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« Un chien va toujours t’aimer, contrairement aux gens »
« Impossible de me séparer d’elle, j’en suis responsable. Nous deux, c’est à la vie, à la mort! »
Assis sur son petit lit de fortune au 5e étage du refuge pour sans-abri de l’Hôtel-Dieu, Stéphane devient vite émotif lorsqu’on le questionne sur Mimi, la femelle Shih Tzu qu’il a adoptée il y a cinq ans.
Il interrompt momentanément notre échange pour prendre la pause devant la lentille d’Audrey Loiselle, une photographe dépêchée par la SPCA pour un shooting inusité. « C’est très intéressant de voir leur relation avec leurs animaux, en plus de faire prendre conscience de l’ampleur de la crise du logement », confie la jeune photographe.
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Parce qu’au-delà de la création de souvenirs, c’est d’abord ça, l’idée derrière cette collaboration entre la Mission Old Brewery (qui gère le pavillon dédié aux sans-abri à l’Hôtel-Dieu) et la SPCA : produire une campagne pour sensibiliser la population à la réalité des personnes en situation d’itinérance, dont plusieurs possèdent des animaux de compagnie.
Déjà que, dans le contexte actuel, c’est pratiquement impossible pour tout le monde ou presque de se trouver un logement abordable et décent, imaginez si vous êtes dans la rue, avec un chien ou un chat. « Leur relation avec leur animal est précieuse comme celle avec un enfant. C’est un défi supplémentaire pour accéder à un logement », atteste Marie-Pier Therrien, directrice des communications à la Mission Old Brewery.
Comme une tuile ne s’abat jamais seule, le refuge temporaire – ouvert depuis juillet 2021 – fermera graduellement ses portes à compter du 31 mars, en vertu d’une entente avec le gouvernement venant à échéance.
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Les locataires seront graduellement relocalisés, ce qui est un casse-tête en soi puisque les besoins supplantent les ressources. Pour les propriétaires d’animaux, cette mission est encore plus périlleuse, d’où cette séance photo avec la SPCA pour éveiller les consciences.
Marie-Pier de la Mission Old Brewery assure toutefois que tous les efforts seront déployés pour éviter que des gens atterrissent dans la rue, même si les refuges accueillant les animaux se comptent sur les doigts d’une main.
Une source d’affection inépuisable
« Ça n’a aucun sens, les prix des loyers, et avec un chien, c’est pire. Ils acceptent parfois des chats, mais les proprios pet friendly sont de plus en plus rares », soupire Stéphane, qui dit s’être déjà buté à plusieurs refus dans sa quête de logement.
Il m’entraîne dans sa chambre qu’il partage avec Mimi et un autre coloc, qui flatte parfois la chienne. La pièce est spartiate, avec deux petits lits et des effets personnels éparpillés au sol. Il y a une petite salle de bain, mais les douches sont plus loin sur l’étage. Des bols de nourriture et d’eau reposent sous le lit de Stéphane. « Elle dort avec moi et je ne la lâche pas lousse partout. Il y a des chiens à problèmes, ici. Des jappeux et des traumatisés », raconte le pensionnaire, qui habite au refuge depuis février.
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Il s’occupait jadis de Lili, un bichon décédé après 15 ans de vie commune. Mimi l’aide grandement à faire son deuil.
« C’est une source d’affection inépuisable. Un chien va toujours t’aimer, contrairement aux gens », louange Stéphane, dont l’avenir s’accompagne maintenant d’un gros point d’interrogation.
« Je vais être incapable de trouver quelque chose avec juste le BS », tranche-t-il, la mine basse.
La SPCA contribue sur demande à fournir de la nourriture et des soins vétérinaires.
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Mais aujourd’hui, grâce à Audrey, l’organisme est aussi une source de bonheur incroyable, à voir les visages lumineux qui posent avec leurs animaux.
La mascotte du cinquième
C’est le cas de Kaven, qui agite un contenant avec de la nourriture pour chats dans l’espoir d’extirper Fantôme de sa cachette. Un succès, puisque le félin noir s’amène aussitôt. « Tout le monde le connaît sur l’étage, c’est la mascotte. Ça met de la vie, mais ça peut être un paquet de troubles quand t’es dans la rue », explique Kaven, soulignant que la gestion d’un chat indépendant est parfois complexe. « Il est social, il va dehors, il chasse et me ramène parfois des offrandes. Je ne veux pas l’enfermer ici, il sort dans le parking et pisse sur des chars pour délimiter son territoire! », lance-t-il en riant.
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Devant l’objectif d’Audrey, une tendresse complice émane de cet homme aux traits durs qui a atterri ici en 2022. Face à la fermeture imminente du centre, sa quête pour un logement n’a jusqu’ici mené à rien. « Pour les propriétaires, un chat, c’est rendu comme un pitbull, tellement ils ne veulent pas d’animaux. J’ai peur de me ramasser dehors après la fermeture d’ici », peste Kaven, alors qu’une tête sort d’une chambre située plus loin dans le couloir.
« Hey, Kaven! Si tu cherches Fantôme, il est icitte. »
«Je vais fucking die, si je m’en sépare »
On emprunte un ascenseur, puisque le shooting photo se transporte sur un autre étage. Marie-Pier m’explique qu’en plus de l’aspect affectif, plusieurs sans-abri qui se procurent des chiens le font pour des raisons de sécurité. « Mais bon, le but premier est de pouvoir s’occuper de quelque chose et d’avoir la fierté de le faire », explique-t-elle, soulignant par le fait même l’importance de la dimension thérapeutique.
La coordinatrice des services au refuge de l’Hôtel-Dieu pour la Mission Old Brewery, Justine Ponel, abonde dans le même sens.
« La présence des animaux amène un baume sur le cœur des gens. Juste le fait de les caresser et de s’en occuper entraîne une solidarit é sur les étages », souligne Justine, qui s’échine à relocaliser sa clientèle.
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« Il y a un autre endroit qui accepte les animaux, mais c’est dans un sous-sol d’église avec des compartiments séparés par des rideaux et où les chiens doivent porter une muselière », déplore-t-elle.
Alex et son Jack Russel de trois ans nommé Punky nous attendent dans l’aire commune. « C’est plate de partir d’ici. J’essaie fort de trouver un logement, mais les gens refusent mon chien. Les loyers sont aussi rendus hors de prix », dit Alex, visiblement défait.
À vrai dire, si son propre sort l’indiffère, seul celui de Punky lui importe. « Je dois toujours le surveiller. Mon premier coloc laissait traîner de la bouffe périmée et l’autre fumait du crack dans les toilettes. Je vais fucking die, si je m’en sépare », laisse tomber l’homme originaire de la Nouvelle-Écosse.
Régime de bananes pour Ti-Roux
Au bout du couloir, Audrey fait des miracles pour rendre à l’aise Jade, bien fier de poser en compagnie de Ti-Roux, un magnifique chat de quatre ans à poil long. « Vous avez vraiment une belle connexion avec votre chat, et c’est justement ce que je veux croquer », explique la photographe, en attirant Jade et son chat près des fenêtres où la lumière est plus belle.
« Il veut toujours être avec moi. Il aime le sirop d’érable, le cantaloup, les bananes et les dattes », s’enorgueillit Jade, qui projette Ti-Roux dans les airs comme si c’était un bébé.
L’homme, malentendant, a aussi un problème d’élocution lorsqu’il s’exprime.
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« Il se réfère à son chat. Quand il voit ses oreilles se dresser, il sait que quelqu’un vient d’entrer dans la chambre », souligne au passage Justine, la coordinatrice.
« Je les aime, ce sont mes chats! »
La séance culmine vers les étages réservés aux femmes, où la cohabitation avec les animaux fait également bon ménage.
Alicia nous accueille avec Britney, un caniche femelle de sept ans, pesant quelques livres à peine, à l’air très coquette avec ses petites mèches roses. « Tout le monde veut la flatter. La nuit, elle dort à côté de moi sur mon oreiller », confie Alicia, une femme trans qui dit déjà devoir dealer avec son lot de préjugés dans sa quête d’un appartement.
« Je ne sais pas encore où aller, mais j’ai quelques rendez-vous qui s’en viennent. Les gens ont peur qu’elle dérange… », se désole Alicia, en prenant la pose sur son lit.
Britney, elle, semble bien décontenancée par cet achalandage anormal dans sa chambre.
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Audrey disparaît dans une autre chambre avec une femme et son chien, qui souhaite préserver son intimité.
Je termine pour ma part ma visite chez Joy, dans la chambre qu’elle partage avec ses chats Lexus et Fendi, en plus d’une colocataire.
Celle-ci disparaît dans la salle de bain, le temps de notre conversation. « Au début, elle disait qu’elle n’aimait pas les chats. Mais maintenant, elle les flatte tout le temps », souligne Joy, au sujet de sa coloc.
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« Même si c’est dur de trouver un endroit, je ne vais jamais me débarrasser d’eux. Je les aime, ce sont mes chats! », renchérit-elle, en s’amusant avec eux à l’aide d’un pointeur laser.
Je quitte l’Hôtel-Dieu en craignant le pire pour l’avenir des gens croisés aujourd’hui. Le marché locatif est déjà sans pitié, je sais qu’il l’est encore plus pour Mimi, Fantôme, Punky, Ti-Roux, Britney et leurs parents.