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Jusque là, le match se déroule pourtant bien.
Les Aigles de St-Jean tentent de l’emporter sur les combatifs Mustang de Napierville (niveau midget), qui ont finalement eu gain de cause.
Dans les estrades, la bière coule à flots en fin d’après-midi, l’ambiance est à la fête dans les gradins de l’aréna de Napierville.
Puis, pour une raison qui m’échappe encore, les choses s’enveniment subitement en fin de troisième période. La sirène vient à peine de retentir que dans les estrades, des parents commencent à s’enguirlander à coup de « va chier » et de « ferme ta crisse de yeule » bien sentis.
Les parents de l’équipe visiteuse accusent ceux de l’équipe locale de manquer d’esprit sportif et d’être baveux, profitant du moment pour les railler suite à leur défaite.
« Ils gagnent et y sont pas capables de fermer leur trappe! », peste une maman, pendant que quelques papas de l’équipe gagnante les envoient paître en retour.
« Apprends comme parent à fermer ta yeule! », tranche enfin un papa en direction d’une mère de l’autre équipe.
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La tension est palpable, plusieurs enfants assistent malgré eux au triste spectacle de leurs parents qui s’éloignent vers la sortie en s’invectivant.
Tout ce beau monde se dévisage ensuite pendant de longues minutes à la sortie des chambres, en attendant les joueurs. « Y a personne qui fera le Junior majeur icitte », lance un supporter des Aigles, pour tenter de calmer le jeu. Derrière lui, un autre papa explique que dans la vie, si tu donnes des claques, il faut que tu sois prêt à en recevoir.
À l’étage, un papa de l’équipe gagnante raconte sa version de l’histoire à une poignée de joueurs. L’un d’eux renchérit avec fierté que toute l’équipe s’est liguée contre un joueur de l’équipe adverse tout au long du match. « On le lâchait pas, j’y ai crissé un crosscheck dans face! », se targue l’adolescent.
Les choses en restent là, les parents des deux équipes disparaissent au compte-gouttes dans le stationnement rempli de gros pick ups.
Cette escarmouche s’est produite dimanche dernier, au terme d’une journée passée dans deux arénas de la Montérégie.
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Ces patinoires n’ont pas été choisies au hasard. Il y a environ deux semaines, l’arbitre en chef des associations de hockey mineur de Saint-Rémi et Napierville s’est fait agresser par un parent mécontent de l’expulsion de son fils.
Depuis, Gabriel Grégoire a fait une sortie sur la place publique pour dénoncer le comportement toxique de certains parents dans les gradins et sensibiliser les associations de hockey à mieux encadrer les arbitres, dont la majorité est d’âge mineur.
Je me suis donc rendu dans les arénas où Grégoire était en poste, pour m’entretenir avec lui et prendre le pouls de l’ambiance dans les estrades.
Premier arrêt : Saint-Rémi
En roulant quelques heures plus tôt vers le Centre sportif régional de Saint-Rémi, une émission de radio tient une ligne ouverte sur l’engouement envers la nouvelle ligue professionnelle de hockey féminine. « Est-ce que les gens sont prêts à remplir le Centre Bell pour voir les filles jouer? », demande l’animateur.
Les auditeurs sont sceptiques. Un camionneur québécois en route vers la Géorgie n’y croit pas pantoute, sauf pour un match-événement de temps à autre. « J’avais pas confiance au début, mais c’est des professionnelles », analyse pour sa part un dénommé Philippe.
Pour ce qui est de Saint-Rémi, le stationnement est pas mal plein en ce début d’après-midi.
À l’intérieur, les gradins s’animent pour un match Atome opposant les Jaguars de Candiac aux Dragons de Saint-Rémi.
L’ambiance y est familiale, rythmée par les encouragements, trompettes et sons de crécelles.
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Les joueurs n’ont que 9-10 ans, les parents devraient se tenir tranquilles, me dis-je alors, avec une belle candeur. Ma voisine d’estrade écarquille un peu les yeux, apporte une nuance. « C’est quand même Saint-Rémi de Napierville… », souligne-t-elle d’un ton lourd de sous-entendus.
Elle accepte d’élaborer là-dessus, mais seulement après le match et à l’écart.
Pendant que l’équipe de son fils subit une raclée aux mains des visiteurs de Candiac, j’apprends qu’une autre maman de l’équipe vient justement d’envoyer un message aux parents, témoignant du climat malsain qui règne ces temps-ci. Oui, oui, pour des enfants de cet âge.
En gros, la mère se dit dépassée et « plus que tannée » par la lourdeur qui plombe l’ambiance au sein de l’équipe.
«Quand je passais à côté de lui, il me disait: fuck you! »
En attendant de pouvoir parler discrètement à ma voisine, je vais frapper à la chambre des officiels, où m’attend l’arbitre récemment rudoyé par un parent.
Gabriel Grégoire m’accueille dans le vestiaire, vingt minutes avant le match qu’il arbitrera avec deux jeunes collègues. Depuis six saisons, il gère les 48 arbitres en poste dans les deux municipalités, dont 65% sont d’âge mineur. Gabriel, lui, cumule une trentaine d’années au sein du hockey mineur local, tant comme joueur, entraîneur et arbitre.
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Il revient sur les événements du 13 janvier dernier, à la fin d’un match de midget B (15-17 ans). « Je supervisais en dehors de la glace lorsqu’un père est venu me voir pour contester une décision concernant son fils (expulsé après une troisième punition, comme le stipule le règlement). Après un échange verbal, il m’a mis sa main dans la face, puis donné un coup de poing », raconte l’arbitre, qui a porté plainte.
Si l’homme a depuis été arrêté par la SQ et accusé de voies de fait, Gabriel Grégoire me confie avoir déjà eu maille à partir avec le parent en question avant cet incident. « Il ne m’aimait pas. Quand je passais à côté de lui, il me disait : fuck you. »
Le pire, c’est qu’il s’agit du deuxième épisode du genre depuis le début de l’année. « Un arbitre a aussi été mis en échec par un parent en sortant de la glace », déplore Gabriel Grégoire, qui a failli tout lâcher après l’agression du 13 janvier dernier. « C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Mais les autres arbitres, les plus jeunes surtout, m’ont encouragé à ne pas abandonner. On est une famille, je suis fier du soutien de mes petits gars. »
Gabriel a donc décidé de rester en poste, en s’investissant de la mission de sensibiliser les parents à se calmer les nerfs.
« La majorité se conduit bien et est là pour les bonnes raisons. Je les invite à calmer le jeu lorsque la minorité pose des gestes stupides. »
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Si les coups et altercations physiques sont rares, les insultes, elles, sont monnaie courante et Gabriel n’a pas grand espoir que sa sortie réglera tout. « Au début de la saison, un père a dit à un de nos arbitres de 14 ans qu’il allait l’attendre après le match. Sinon, la violence verbale à notre endroit revient chaque fin de semaine. Il faut une bonne carapace », admet l’arbitre en chef, qui aide les plus jeunes à faire abstraction de l’action dans les gradins.
« Il faut se mettre des œillères et avoir une grande force de caractère », résume Gabriel, qui espère que son message puisse forcer une introspection chez quelques parents. « Ils doivent réaliser que c’est juste un jeu. Peut-être qu’ils vivent leur rêve à travers leurs enfants… »
Je quitte Gabriel qui doit enfiler ses patins pour arbitrer le prochain match.
« Dessus! Dessus! »
De retour dans les gradins, une autre partie de catégorie atome C est en cours et les encouragements nourris fusent de toutes parts.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Gabriel m’a expliqué que les débordements peuvent survenir davantage dans les catégories inférieures, puisque les parents des niveaux double lettre connaissent mieux le jeu et craignent davantage les sanctions qui pourraient compromettre la place de leur enfant au sein des équipes compétitives.
Un exemple ne se fait pas attendre quand un père se met à beugler : « DESSUS! DESSUS! », dès qu’un joueur de l’équipe adverse s’empare de la rondelle.
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Mais bon, il ne faut pas confondre la violence avec l’intensité non plus, j’imagine.
Je sors prendre l’air pendant qu’Eminem profite d’un arrêt de jeu pour inviter les gens à saisir leur chance, dans la vie.
You only get one shot, do not miss your chance to blow
This opportunity comes once in a lifetime, yo
You better.
Changer de ville pour fuir la toxicité ambiante
Assis sur un banc en retrait, Ève, ma voisine d’estrade de tout à l’heure, m’explique les raisons qui la poussent à vouloir changer son fils de neuf ans d’équipe. Il y a la situation géographique, mais ce n’est pas la principale.
« Une des raisons, c’est la toxicité des parents qu’on a depuis trois ans. Ça s’exprime en intimidation, en chialage contre les coachs sur le temps de glace et en commentaires plates de toutes sortes envers la gérante », raconte cette maman excédée, qui a toutefois vu sa requête être refusée par le président de l’association.
Elle ajoute que la directrice de catégorie s’est même présentée à l’aréna avant la partie pour tenter de raisonner les parents. « Il y a des enfants qui trouvent la situation difficile et j’évite pour ma part le contact avec plusieurs parents à cause de tout ça », déplore Ève.
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À l’intérieur, l’équipe locale mène 2-1 en deuxième période et le pointage serré fait monter l’intensité d’un cran.
Les canettes et pichets de bière se multiplient à mesure que l’heure avance.
« C’mon, ref! », rouspète un papa en voyant l’arbitre ne pas sévir lorsqu’un joueur fait trébucher un adversaire. Devant moi, une maman chiale parce que la marqueuse (adolescente) n’a pas encore inscrit le deuxième but de son équipe sur le tableau indicateur. À ma gauche, quelques parents toisent du menton Gabriel Grégoire, l’arbitre qui a fait une sortie dans les médias. « Oui, c’est bien lui », opine une maman, pendant que l’autre père revient en force avec ses « DESSUS! » quand l’équipe adverse prend les devants.
Autre aréna, même ambiance
Je prends la direction de Napierville en milieu d’après-midi, où Gabriel arbitre aussi pour le niveau midget de catégorie B.
Le premier match oppose les Lynx aux Mustang.
Les gradins sont bien remplis, avec des parents des deux équipes assis côte à côte.
Les joueurs sont plus imposants et le jeu plus rapide. Ça se bouscule dans les coins et le spectacle est enlevant.
Les parents se comportent somme toute bien, le climat est festif, si ce n’est d’une maman qui fait de son mieux pour me rendre fou en agitant frénétiquement sa cloche à vache et ce papa qui désapprouve une punition octroyée en fin de match. « C’mon, ref, c’est la troisième (période)! »
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Si les parents se conduisent de manière civilisée, ce n’est cependant pas le cas de l’entraîneur de l’équipe perdante, qui engueule l’arbitre et frappe dans la bande après une punition de quatre minutes octroyée à un de ses joueurs. Ce dernier se montre solidaire en claquant violemment la porte du banc des pénalités.
Ce qui nous amène au match que je vous ai décrit en début de texte. Disons que c’est là que les esprits se sont pas mal échauffés.
Finalement, je décide de quitter après la première mise au jeu d’une partie de niveau junior, les gradins étant pratiquement déserts.
En roulant vers chez moi, je repense aux paroles de l’arbitre Gabriel Grégoire, voulant que la vaste majorité des parents fassent les frais d’une mauvaise réputation fabriquée par une poignée.
Si la plupart des parents s’amusent et encouragent les joueurs, ce ne sont que quelques idiots qui gâchent la fête, sans égard pour les autres, ni même leurs propres enfants.
Après une journée banale passée dans les gradins de deux arénas, pas le choix de donner raison à l’arbitre en chef et d’admettre que la culture toxique qui entache le hockey n’est pas à la veille de raccrocher ses patins.