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Ce texte est issu du numéro 6 spécial Son
Une chanson vous plaît. Ne connaissant malheureusement pas le titre, vous en êtes réduit à marmonner un air incompréhensible devant le vendeur au magasin de disques. Situation quelque peu embarrassante… Pourtant, vous l’avez en tête, mais ça ne veut pas sortir.
Si vous avez déjà vécu une telle situation, vous ne deviendrez certainement jamais musicien. Encore moins compositeur ou arrangeur sonore. Toutefois, comprendre comment fonctionne le son et d’où il vient peut compenser, du moins en partie, votre faible talent d’interprète.
Nous savons qu’un son est une vibration de l’espace ambiant depuis que Pythagore a déduit la chose il y a plus de 2 600 ans. Une guitare permet d’illustrer le phénomène simplement. Lorsque la corde de la guitare se détend, elle produit un claquement qui fait vibrer les particules d’air. En s’entrechoquant, celles-ci créent alors une réaction en chaîne qu’on appelle onde sonore. Cette onde, se propageant jusqu’à nous à plus de 300 mètres par seconde, fait ensuite pression sur les minuscules os de l’oreille interne que sont le marteau et l’enclume, dont le rôle est de transmettre les signaux au cerveau en accentuant la résonnance du son.
En variant la source, la force et la vitesse de l’onde, on peut obtenir tous les sons possibles. Par exemple, une onde qui vibre rapidement (à une haute fréquence) crée des sons aigus. Tandis qu’une onde vibrant à une fréquence plus faible entraîne un son plus grave. En musique, la pratique veut que chacune des notes corresponde à une fréquence particulière de vibration.
La différence entre un son et un bruit ? Lorsqu’un son oscille de manière fluide et qu’il se rend à nos oreilles en un rythme continu, il est perçu comme agréable. Si les vibrations ne sont pas ordonnées ou qu’il se produit une distorsion dans l’onde sonore, nous percevons alors un bruit, car nous ne sommes pas en mesure de définir une structure, un pattern sonore clair.
Voilà pour l’explication du phénomène physique. On ne connaît toutefois presque rien sur les processus mentaux qui entrent en jeu dans la perception sonore. D’où vient le talent musical ? Pourquoi certains sons nous agressent alors que d’autres nous font danser ? Certaines personnes naissent-elles avec le rythme dans le sang ? Autant de questions qui nous intriguent.
LE LANGAGE DE LA MUSIQUE
Professeur au département de psychologie de l’Université McGill, Daniel Levitin étudie la perception du son et se passionne pour toutes les questions se rapportant à la musique. Pour cet ex-producteur de Stevie Wonder, Chris Isaac et de Talking Heads, chanter ou jouer d’un instrument devrait nous être aussi naturel que de parler. « La zone du cerveau qui traite le langage est exactement la même qui permet d’apprécier et de créer de la musique. Si on maîtrise la structure d’une langue, on pourrait aisément en faire autant avec la musique, puisque celle-ci se définit comme l’organisa tion du son d’une manière structurée», explique celui pour qui le cerveau est un terrain de jeu à explorer. Loin d’être l’apanage d’une minorité talentueuse, le sens musical ferait partie intégrante de l’évolution de notre espèce. Bien avant que nos lointains ancêtres ne tapissent les grottes de peinture, ils chantaient.
Plus étonnant encore, selon divers experts, la musique pourrait même être apparue avant le langage parlé. Sa fonction première aurait été de rassembler la communauté, le soir, autour du feu, pour éloi gner les prédateurs. Notre cerveau aurait donc évolué en fonction de notre aptitude à communiquer par des sons, simples au départ, puis de plus en plus complexes.
TALENT INNÉ OU APPRIS ?
Mais pourquoi si peu de gens semblent doués pour la musique ?
Daniel Levitin croit que nous avons beaucoup plus de talent musical que nous le pensons. «Nos expériences ont prouvé qu’en se concentrant, trois personnes sur quatre sont capables de reproduire leur chanson préférée de mémoire, avec le bon rythme et la bonne intonation. Même ceux qui n’ont aucun talent musical ont été en mesure de reproduire au moins le refrain. » Le blocage musical est selon lui d’ordre psy cho social plutôt que physique. «Dès notre jeune âge, on nous fait sentir que si on ne possède pas le talent particulier, on est mieux de ne pas trop essayer. » Selon cet ancien guitariste de groupe punk, en visant la perfection plutôt que la participation, notre civilisation mo derne nous coupe de cette pulsion ancestrale.
«Quand on observe les peuples traditionnels, que ce soit en Amazonie, en Indonésie ou en Australie, on se rend compte que dans ces tribus tout le monde joue de la musique. Chacun participe, chante, danse ou tape des mains. En Occident, par contre, vous trouvez une classe d’experts appelés musiciens et le reste de la population qui paye pour entendre ces spécialistes. »
Pour illustrer à quel point cette situation peut être absurde, il mentionne l’histoire d’un anthropologue anglo-saxon partageant la vie d’une tribu du Lesotho. Lorsque les villageois lui demandaient de chanter avec eux, il répondait qu’il ne pouvait pas. En plus de 5000 ans d’histoire, cette phrase n’avait jamais été prononcée dans cette langue.
Il était incompréhensible pour eux qu’une personne physi que ment capable de parler et de respirer ne puisse pas chanter. La vérité, c’est qu’il n’avait jamais appris et se sentait gêné de le faire.
LE MYSTÈRE DE L’OREILLE ABSOLUE
Si certaines personnes ont un sens musical très peu développé, à l’opposé, on retrouve des gens qui possèdent une extraordinaire capacité à identifier les sons et à reconnaître quand un instrument
sonne faux. Un talent naturel qu’on nomme l’oreille absolue et qui demeure une énigme encore aujourd’hui. «Nous pouvons tous aisément identifier les différentes teintes de couleur. La grande question est : Pourquoi ne pouvons-nous pas le faire pour les sons ? » se demande Levitin, pour qui l’oreille absolue serait un trait génétique faisant partie du cerveau primitif. On estime qu’une personne sur 10 000 naît avec cette prédisposition. Toutefois, très peu la conservent s’ils ne se sont pas exercés durant l’enfance, car les circuits neuro naux ne se seront pas formés. On sait que Mozart était doté de cette faculté, tout comme Beethoven, Bach et Toscanini ainsi que de nombreux accor deurs d’instrument qui font de ce trait génétique leur gagne-pain.
De manière surprenante, Levitin nous explique que les personnes qui ont l’oreille absolue ne feraient pas nécessairement de meil leurs musiciens. «Ce qui est important en musique, explique-t-il, ce n’est pas tant d’identifier la fréquence d’une note ou de savoir dans quelle gamme elle se situe. Ce qui compte, c’est de pouvoir la mettre en relation avec les autres afin de les enchaîner sponta né ment. C’est ce qu’on nomme l’oreille relative. C’est un peu comme pour les mots, à quoi bon pouvoir nommer une chose si on ne sait pas à quoi elle sert?» Dans notre cas, l’oreille absolue nous servirait sans aucun doute à fredonner la foutue chanson comme il faut.
Ce texte est issu du numéro 6 spécial Son