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Cette nuit, j’ai rêvé que quelqu’un avait écrit «À mort les lesbiennes» sur ma voiture. C’est sûrement la faute à Brigitte.
Je vous présente Brigitte. Brigitte est une chrétienne transformée. Elle raconte à qui veut l’entendre qu’elle était autrefois une lesbienne perdue, droguée et sexolique, mais qu’elle s’est aujourd’hui convertie à l’Église, et qu’elle est l’heureuse mère de six enfants. C’est ben correct. C’est son trip. Tout le monde a droit au sien.
Seulement, depuis quelques années, Brigitte assiste à des conférences pro-vie, milite pour la crédibilité du pape et pour que la vérité-soit-faite-sur-les-prêtres-pédophiles-mais-pas-trop, et multiplie ses apparitions dans les médias. À l’Agence QMI (Lesbienne convertie par l’Église), elle raconte sa conversion de fille dépravée (=lesbienne) à fille de Dieu. Dans le site «Pouvoir de changer», on peut en apprendre davantage sur cette période d’hérésie lesbianique: «Vers l’âge de 25 ans, sous l’influence d’amies lesbiennes, elle devient lesbienne à son tour.»
Ça va, ça va. On sait tous qu’on devient lesbienne en touchant d’autres lesbiennes. Mais en mai 2009, elle commentait un article du Devoir sur l’homosexualité des personnes âgées. Un commentaire de droite sur la dilapidation de nos fonds publics au profit de ces personnes. Un commentaire qui finit sur cette note un brin conspirationiste : «Question: Pourquoi, sur les affiches publicitaires (de propagande?) les gais et lesbiennes ont-ils l’air toujours si… gais? Alors que dans le RÉEL (sic), ils sont toujours en train de brailler qu’ils sont rejetés, jugés, etc.» Vraiment?
Mais il y a pire encore! En septembre dernier, notre Brigitte accordait une entrevue à Quartier Libre dans laquelle elle affirmait: «Le mariage gai ouvre la porte à toutes sortes de délires. Pourquoi ouvrir la porte à une minorité ?» Ouais, c’est évident qu’en laissant le droit aux homosexuels se marier, c’est le canibalisme qui nous guette.
Je pense que c’est pour ça que j’ai fait des cauchemars cette nuit.
Ce discours, c’est carrément de la haine.
Il me fait peur. Et il ne se trouve pas seulement aux États-Unis. Sur Facebook, de temps à autre, on voit appraître ce genre de groupe anti-gai, anti-avortement, antisémite. Au Québec, le gars du blogue «Anticonformiste» évoque un complot homosexuel en prétendant que le GRIS (le Groupe de Recherche et d’Intervention Sociale qui passe dans les écoles pour démystifier l’homosexualité) a pour agenda de détruire la cellule familiale, ce qui mènerait inévitablement à l’extinction de la race humaine, à commencer par les Québécois, qui sont encore plus endoctrinés que les autres.
Le pire, c’est que je connais personnellement Brigitte. Je me souviens être allée prendre une bouchée avec elle. Pas parce qu’elle était lesbienne, mais parce qu’elle était journaliste. À l’époque, elle travaillait à Radio-Canada. Mais déjà, elle évoquait se sentir ostracisée (la pauvre), parce qu’elle avait un crucifix dans son bureau.
Je me rappelle qu’à l’époque, elle n’était pas si extrême. Je lui avais dit que j’étais lesbienne et elle n’avait pas tenté de me remettre sur le droit chemin, malgré qu’elle désapprouvait mon choix. Elle m’avait suggéré de participer à l’une de ses fins de semaine de la famille.
Jeune, je me souviens avoir lu des textes touchants de Brigitte dans la revue Présence, qu’on recevait à la maison. À cette époque, elle signait des articles plutôt wild, compte tenu qu’il s’agit d’une publication chrétienne. Genre, des histoires sur les punks dans la rue. C’était presque une inspiration.
Aujourd’hui, elle dit être «barrée barrée» des publications en raison de son positionnement extrême. J’ai du mal à être triste pour elle. Comme j’ai du mal à croire qu’elle n’est plus la fille perdue qu ’elle prétend avoir été: c’est plutôt rare qu’on entende parler «d’hétérosexualité refoulée».
Pour plusieurs raisons, je m’attaque rarement à des gens sur Internet. Premièrement parce que j’haïs ça m’obstiner avec quelqu’un. Soit je viens à cours d’arguments et je me mets à pleurer, soit je deviens agressive et perds du coup toute crédibilité (et dignité). Mais aussi parce que je trouve ça chien. Personne ne mérite de se faire dire publiquement qu’il est à côté de la traque (ben, je pense que Brigitte est à côté de la traque, même si je trouve ça super condescendant de dire ça, mais libre à vous de penser encore le contraire).
Mais bon. Elle s’attaque aux droits et libertés (pas juste des gouines comme moi, mais de tout le monde) au nom du bon Dieu. Et je n’aime pas ça, ni pour mes droits et libertés, ni pour le bon Dieu. J’offre donc deux possibilités à Brigitte:
1. Un bon débat public (que je risque de perdre parce que, comme je vous l’ai dit, je suis très poche à l’oral);
2. Un petit café, question que je la remette sur le droit chemin, c’est à dire le lesbianisme. (Et pour ceux qui ne comprennent pas cette conclusion ou qui s’en offusquent, voici une petite leçon de second degré.)
PS. J’ai vraiment pas envie d’être étiqueté «chroniqueuse militante lesbienne», même si Google suggère déjà «Judith Lussier lesbienne» lorsqu’on google mon nom.