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Trump le monde – partie 2

Une analyse en trois textes sur Trump et l’état profond.

Par
Mathieu Roy
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Guerres profondes?

La stratégie à utiliser est de semer la confusion pour que les gens ne puissent plus utiliser leur sens critique.
The Art of War – Sun Tzu

It’s difficult to get a man to understand something when he’s being paid not to understand it.
Upton Sinclair

(Pour ceux et celles qui n’auraient pas lu le 1er texte de cette série, il serait préférable de le lire avant d’entamer celui-ci. Pour les autres, il reste encore beaucoup de Pixies à découvrir; dont ça.)

Depuis l’élection de Donald Trump, le concept d’État profond émerge et retentit dans les médias traditionnels alors qu’il demeurait au préalable confiné à une poignée d’analystes géopolitiques dont les idées étaient rarement discutées à Radio-Canada, CNN, France 2, la BBC, ou même Democracy Now, qui demandait récemment à Glenn Greenwald, le cofondateur de The Intercept: «qu’est-ce que l’État profond?» La réponse de Greenwald, même si incomplète, est éclairante pour celui ou celle qui n’aurait auparavant pas réellement intégré l’État profond à son analyse de l’actualité politique et de la géopolitique.

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Prenant la balle au bond, le présentateur de nouvelles satiriques de la chaîne RT, Lee Camp, renchérissait en faisant jouer l’extrait de Greenwald à Democracy Now et en le commentant, fidèle à son style iconoclaste et sardonique, dans un segment complet sur l’État profond qui se dit Deep State en anglais.

«Les médias ne nous font pas réfléchir aux racines des guerres sempiternelles qui nous affligent (…), on ne se demande pas pourquoi, peu importe lequel des deux partis est au pouvoir, les décisions politiques semblent toujours favoriser le 1% au sommet, au détriment de nous tous. Les médias couvrent la politique de surface pleinement. Mais ils ne couvrent que très rarement la politique profonde. C’est-à-dire les forces invisibles, les pouvoirs derrière l’actualité quotidienne, c’est ça le Deep State.

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Les médias détestent en général le concept de profondeur parce qu’il est anathème à l’ascension hiérarchique dans un système qui n’hésite pas à étiqueter les trouble-fêtes. Soyons clairs: l’État profond n’est pas un groupe de six individus en toges qui chantent des incantations, c’est un système en constante mouvance qui rassemble ceux et celles au sommet, non pas d’un monolithe, mais d’un champ de bataille sans merci entre factions qui n’hésitent pas à s’entretuer. Le système englobe banquiers, géants industriels, généraux, agents des services de renseignements, propriétaires de grands médias, stratèges et experts de la propagande et du contrôle des masses.»

Le même Russ Baker, dont l’ouvrage Family of Secrets sur la famille Bush est aussi inquiétant que surprenant, publie souvent des textes du professeur canadien Peter Dale Scott, à qui plusieurs attribuent le terme Deep State. Peter Dale Scott est rigoriste et cartésien et analyse les évènements profonds (l’assassinat de JFK, le Watergate, le scandale Iran/Contra et le 11 septembre) sans sauter aux conclusions, mais en éclaircissant des faits bien trop importants pour être ignorés et en mettant en relief de dangereux et occultes programmes comme celui du Continuity of Government. Pour ceux et celles qui voudraient poursuivre leurs recherches, je recommande son plus récent essai The American Deep State dont vous pouvez lire un extrait ici.

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Dans son plus récent texte sur Who What Why, Dale Scott constate que: «C’est suite à la démission du général Michael Flynn au poste de National Security Adviser que retentirent les rumeurs de guerres internes entre le Deep State et l’administration Trump sur les tribunes des médias traditionnels. Trois histoires relativement similaires furent publiées dans le New York Times, le Los Angeles Times, et le Washington Post, tous trois titrant à la une les mots Deep State américain et laissant entendre qu’il émanait des agences de renseignement et qu’il s’attaquait à l’administration de Trump.»

Dale Scott renvoie ensuite à l’auteur et professeur Greg Grandin qui publie récemment dans The Nation le texte What is the Deep State?:

«Il n’est pas utile, explique Grandin, de concevoir les factions en guerre du Deep State comme une entité monolithique. Big Oil et Wall Street veulent plus de dérèglementations et un rapprochement avec la Russie alors que les agences de renseignements veulent voir une renaissance de la guerre froide. La Silicon Valley et les géants des technologies veulent plus d’accords de libre-échange, de mondialisation tandis que Trump louvoie à travers les différents courants, selon la popularité d’une manœuvre, ce qui le rend potentiellement soit utile soit nuisible, en ce sens, on peut dire de Trump qu’il est à la fois le produit et la cible du Deep State.»

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Le journaliste d’enquête et politicologue Nafeez Ahmed réfléchit depuis longtemps aux antichambres du pouvoir via son portail d’information Insurge Intelligence. Ahmed cite souvent Peter Dale Scott, mais préfère employer le terme «Deep system» (système profond) à celui d’État profond. Dans une entrevue exclusive que lui accorde l’ex Républicain Mike Lofgren, celui-ci confirme:

«N’en déplaise aux Glenn Greenwald de ce monde, le Deep State ne se limite pas aux agences de renseignement. C’est un système beaucoup plus vaste. Un partenariat public-privé, incluant les agences gouvernementales principales, notamment Finances et Sécurité, Wall Street, les contracteurs militaires et Silicon Valley, qui inclue beaucoup de nouvelles fortunes en plus de fournir les technologies requises à la NSA qui, avec la CIA, participe activement au financement de phases de recherche et développement de start-ups depuis des décennies.

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Outre ses agences de renseignements et son arsenal militaire», continue Lofgren, «ce système englobe le pouvoir décisionnel des plus importantes compagnies transnationales, Big Oil, Wall Street, Silicon Valley, et une myriade de think tanks et autres groupes de cette structure qui forment entre elles des coalitions et qui peuvent entrer en compétition, mais qui préfèrent s’entendre sur des politiques fondamentales qui vont ancrer leurs positions de pouvoir mutuelles.»

Récapitulons:

Le concept du Deep State émerge dans le «mainstream» via les médias traditionnels qui présentent le récit d’un conflit entre ce Deep State et Trump, sous-entendant que la tyrannie trumpienne et les soi-disant liens qu’il entretient avec la Russie sont si dangereux que les agences de renseignements américaines, par souci de devoir moral, bloquent les actions de l’administration pour le bien commun.

Chercheurs, journalistes et anciens politiciens qui examinent le Deep State depuis longtemps ne sont pas dupes de cette nouvelle construction de la réalité – gracieuseté de la CIA – et rappellent que le Deep State ne constitue pas une seule et homogène entité, mais plusieurs factions dont certaines se livrent derrière les coulisses de véritables luttes dont certaines batailles débordent parfois dans l’espace public. Pensons à la démission récente du général Michael Flynn comme National Security Adviser. Flynn a-t-il réellement été forcé de démissionner parce qu’il aurait omis de dévoiler au vice-président tous ses contacts avec les diplomates russes entre l’élection et la prise de pouvoir? Peut-être. Le vice-président Mike Pence a-t-il voulu envoyer un message clair à Flynn que celui-ci n’allait pas outrepasser son autorité, mais surtout celle de ses parrains du Deep State? Possible. Mais était-ce réellement à propos d’une conversation avec un diplomate russe ou était-ce pour des motifs plus «profonds» qu’on ne laisse pas filtrer au public?

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Nafeez Ahmed écrivait le mois dernier une fascinante analyse de fond sur la guerre que se livrent à l’interne des factions du Deep State, sur la nature élusive et fuyante de ce système de corruption, mais aussi sur le contexte historique dans lequel ce système invisible ancre son contrôle sur le processus néocolonial et néo- impérialiste d’extraction des ressources naturelles partout sur la planète.

«Cette violence politique profonde et transnationale demeure ignorée par les médias de masse, les cursus pédagogiques et les livres d’Histoire, mais les États-Unis et la Grande-Bretagne érigèrent une architecture financière mondialisée pour servir les intérêts de leurs plus puissantes institutions bancaires et multinationales qui tiennent sans l’ombre d’un doute les reines de la classe politique.

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Le pouvoir des États a été déployé pour l’accaparement des ressources naturelles, des énergies fossiles et de la main-d’œuvre bon marché de toutes ces vastes régions du monde, intégré à l’économie capitaliste mondialisée par une élite transnationale opérant principalement depuis les États-Unis et l’Europe de l’Ouest.

La dérèglementation financière mise en place successivement par plusieurs administrations américaines a mis la table à de loufoques mariages d’intérêt entre organisations terroristes, clans mafieux et institutions bancaires générant une économie criminelle évaluée à $1.5 trillion qui consiste en mouvements de capitaux illégaux, profits récoltés via des activités criminelles, trafic de drogues, importations, blanchiment d’argent , des sommes gigantesques recyclées dans les économies occidentales via les plus grandes mondiales, c’est une injection vitale de liquidité dans ces économies!

La puissance économique des États-Unis est devenue conditionnelle à l’immunité dont doivent bénéficier ces réseaux criminels transnationaux qui utilisent systématiquement le dollar américain pour leurs transactions criminelles. Plus il y a de dollars américains détenus à l’étranger, plus le Trésor américain encaisse de revenus et d’intérêts.»

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Il semble crédible de spéculer sur la possibilité que de réels affrontements aient lieu entre une vieille garde de l’État profond soit:

  • L’alliance entre les néolibéraux et les néoconservateurs qui regroupe des «progressistes» de la Commission Trilatérale, les Rockefeller et leurs fondations, Wall Street 2.0, CIA, Hollywood, les idéologues du Project for a New American Century (PNAC), les «humanitarians bombers» représentés politiquement par les Macron, Blair, Bush, Clinton, Harper, Trudeau, Obama et Samantha Powers, les médias libéraux et progressistes, George Soros et son réseau d’influence dont l’Open Society, le National Endowment for Democracy (NED), une myriade d’ONG soi-disant humanitaires dont Human Rights watch

et:

  • Une nouvelle garde de l’État profond, celle de l’alliance entre conservateurs, Big Oil et Wall Street 3.0 soit Robert Mercer et son réseau, Fox News, les frères Koch, la famille Kushner et ses liens avec l’État profond israélien, la Heritage Foundation et d’autres réseaux d’influence conservateur de droite, Fox et Breitbart News.
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Derrière les étincelles des manchettes, les vraies batailles sont livrées, les alliances réévaluées, et comme nous le verrons dans le prochain texte, même si Trump et son administration étaient en guerre contre des factions de l’État profond, le président a tout de même fait une grande place aux membres de la faction contre laquelle il est soi-disant en guerre!

Comme à la WWF, cet affrontement donne l’illusion d’un schisme, d’un combat; relève de la mise en scène et de la propagande pour distraire et contrôler à la fois le discours et l’anti-discours en semant plus de confusion et en complexifiant le champ lexical. On semble assister à un spectacle géopolitique scénarisé par Sun Tzu.

Pour lire un autre texte de Mathieu Roy: «Dissonnance cognitive».

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