hui, ces soumissions occupent près du quart de ce que je publie.

Le plus grand piège, c’est de tomber dans les clichés et les lieux communs : les « j’aime avoir du plaisir avec mes amis », « je suis une personne simple » et compagnie. Tout le monde aime ça avoir des ami.e.s, on le sait déjà.

C’est d’ailleurs de là que vient le nom du compte. « Je suis un gars dynamique », ça doit être le cliché qui revient le plus souvent dans les bios des gars qui ont entre 25 et 35 ans. C’est intéressant de voir comment ça change selon l’âge.

Un autre mauvais move, c’est de faire la liste de ce qu’on ne veut pas dans sa bio. Le principe de Tinder, je vous le rappelle, c’est de swiper les gens qui nous intéressent. Pas besoin de dire « pas de grosses », « pas de mères monoparentales » ou « pas de fumeuses », personne ne t’oblige à swiper à droite. Ça a juste l’effet de mettre tous tes préjugés au grand jour.

Au départ, c’était juste pour rire. J’étudie le féminisme, je lis là-dessus, j’en parle tout le temps. J’avais donc envie de faire quelque chose de plus léger sans me casser la tête. Je cherchais surtout des bios absurdes, sans m’attarder à celles qui étaient visiblement sexistes. J’ai malheureusement été rattrapée par la réalité de ce que c’est d’être une femme sur internet. On m’envoyait de plus en plus de soumissions avec du contenu machiste ou violent. Même si je voulais prendre un break, je ne pouvais pas ne pas dénoncer ça. La page a donc pris un tournant militant malgré moi. C’est devenu un mélange entre une page de memes et un appel à l’aide!

ARRÊTEZ! Sérieusement, c’est juste ça que j’ai envie de dire. Pourquoi c’est si lourd d’aller sur Tinder? On arrive déjà sur ces applications un peu inquiètes de tomber sur un maniaque pendant une date, pas besoin d’en rajouter!

Être identifiée comme femme sur internet, avoir ne serait-ce qu’une photo de profil qui donne l’impression qu’on a affaire à une femme, c’est recevoir des messages d’inconnus qui te demandent « dans quel trou tu la veux? », des photos dégueulasses et des fois des trucs carrément menaçants.

Sur les applications de rencontre, ça devient particulièrement inquiétant, parce qu’il y a une dimension plus intime et beaucoup de moyens pour te retrouver sur d’autres réseaux ou même dans la vraie vie. Est-ce qu’on peut aller sur Tinder tranquille sans voir des gars qui disent qu’ils vont nous démembrer et qui pensent que c’est drôle?

J’ai fait le choix conscient de me limiter à des bios de gars. C’est sûr qu’il doit aussi exister des bios malaisantes de personnes qui ne sont pas des hommes sur Tinder. Au départ, c’était dans le but de ne pas décupler ma charge de travail, je ne pouvais pas gérer le double des soumissions! Avec le tournant plus militant qu’a pris la page, c’était important pour moi de faire un commentaire sur les rapports genrés et le machisme.

En général, c’est plus difficile pour les hommes de recevoir des matchs ou des réponses sur Tinder. Ça fait partie de ces rapports genrés. Mais, il faut comprendre que personne ne leur doit une réponse, leur attention ou encore moins leur numéro. Il y a cette impression que tout leur est dû qui doit jouer sur les attentes et comment le rejet est vécu.

C’est sûr que j’aimerais pouvoir rejoindre ces hommes-là avec mon contenu. C’est pas tout le monde qui est exposé.e à des idées féministes dans la vie de tous les jours. Ma page Instagram, elle, est assez facile d’accès. Peut-être qu’un moment donné, un gars va retrouver sa bio Tinder sur mon compte, se dire « bon, ç’a pas marché mon affaire » et faire du chemin avec ça. Si ça peut semer une réflexion chez ces gars-là, je serai très contente.

C’est un réflexe qu’on peut avoir, rire des bios pleines de fautes, c’est facile. La maîtrise du français, ça dépend de plein de choses qu’on ne contrôle pas, comme son niveau d’éducation, sa classe, ses capacités. Il y a des gens dont le français n’est pas la langue première et qui font l’effort d’écrire en français quand même. Si je suis là pour dénoncer le sexisme, ce n’est pas pour le remplacer par une autre oppression. Bien écrire en français, je reconnais que c’est un privilège et je n’ai pas envie de me moquer des gens pour ça.

Évidemment, depuis qu’on est en confinement, il y a pas mal moins de dates Tinder qui se font. Ça n’empêche pas les gens de continuer à utiliser l’application. J’ai remarqué que, depuis le début de la pandémie, on m’envoie beaucoup plus d’extraits de conversations qui tournent mal. Clairement, beaucoup de gens sont à boutte et ça se traduit malheureusement en comportements moyennement cool sur internet.

Mon souci principal avec la page, c’est la sécurité de tout le monde, surtout des gars dont je publie les bios. Je retire tout ce qui pourrait les identifier, les noms de famille, les détails très précis. Tinder c’est public, mais je ne veux pas qu’on aille les harceler non plus. Il y a aussi la sécurité de la communauté qui est importante, j’ajoute des avertissements sur les publications violentes ou particulièrement troublantes.

J’ai quand même dû prendre une petite pause il n’y a pas longtemps. Même si c’est simple, le travail reste infini. Il n’y a que moi qui décide où mon engagement s’arrête. J’adore les conversations que j’ai avec la communauté, mais c’est dur de trouver le bon dosage entre Un gars dynamique et le reste de ma vie. C’est beaucoup de temps passé sur des contenus qui ne sont pas toujours agréables à lire, donc il faut que je mette mes limites.

Un peu oui! Je ne suis plus capable de voir Tinder de la même façon. Maintenant, quand je vois un profil, je ne regarde même plus les photos, tout de suite, j’analyse la bio. Je crois aussi qu’à force de regarder des bios absurdes et sexistes, j’ai sérieusement fucké mon algorithme! Je sais qu’il y a plein de gens cool sur Tinder, j’en connais certainement, mais Tinder ne me les montre plus.

Si je voulais aller sur une application de rencontres pour cruiser, j’en prioriserais une autre, c’est certain.

Le mieux, ça reste une bio courte, efficace et drôle! Pas besoin de décrire ta vie au complet, garde ça pour les conversations. Je pense aussi que c’est toujours intéressant d’insérer des références à la culture populaire et à ce qui te fait triper.

Aussi, ne pas dire que tu démembres des femmes, c’est un plus.

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*Les internets étant un Far West non régulé rempli de mauvaise foi et de dickpics, j’ai décidé de garder son nom secret. On l’appellera Monique en l’honneur de la romancière et essayiste Monique Wittig, que je vous recommande de lire pour la Saint-Valentin. On ne pourra pas dire qu’URBANIA ne vous apprend rien.