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« Tu viens d’où? » : une quête personnelle, un écho universel

1001 raisons de voir la nouvelle série documentaire de Nicolas Ouellet.

Par
Laïma A. Gérald
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Je ne passerai pas par quatre chemins : Tu viens d’où?, la nouvelle série documentaire pilotée par Nicolas Ouellet, est l’un des contenus, tous médiums confondus, qui a résonné le plus fort en moi ces dernières années.

Entre rires, larmes et grands questionnements existentiels, la panoplie d’émotions que j’ai ressentie devant mon écran me donne envie d’affirmer qu’il y a un « avant » et un « après » le visionnement de cette importante série.

Tu viens d’où?

Nicolas Ouellet, animateur à la barre des émissions Nouveaux sons sur ICI Musique et Jusqu’au bout sur ICI Première, est d’origine sénégalaise. Adopté à quelques mois par des parents blancs établis à Québec, il a grandi dans un milieu blanc, a aujourd’hui une copine blanche et des ami.e.s majoritairement blanc.he.s. Malgré tout, quand le jeune trentaine établi à Montréal depuis une douzaine d’années se regarde dans le miroir, force est de constater qu’il est noir.

Nicolas Ouellet pose [à ses invité.e.s] la question cardinale du documentaire : quand on te demande d’où tu viens, c’est quoi ta réponse?

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S’il amorce une réflexion sur son identité afrodescendante lorsqu’il s’établit dans la métropole à 20 ans, c’est à l’été 2020 que Nicolas a une sorte de déclic. Alors que le mouvement Black Lives Matter prend de l’ampleur aux suites du meurtre de Georges Floyd par un policier blanc, l’animateur se questionne : ça veut dire quoi, être un homme noir dans une société majoritairement blanche? Que signifie être une personne racisée dans le milieu des médias, qui manque cruellement de diversité? Comment prendre position sur des enjeux qui nous concernent mais dont on se sent partiellement éloigné?

Nicolas Ouellet se lance alors dans une quête bien personnelle : passer un test d’ADN afin de confirmer ses origines sénégalaises, ce qui deviendra la pierre angulaire d’une réflexion aux ramifications exponentielles. Pour ce faire, on le suit dans la maison de ses parents à Sainte-Foy, dans son salon de Villeray avec sa copine (la comédienne et scénariste Pascale Renaud-Hébert), dans des cafés et les rues enneigées de Montréal et de la Capitale, à la rencontre de personnalités noires ou métissées.

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De Corneille à Isabelle Racicot, de Tatiana Lerebours (des Grands Ballets) à Bruny Surin en passant par Boucar Diouf, Sophie Fouron, Lilian Thuram et Pierre-Yves Lord, pour ne nommer que ceux-là, Nicolas leur pose à tous et toutes la question cardinale du documentaire : quand on te demande d’où tu viens, c’est quoi ta réponse?

If you know, you know.

Du personnel à l’universel

Chaque fois que j’entends Nicolas demander à ses invité.e.s d’où ils et elles viennent et discuter de leur réponse souvent complexe, je me sens engagée dans la conversation, me faisant moi-même souvent poser cette question, étant d’origine marocaine.

« Tu viens d’où? »

« Je viens de Montréal », suis-je tentée de répondre, pensant naïvement que ça résume la situation.

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Mais cette réponse satisfait rarement mon interlocuteur ou interlocutrice.

On entrevoit dans mes traits une culture, une langue dont je ne maîtrise pas même les rudiments.

Je suis née d’une mère française et d’un père marocain, ce dernier n’étant pas dans ma vie depuis plus de 20 ans. J’ai les cheveux foncés et ondulés, les yeux noisette, le nez aquilin, le teint olive. Des traits « vaguement méditerranéens », comme je dis parfois. J’ai été dans un lycée français toute mon enfance et adolescence, donc j’ai un petit accent un-peu-français-mais-pas-vraiment. Mon nom de famille est Abouraja (même si j’utilise beaucoup plus le nom de ma mère, Gérald). Et pour ajouter un ingrédient à ce beau cocktail « exotique », je m’appelle Laïma, un prénom qui « sonne arabe », mais qui est pourtant lithuanien, bien que je n’aie pas de racines baltes (enfin, je pense…). Laissez-moi donc vous dire que des « Tu viens d’où? » et des « Non, mais tu viens d’où pour vrai? », j’en entends plus souvent qu’à mon tour.

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En conversation avec Boucar Diouf, Nicolas Ouellet et l’humoriste québécois d’origine sénégalaise affirment qu’en effet, la question « Tu viens d’où? » n’est pas forcément discriminatoire ni intrusive, c’est plutôt la répétition qui le devient. Et ce qui s’avère encore plus complexe à gérer, c’est lorsque la première réponse est remise en cause ou jugée non satisfaisante.

Je vous donne un exemple de ma vie personnelle :

– Laïma, tu viens d’où?

– De Montréal?

– Ok, mais tu viens d’où, POUR VRAI?

– Mon père vient du Maroc.

– Tu es déjà allée?

– Non.

– Tu parles arabe?

– Non.

– Tu connais ta famille qui vit là-bas?

– Non.

– Ton père est né où? Pourquoi il est venu au Québec?

– Je sais pas.

– Tu aimerais aller au Maghreb un jour?

– Je sais pas.

Mon histoire n’est pas la même que celle de Nicolas […] mais c’est une des premières fois que j’accède aussi clairement à des questionnements qui m’habitent depuis toujours.

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Ce type d’interaction, qui se produit régulièrement dans mon quotidien, me laisse toujours un goût amer. Parce que dans mon cas, on reconnaît en moi une identité que je ne possède pas réellement. On entrevoit dans mes traits une culture, une langue dont je ne maîtrise pas même les rudiments. On projette sur moi une histoire, un bagage, un imaginaire qui ne m’appartiennent pas, comme s’il y avait un écart entre mon apparence et mon expérience de vie.

Ceci étant dit, je navigue dans la société québécoise qui m’a vu naître avec beaucoup de privilèges : je n’ai pas d’accent dit « étranger », je possède les références culturelles qui me permettent d’être « comme les autres » et je vis beaucoup, beaucoup moins de racisme que bien des gens.

Je me sens imposteur.

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Entre deux chaises

« Mon histoire est celle d’un garçon entre deux chaises », affirme en filigrane Nicolas Ouellet dans le documentaire. Ce sentiment de tiraillement, « d’entre deux chaises », de vide à combler dont parle l’animateur résonne en moi comme un tonnerre.

Mon histoire n’est pas la même que celle de Nicolas, ni celles des personnalités avec qui il s’entretient avec humilité et générosité, mais je réalise que c’est une des premières fois que j’accède aussi clairement à des questionnements qui m’habitent profondément depuis… toujours.

Les émotions que j’ai ressenties me donnent envie d’affirmer qu’il y a un «avant» et un «après» le visionnement de cette importante série.

Si je ne porte pas en moi la culture marocaine, ai-je le droit de revendiquer mes origines africaines du nord? Ai-je besoin de connaître cette culture pour être « complète » (whatever that means), puisqu’elle coule dans mes veines? Si j’allais au Maroc pour découvrir par moi-même ce que l’on ne m’a pas montré et ceux et celles que l’on ne m’a pas présentés enfant, apprendrais-je des choses fondamentales sur mon identité?

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Des questions sans réponse au moment d’écrire ces lignes, mais qui ne sont pas prêtent d’arrêter de crier entre mes deux oreilles.

Bien que le point de départ soit profondément personnel, la quête de Nicolas est celle de quelqu’un qui veut comprendre qui il est et qui pose des actions concrètes pour tenter de combler, du moins en partie, ce vide qui l’habite. Y a-t-il plus universel que ça?

Si l’on apprend les résultats du test d’ADN de Nicolas Ouellet au cinquième et pénultième épisode de la série, chaque minute du documentaire fait œuvre utile. Grâce à une réalisation feutrée et un storytelling qui s’ouvre telle une boîte de Pandore, on navigue dans des conversations sur la famille, l’enfance, l’adoption, le racisme, les privilèges, la culture, la musique, le sport, etc.

Si l’animateur affirme vouloir ouvrir le dialogue, c’est tout en délicatesse qu’il offre un espace de conversation riche, important, inspirant et hautement pertinent dans lequel tout le monde gagne à se plonger.

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Tu viens d’où?
À visionner sur ICI Tou.tv Extra