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Twitch et la télé, entre mépris et fascination

Quand un nouveau média emprunte les codes d'un ancien.

Par
Hugo Ruher
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Twitch est souvent définie comme l’anti-télé, mais la plateforme de streaming se nourrit aussi des programmes de ces aînés. Un emprunt finalement assez logique chez un média encore jeune et en pleine évolution.

« Il y a des gens qui regardent d’autres gens jouer… Il faut vraiment ne rien avoir à foutre de sa vie! » Déclaration d’Antoine de Caunes au Grand Journal en France, confronté pour la première fois à Twitch en 2015. L’animateur s’est excusé depuis et a reconnu son ignorance, mais le mal est fait. Désormais, les influenceurs de Twitch regardent d’un mauvais œil la télé, ce média de « boomers » qui ne s’adresserait plus qu’à une population vieillissante sans rien comprendre à la jeunesse.

Les médias traditionnels ont compris qu’en devenant des streamers, ils pouvaient aussi toucher une nouvelle audience.

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Pourtant, depuis, la plateforme d’Amazon a beaucoup changé. Elle n’est plus limitée aux jeux vidéo et voit l’apparition de programmes très différents, allant de la simple discussion au débat politique en passant par le « react », du visionnement d’autres programmes. Et en plus, depuis le premier confinement, elle a explosé avec plus de 130 millions d’utilisateurs et utilisatrices.

Résultat, la dichotomie télé/Twitch n’a plus vraiment lieu d’être, et les médias traditionnels ont compris qu’en devenant des streamers, ils pouvaient aussi toucher une nouvelle audience. C’est ainsi que BFM, FranceInfo ou Arte se sont lancés avec plus ou moins de succès sur Twitch.

De l’autre côté, les streamers se sont aussi développés et pour certain.e.s, la caméra unique devant un décor plein de néons, ce n’est plus assez! Ils et elles créent leurs émissions en plateau. Popcorn, Backseat, 301 vues… Des shows avec des invité.e.s, des chroniqueuses et chroniqueurs réguliers, des habillages, des jingles… Bref, la télé sauce Twitch.

Pourquoi ce mimétisme lorsqu’on vante la spécificité d’un média libre, sans les contraintes de la «télé de papa»?

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Alors pourquoi ce mimétisme lorsqu’on vante la spécificité d’un média libre, sans les contraintes de la « télé de papa »? « Mine de rien, c’est difficile d’inventer un concept, confie Vincent Manilève, journaliste spécialiste d’internet. Twitch est une plateforme jeune qui arrive après des décennies d’émissions télé en plateau. Ils ne vont pas tout réinventer, mais s’ils veulent une émission construite, avec un fil conducteur, ils sont obligés de se cadrer, et ça se met à ressembler à de la télé. »

Ces émissions trouvent leur public mais cohabitent avec d’autres streams plus « traditionnels ». Horty est une streameuse qui s’est retrouvée à chroniquer pour Popcorn et à coprésenter Laser Disc, une émission produite par Arte sur Twitch : « Ce n’est pas du tout le même travail, il y a beaucoup plus de préparation que pour un stream classique. En revanche, Arte a compris la spécificité de Twitch et nous fait confiance pour qu’on adapte le contenu au média. »

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Ainsi, dans Laser Disc, les animateur.trice.s font participer le chat, et le lisent beaucoup. Une interaction complètement absente d’autres émissions comme Popcorn par exemple. « Cette spontanéité est difficile à accorder avec la nécessité d’un fil conducteur, juge Vincent Manilève. C’est pour cela que, en dehors du contenu, la plupart des émissions Twitch finissent par se ressembler un peu sur la forme. »

Mais quand ils n’imitent pas la télé, certains streamers en parlent via des « react ». Ici, ils et elles regardent des émissions télé et y réagissent, souvent avec humour. C’est ce que fait Guillaume sur sa chaîne Twitch Mr_MVCDLM, où il revoit des émissions d’antan. « J’ai grandi en regardant beaucoup la télé, raconte le streamer de 38 ans. Et j’aime revoir les shows jugés très bizarres aujourd’hui comme N’oubliez pas votre brosse à dents, avec Nagui. La télé d’aujourd’hui est très formatée; à l’époque, il y avait une audace parfois excessive. »

N’y aurait-il pas une forme d’hypocrisie de se servir d’un média que l’on méprise pour créer du contenu?

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Horty aussi confesse regarder des react d’émissions de téléréalité avec un œil plutôt ironique. Mais n’y aurait-il pas une forme d’hypocrisie de se servir d’un média que l’on méprise pour créer du contenu? Pour Vincent Manilève, c’est plutôt un retour à l’envoyeur : « Depuis des années, les médias traditionnels reprennent des vidéos ou même des idées venues d’internet sans les créditer. Et puis, ça a beau être un contenu qu’on peut juger “facile”, ça n’en reste pas moins divertissant. Les enfants de la télé, c’est du react à ce stade! »

Certes, les relations entre le monde de la télé et celui de Twitch sont encore, au mieux, inexistantes, au pire, tendues. Mais chacun peut trouver en l’autre quelque chose à y gagner. Que ce soit une nouvelle audience ou une source d’inspiration. Les échanges entre les deux ont été particulièrement importants pendant la campagne présidentielle française, et il y a fort à parier que ce sera encore plus le cas lors de la prochaine.

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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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