.jpg)
Un apéro avec les raëliens
« Raël sur Netflix : vous avez des questions, nous y répondons en direct », propose-t-on en majuscules sur la page Facebook du mouvement raëlien canadien, conviant les curieux en fin d’après-midi, juste à temps pour l’apéro.
Je suis tombé là-dessus par hasard en scrollant par un samedi froid et pluvieux, propice au flânage virtuel. En somme, un excellent mood pour me laisser bercer par des histoires d’extraterrestres, un gin-tonic à la main et mon troisième œil grand ouvert.
Pour ceux qui l’ignorent, la secte de Raël fait l’objet d’un documentaire en quatre épisodes disponible sur Netflix depuis février. Signé par les réalisateurs français Antoine Baldassari et Alexandre Ifi, Raël : le prophète des extraterrestres est le fruit d’une enquête menée sur quatre continents, décortiquant l’histoire derrière ce culte psychotronique, de sa genèse à aujourd’hui.
La série tend le micro aux adeptes et aux détracteurs du mouvement, notamment à la journaliste québécoise Brigitte McCann qui avait infiltré durant 9 mois la secte avec sa collègue Chantal Poirier pour le compte du Journal de Montréal.
Cette infiltration s’était déroulée en marge de l’affaire du bébé cloné, un canular qui avait braqué les projecteurs sur les raëliens, au point de forcer un passage de ses dirigeants devant le Congrès américain. La présumée scientifique et porte-parole de cette fumisterie, Brigitte Boisselier, a d’ailleurs été rencontrée par les documentaristes au Mexique où elle est désormais établie. Même chose pour le gourou lui-même, retrouvé au Japon où il vit depuis plusieurs années entouré de fidèles et de (très) jeunes femmes.
L’ambassade : le 3e lien des raëliens
Même si la série montre le mouvement sous un jour peu flatteur et relève l’ensemble de ses frasques et mensonges, les raëliens jouissent en ce moment d’une attention médiatique sans précédent, portée par une plateforme au rayonnement mondial.
Un excellent timing pour la construction de leur ambassade servant à préparer l’arrivée des Elohims prévue à compter de 2025 (mais ça pourrait aller jusqu’en 2035, t’sé, juste au cas).
Pour les gens comme ma collègue Anne-Marguerite (née en 2001) qui n’avaient jamais entendu les mots « Raël » et « Clonaid » avant aujourd’hui, les Elohims sont des extraterrestres qui auraient créé les humains en laboratoire. C’est eux qui auraient fait faire une ride de soucoupe volante à Raël (qui était, jusque-là, un genre de chansonnier raté doublé d’un coureur automobile français nommé Claude Vorilhon) en 1973 pour lui annoncer qu’il était un prophète* et qu’il devait transmettre leur message pour préparer leur retour sur Terre.
*Raël s’autoproclame, sans rire, le frère de Jésus, Mahomet, etc., avec qui il aurait soupé en compagnie de Dieu le père, la fée des dents, le lapin de Pâques et deux participants de MasterChef Québec.
C’est dans ce contexte-là que la branche locale du mouvement tenait, en fin de semaine, un séminaire en ligne. « Cette conférence pourrait changer votre vision des raëliens et peut-être changer votre vie… », va-t-on jusqu’à suggérer au bas de l’invitation.
Cours de raëlien 101
Le temps de crier « Parlez-en en bien, parlez-en en mal », me voilà donc en ligne, à 14h, prêt à me faire convertir.
Pas de farce, je serais une proie facile.
Entre l’athéisme et le gars qui marche sur l’eau ou la transforme en Ruffino Chianti, le dude qui s’est fait kidnapper par les petits-gris revendiquant la méditation sensuelle constitue un pas pire plan spirituel.
Après une bouteille de vin et une bonne dose de mush, nous sommes tous un peu des raëliens.
La conférence s’ouvre sur une petite musique zen teintée de flûtes de pan qui accompagne des photos des intervenants.
Une cinquantaine de personnes assez âgées ont également répondu à l’appel.
Jean, notre hôte, ne niaise pas avec le puck, en nous startant une vidéo après les salutations d’usage. Le court métrage – une sorte de cours de raëlien 101 – relate les origines du mouvement.
Tout commence donc le 13 décembre 1973, alors que Claude-pas-encore-Raël se dégourdit le bâton de marche sur un volcan de Puy de la Vache, en Auvergne-Rhône-Alpes. Le soir était tombé, et comme ça arrive parfois quand on se promène seul dans un endroit reculé où il n’y a absolument aucun témoin, une soucoupe volante s’est posée devant lui.
Soudain, un escalier se déploie. « Ce que Claude a d’abord pris pour un enfant descendit et marcha vers lui », raconte le narrateur du court métrage, qui n’a malheureusement pas été sélectionné pour la 96e cérémonie des Oscars.
Mais chut, le meilleur s’en vient. « Ne sachant que faire, Claude réagit en bon journaliste et lui demanda : “Mais d’où venez-vous?” ».
Parce que oui, Claude avait fondé une revue mensuelle de sport automobile baptisée AutoPop, qui venait de faire faillite tout juste avant cette rencontre fortuite. Une bonne chose, puisque c’est plus facile d’embrasser le métier de prophète quand on n’a pas de job à temps plein.
Claude est donc monté à bord de la soucoupe et, apparemment, les Martiens parlaient un meilleur français que la majorité des publications sur mon fil Facebook.
« Nous avons créé l’humanité et sommes à l’origine de toutes les religions sur Terre », avait spoilé l’Elohim qui, à en croire le court métrage, ressemblerait à une sorte de croisement entre Michael Jackson (humm) et un jeune professeur Rogue.
.png)
Claude-devenu-Raël revient ensuite sur Terre (mouin) avec la mission de construire l’ambassade et diffuser en mode « Reply all » le message révolutionnaire de nos supposés créateurs.
Il relate cette mission dans un ouvrage au titre d’une grande subtilité : Le livre qui dit la vérité.
Ça a le mérite d’être clair, en plus de fermer la trappe à tous ceux (des malheureux!) qui seraient tentés de penser que c’est niochon rare de s’auto-examiner l’anus avec un miroir ou d’attribuer la création de l’Homme à des visiteurs technologiquement en avance de 25 000 ans sur nous et qui ont jugé bon de se révéler seulement à un chansonnier has been vêtu comme feu le Capitaine Cosmos.
« Sommes-nous prêts à les accueillir? Êtes-vous prêts à les reconnaître? », demande-t-on en guise de conclusion.
« DAMN YEAH, que je suis prêt! », que je beugle de mon sofa, prêt à signer n’importe quelle carte de membre pour avoir moi aussi droit à un petit collier edgy représentant une croix gammée juxtaposée à l’étoile de David.
Très wokeS, les Raéliens
La conférence se poursuit avec Jean, zéro gêné d’avoir présenté ce court métrage, même s’il est clairement âgé de plus de six ans et demi.
Je vérifie et toujours 51 personnes se trouvent dans l’auditoire virtuel, soit environ 0,00018214285 % de la population canadienne. Pas de panique, Jésus aussi avait commencé ça relax avec une douzaine d’incels en gougounes.
On enchaîne avec le témoignage d’un guide-prêtre prénommé Rodolphe.
« Je m’adresse à ceux qui ont été interpellés par la série Netflix. On est là pour mieux comprendre ce message venu des étoiles », lance d’emblée celui qui occupe la fonction de guide-prêtre pour le mouvement raëlien depuis l’année où Céline a chanté Une colombe devant le pape au Stade olympique. Il n’y a pas de lien entre les deux, QUOIQUE.
Après avoir vanté le wokisme des raëliens (oui, oui, les femmes peuvent être prêtres et, même, évêques!) Rodolphe varlope les maudits médias, qui ont failli à leur responsabilité d’informer judicieusement la population à leur sujet. Bon. Là-dessus, pas le choix de lui donner raison.
C’est quoi, votre problème, les médias, de ne pas croire à une histoire aussi crédible que celle des raëliens!?! Vous n’avez aucun mal, pourtant, à croire un ministre caquiste quand il promet un budget « responsable » après avoir payé des millions pour attirer les Kings de Los Angeles à Québec.
Sur Zoom, Rodolphe en rajoute une couche en s’étonnant que les « preuves » de la présence d’ovnis ne suffisent pas à convaincre les gens. « Je ne comprends pas que les médias s’acharnent à continuer d’étouffer cette émergence d’intelligence et de conscience véhiculée par le mouvement et le message reçu par Raël en 1973 », peste le guide-prêtre, flairant un complot.
Rodolphe raconte avoir reçu une foule de commentaires après la diffusion de la série sur Netflix. S’il dit que les premiers épisodes sont assez représentatifs du « message », il déplore certaines insinuations mensongères, d’où cette volonté de remettre les pendules à l’heure. « Je vous aime tous et nous souhaite de vivre dans un monde meilleur avec respect et considération pour les autres. C’est le but de cette réunion », conclut-il.
Retour sur Jean, notre hôte, soufflé par le témoignage « émouvant et allumé » de Rodolphe. « T’as l’air d’avoir vu le message pour la première fois! », louange-t-il.
L’orgasme cosmique
Au tour de la guide-évêque Nicole de témoigner, apparaissant à l’écran avec sa crinière immaculée et une bouille rassurante. Si cette gentille dame exige 10% de mon salaire + 1% pour le prophète, je signe sur-le-champ.
Elle amorce son discours en complimentant les gens sur leur sourire, avant de faire l’étalage de son CV au sein du mouvement. En gros, elle a vécu un coup de foudre intellectuel en dévorant Le livre qui dit la vérité, il y a de ça 47 ans. Un moment charnière de sa vie, comme si toutes les pièces du casse-tête de patentes qu’elle cherchait à comprendre s’étaient finalement emboîtées brusquement. « Si c’est ça, l’orgasme cosmique, j’en ai eu un », résume-t-elle, ajoutant qu’elle revit cet orgasme chaque fois qu’elle en parle.
Je ne comprends pas encore tous les insides, mais le mouvement semble s’apparenter à un gros club échangiste, d’où l’accent sur les orgasmes et la méditation sensuelle. Dans le documentaire Netflix, on raconte d’ailleurs que les « anges » de Raël sont déjà en stand by pour copuler avec les extraterrestres (et avec Raël, en attendant). Dans le premier épisode, l’une d’elles est d’ailleurs complètement patacrac tellement elle a hâte de coucher avec un Elohim.
La guide-évêque Nicole, elle, affirme n’avoir, depuis 47 ans, rien trouvé de plus logique que la prophétie de Raël. « La science confirme l’œuvre des Elohims, la création et la beauté de la nature », souligne-t-elle.
D’un côté, Nicole n’a pas tort. Après tout, c’est difficile de prétendre que les autres religions ont plus de sens.
Par contre, on dirait que le fait que Raël mène une vie de pacha sur le bras de ses fidèles, se déplace en hélicoptère, bullshit des élus américains sur le clonage, s’est marié à une ADOLESCENTE DE 16 ANS et qu’il tient à ce que tout le monde soit à poil pour méditer qui sème un léger doute…
En tout cas, c’est ce qu’on voit dans le documentaire disponible sur Netflix.
Mais pas de doutes pour Nicole, qui contribue depuis 45 ans – bénévolement, précise-t-elle – à transmettre le message du prophète. « J’ai envie de contribuer au scénario, d’y être comme acteur au lieu de spectateur. Moi, je m’amuse », résume-t-elle.
En effet, Nicole. C’est un excellent scénario.
Période de questions
C’est l’heure de la période de questions. Comme ça ne se bouscule pas, il y a un petit malaise.
Enweyez, le monde, c’est pas comme si un réputé journaliste d’URBANIA s’était faufilé incognito dans votre petite réunion.
Un monsieur brise la glace et demande pourquoi, justement, les médias veulent toujours discréditer le mouvement raëlien.
Nicole lève un peu les yeux au ciel en entendant le mot « média ». Décidément, les raëliens et les Farfadaas devraient s’unir et fonder un club. Le passeport vaccinal n’est pas requis pour aller dans l’espace, en plus (je crois).
Nicole explique que le tango, ça se danse à deux, et que les médias font partie de notre réalité, contrairement à l’époque de Jésus, où son message se transmettait de bouche à oreille. « On ne peut pas se contenter de ça, si on veut accueillir les Elohims dans notre ambassade », insiste la guide-évêque.
Elle ajoute que les médias, d’abord curieux du mouvement à ses débuts, ont ensuite emprunté une voie plus critique dans les années 90.
« Les médias ont décidé que Raël dérangeait l’ordre établi », tranche Nicole, avant d’expliquer aux 50 spectateurs le fonctionnement des médias.
Entre autres, Nicole affirme que les documentaristes lui ont confié ne pas avoir eu le choix de salir le mouvement, sous peine de ne pas arriver à vendre la série.
« Les réseaux sociaux permettent heureusement aux gens d’aller plus loin que la version manucurée des médias », se console Nicole.
Raël ou Raëlle?
Une autre question dans la salle : est-ce qu’une femme pourrait remplacer Raël? Bonne question, madame. Après tout, le prophète septuagénaire va bien finir par prendre une dernière soucoupe vers l’au-delà.
Nicole explique que si Raël ne pourra jamais être remplacé dans son rôle de prophète (comme son bro Jésus), on lui trouvera certainement un intérim parmi les grands évêques du mouvement. Le prochain vote pour élire le guide des guides se déroulera par ailleurs en 2025. Une grosse année en perspective pour les raëliens.
Oui, une femme pourrait succéder à Raël, mais le prophète africain des Elohims, Yves Boni (tout ça existe), part pas mal en tête de peloton, si on se fie au documentaire.
.png)
Un internaute demande ensuite à la guide-évêque son avis concernant les accusations d’avoir menti sur l’histoire du clonage qui planent sur son prophète adoré. Nicole se défend en jurant que ça fait presque 50 ans que Raël dit que les Elohims peuvent donner la vie éternelle en manipulant notre code génétique.
« L’entreprise Clonaid a été sur la sellette, mais ça ne change rien au clonage et à la possibilité de créer une jumelle/jumeau à retardement », martèle-t-elle.
Nicole décrit ensuite les trois étapes menant à la vie éternelle.
1-Cloner un bébé.
2-Développer la croissance accélérée pour créer un.e jumeau.elle de 20 ans.
3-Télécharger le contenu de notre cerveau dans celui d’un.e jumeau.elle de 20 ans.
« Moi, on pourrait me mettre au rebut et je pourrais recommencer à 20 ans. Dans d’autres religions, on appelle ça la réincarnation », conclut Nicole, qui a visiblement très envie d’avoir à nouveau 20 ans.
Bon, tant qu’à être là, aussi bien poser une question sur l’impact de la série sur le membership. Y a pas juste Raël qui pose de bonnes questions, bout d’viarge.
Nicole dit observer un « effet Netflix » sur l’achalandage de leur site et le téléchargement (gratuit) de leurs livres. « Le nombre de visiteurs a multiplié par huit et celui des téléchargements par cinq. Merci à Netflix, qui a vraiment contribué à la mission qu’on s’était donnée, malgré les imperfections », s’enthousiasme-t-elle.
Nicole ajoute que le simple fait de voir sur la plateforme de streaming une image de son prophète devant un ovni coiffé du titre Raël : le prophète des extraterrestres, constitue un gain en soi.
« Et ça va éviter la panique lorsque les extraterrestres vont arriver, l’an prochain… »
Les raëliens contre-attaquent
La conférence se termine par la diffusion du premier épisode (sur huit) d’une série produite à l’interne pour répondre à toutes les critiques émises dans le documentaire Netflix. Le financement, l’endoctrinement, la secte, la pédophilie, la liberté sexuelle, etc. : le cinéaste promet de rectifier le tir.
Le premier épisode dure une dizaine de minutes et taille en pièces le témoignage d’un ancien adepte du mouvement, venu critiquer et traiter Raël de crapule sur le plateau d’une vieille émission populaire en France. Cet extrait de Ciel mon mardi est par ailleurs diffusé dans le deuxième épisode de la série Netflix.
Pendant 10 minutes, la guide-évêque énumère tous les démêlés avec la justice de l’ex-adepte, décédé il y a maintenant 11 ans.
« On espère que les journalistes vont cesser de déterrer les morts pour salir le mouvement raëlien », raille Nicole.
La conférence prend fin et ça tombe bien, parce que mon gin-tonic aussi est terminé.
Un autre sera nécessaire pour me remettre de tout ça.
Triste d’imaginer que des gens soient à ce point vulnérables pour tomber dans d’aussi grands panneaux. Les mêmes, sûrement, qui pensent que c’est vraiment des lutins qui fabriquent les jouets que distribue le Père Noël. Et ce, même si Raël lui-même admet du bout des lèvres, à la fin de la série Netflix, que le bébé cloné était un canular pour attirer de l’attention sur son mouvement.
Triste, aussi, de voir la pauvre Brigitte Boisselier s’accrocher à cette fabulation du fin fond du Mexique et la guide-évêque Nicole jouer sur les mots pour maintenir la supercherie dans un Zoom auquel cinquante personnes ont assisté.
Et s’il faut accorder le moindre mérite au mouvement et à son prophète, un des détracteurs de la série Netflix le résume de la meilleure manière. « Quelle ténacité, et quelle force mentale, de perpétuer pendant près d’un demi-siècle le même mensonge. »
C’est vrai que ça, c’est franchement impressionnant.