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“Ce n’est pas un congrès de guns qui est présentement au Convention Center?”
On est le 31 décembre à Pasadena, un petit bled en périphérie de Houston, et mon chauffeur d’Uber tente de me faire la conversation pendant que je fixe les enseignes de diners au long de la route. «Ouais. Ils vendent des couteaux, aussi.»
«Oh. T’as pas l’air de ce genre de fille, pourtant.»
Le Convention Center de Pasadena ressemble un peu à un sous-sol d’église d’Hochelaga.
Probablement pas, en effet ; je ne crois pas avoir tenu un gun dans mes mains de ma vie. Mais si je suis pour visiter le Texas, si je suis pour visiter le fameux Trumpland, si je veux voir ce qu’il en est de la trâlée de préjugés qu’on a de ce bout de pays, aussi bien le faire à fond.
Le Convention Center de Pasadena ressemble un peu à un sous-sol d’église d’Hochelaga. C’est beige et brun partout, mal éclairé, chaleureux dans son manque de ventilation. Mais si jusqu’à date, j’avais découvert un Texas si loin de tout ce qui en est dit, avec des villes multiculturelles et des habitants à la pensée généralement progressiste, la seconde où tu vois une mer de guns à perte de vue te rappelle qu’on ne peut pas résumer un endroit que par des rencontres de bars de hipsters.
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L’entrée au congrès est 9$. Gratuit si tu deviens membre de la NRA sur place. La «National Rifle Association», c’est une organisation voulant assurer le droit à la possession et au port d’armes. Leur mandat est, selon leur pamphlet, de protéger ta liberté, ta famille, ta communauté, ton pays, ton futur – rien de moins.
Ainsi, pour 30$ et quelques conditions comme celle de n’avoir jamais été trop violent dans le passé, l’inscription te donne droit à une assurance pour ton gun, des formations, et des rabais dans 6000 hôtels et motels du pays. (Un bon deal pareil, dit de même.)
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Une fois rentré dans le lobby, tu peux acheter des chevreuils faits en métal recyclé, des reliques de la guerre de Sécession, du matériel de survivaliste, des t-shirts aux slogans douteux anti-Obama, du beef jerky maison ou des bibles antiques. Mais le cœur de ce rassemblement se tenant deux week-ends par mois se trouve après les portes, dans cette espèce de Comic Con des armes.
Plein de gens prêts à te parler de leur passion des guns et du «pourquoi tu devrais en avoir un».
Sur les tables, il semble avoir assez de guns pour y partir une révolution ; des petits, des gros, certains qui semblent pouvoir venir que de films de Michael Bay. Il y a des couteaux de chasse, des machettes pliables, des bijoux à l’effigie du Texas, des munitions grosses comme mon doigt, des nettoyants pour polir son 45mm et des camps de jour pour que ton plus vieux puisse apprendre à tirer.
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Mais surtout, il y a beaucoup de gens prêts à te parler de leur passion des guns et du «pourquoi tu devrais en avoir un».
J’ai passé les heures suivantes à jaser et apprendre à tenir un gun. Paraît-il que tu ne dois pas tenir ça de coté comme les criminels badass à la tv by the way, parce que c’est un bon moyen de te casser le poignet.
À un moment, pendant que j’errais en mangeant mon beef jerky, je me suis arrêtée à un stand qui te propose, pour 45$ par mois, de te fournir un avocat, payer ta caution et s’occuper de toute la paperasse si jamais tu tires sur quelqu’un. En gros, une assurance pour t’éviter de croupir en prison si tu finis par tirer, par exemple, une personne qui passerait son ton terrain sans ton consentement (l’exemple du dépliant, je précise).
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Je ne commencerai pas à me promener avec un gun en me disant que tout est épeurant.
J’ai demandé à la madame du stand, une blonde dans la cinquantaine, pourquoi elle croyait que c’était important, d’autant s’armer, de s’assurer, de créer des communautés pour s’armer et s’assurer de s’armer. Elle m’a répondu, l’air si sérieux : «Tu le vois comme moi, le monde est tellement fou, tout est tellement épeurant, faut pas être con ; faut s’armer pour veiller sur ceux qu’on aime. Et parfois, ça veut dire tirer sur des gens avant qu’ils aient la chance de le faire eux. Regarde Paris. Regarde les nouvelles.»
Je n’ai pas su quoi répondre sur le coup. Voyons donc criss, je ne commencerai pas à me promener avec un gun en me disant que tout est épeurant autour là ; ce n’est vraiment pas si pire, ne soyons pas dramatiques.
Quoique c’est vrai que quand je vais sur Facebook, mon newsfeed semble toujours me dire que tout dehors pourrait exploser dans 5 minutes et que les autres sont probablement là pour avoir ma peau. C’est vrai que je ne veux pas l’avouer, mais la peur me pogne parfois dans fond de l’estomac.
«C’est le seul moyen que je connaisse pour me sentir en sécurité.»
Et c’est vrai que les nouvelles semblent toujours me dire que jamais ça n’a été aussi mal que présentement, même quand les livres d’histoire me disent le contraire.
Et c’est vrai, autant que j’ai fucking honte, que l’autre jour dans l’avion, malgré moi, j’ai été suspicieuse d’un monsieur à la peau basanée quand il a commencé à fouiller un peu trop longtemps dans son sac en évitant les regards.
C’était juste du matériel médical. Bien évidemment.
C’est laid, mais c’est si facile trembler. Ce genre de fille là, ce n’est pas si compliqué à devenir, peut-être.
Toujours au stand, j’ai demandé à la madame si elle croyait que loader et déloader des guns était vraiment une solution pour arrêter cette violence dont ils disent vouloir se protéger.
Il y a eu un moment silence, puis elle m’a dit : “Pour moi, c’est le seul moyen que je connaisse pour me sentir en sécurité”.
Au fond, ce que j’ai trouvé au Texas, ce n’est pas Trumpland. Ce n’est pas des rednecks stupides.
Ce que j’ai trouvé, c’est des gens qui ont juste peur, eux aussi. Et qui se cherchent du réconfort comme ils peuvent.
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Pour lire un autre texte de Marie Ayotte : « Ma journée avec les reptiliens ».
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