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Trump le monde – partie 1

Une analyse en trois textes sur Trump et l'état profond.

Par
Mathieu Roy
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  1. Les coulisses

(Ceux qui connaissent le groupe rock alternatif culte Les Pixies reconnaîtront d’où j’ai tiré ce titre! Pour les autres, quelle chance de pouvoir les découvrir! Pourquoi ne pas les écouter en lisant ce texte!)

Depuis la campagne électorale de Donald Trump, on assiste à une levée de boucliers sans précédent de la classe dite «libérale», qui s’insurge de la présence du milliardaire Donald Trump catapulté dans l’arène de la télé-réalité politique. Trump serait une réincarnation moderne de Néron et ferait bien paraître les Nixon, Ford, Reagan, Bush 1 et Bush 2. A-t-on vraiment déjà oublié le règne des Bush?!

Je ne m’attarderai pas ici à rassurer mon lectorat en déclinant les multiples illustrations de la maladie mentale du président américain qui formule ses politiques, nationales et internationales, aussi rapidement et exhaustivement que ses «tweets». Je me servirai seulement de cette courte déclaration récente clarifiant ses vues sur le projet de pipeline Dakota Access et du même coup sa sempiternelle mauvaise foi. Sidérant.

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Recueillir les fruits des articulations démagogiques du nouveau président américain semble être devenu le passe-temps jouissif de la classe médiatique dont les représentants se passent le flambeau à coups de missives spectaculaires. Quelle plume enfoncera le clou Trump le plus poétiquement, le plus crument, qui défoncera le mieux les portes ouvertes par le nouveau locataire de la Maison-Blanche (s’il accepte d’y résider)?

Après tout, n’est-ce pas plus réconfortant de faire porter le flambeau à un seul homme? N’est-ce pas plus facile de détester Trump que de fouiller dans les profondeurs de l’État profond afin de comprendre quels intérêts le président représente et comment et pourquoi ces mêmes intérêts l’ont hissé au sommet?

Je l’écrivais dans mon dernier texte, il est candide et vain de penser que les présidents, sénateurs et secrétaires dictent quoi que ce soit, que la ligne du parti républicain soit réellement différente de celle des démocrates. Tous ces hommes et ces femmes – principalement issu(e)s de l’industrie via des portes tournantes – récitent des formules toutes faites, pigées d’un champ lexical démocratique bidon. Ils et elles ne sont en réalité que les représentant(e)s de puissants lobbies (AIPAC, Wall Street, agroalimentaire, pharmaceutique, pétrole et gaz, militaro-industriel, techno-sécuritaire) qui rédigent projets de loi et ordres exécutifs à l’image de leurs intérêts. Le turbo-capitalisme prédateur est ainsi platement prévisible.

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Mais en lisant les journaux et en regardant les téléjournaux, le citoyen honnête court le risque de penser que le monde est encore divisé en États-nations indépendants les uns des autres dont les contours sont clairs et qui pratiquent un jeu démocratique réglementaire laissant place à une saine alternance du pouvoir, d’un parti politique à un autre, tout cela sous le regard critique de chiens de garde médiatiques bienveillants et critiques qui alerteront l’opinion publique du moindre glissement ou abus de pouvoir. Cette fable dépassée résonne encore dans la plupart des rédactions et salles de nouvelles de l’ordre libéral et laisse supposer que les hommes et femmes politiques sont investis d’un pouvoir qu’ils et elles exercent et façonnent selon leurs propres personnalités et valeurs.

Donald Trump n’a pas décidé un matin en se levant de se lancer seul contre tous dans une campagne électorale présidentielle. Certes, son égo démesuré et son narcissisme lui commandaient probablement un nouveau défi du genre, mais l’État profond ne tolère pas les loups solitaires, sauf s’il peut s’en servir à ses propres fins.

Robert et Rebekah Mercer.

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Au mois de juillet dernier, les chances de Trump de devenir président, malgré la victoire à l’investiture républicaine, étaient quasi nulles. Il accumulait les bévues, s’aliénait les bonzes du parti républicain, en l’occurrence les frères Koch, la famille Bush, Mitt Romney et plusieurs autres, et ne semblait pas réussir à trouver le discours catalyseur qui lui assurerait les clés de la Maison-Blanche.

Pour sauver la campagne de son père, Ivanka Trump et son mari Jared Kushner (banquier chez Goldman Sachs et très proche du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu) sont allés à la rencontre du milliardaire Robert Mercer pour lui demander son aide afin d’assurer la victoire aux Républicains.

Mercer est le fondateur de la compagnie Renaissance technologies dont le fonds d’investissement privé – Medallion – est l’un des plus performants de l’histoire de Wall Street, plus profitable encore que les fonds de George Soros et de Warren Buffet.

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Depuis plus d’une décennie, Robert Mercer met en place avec sa fille Rebekah une véritable infrastructure aux multiples façades dont le méta objectif est de permettre aux transnationales – dont la sienne – de financer les campagnes présidentielles. La victoire la plus éclatante du combat que mène avec d’autres Robert Mercer fut sans aucun doute la décision de la Cour Suprême donnant raison à l’organisation conservatrice Citizens United qui, invoquant la liberté d’expression, a obtenu le renversement d’une décision de cour fédérale datant de 2003 qui limitait les contributions financières des multinationales lors des campagnes électorales. En d’autres mots, depuis la décision de la Cour Suprême contre la commission électorale fédérale, c’est un bar ouvert pour les investisseurs du monde entier qui peuvent «miser» leurs capitaux sans limites, dans des super PAC allant vers les candidats de leurs choix. C’est ainsi que Mercer finance depuis longtemps le super PAC de l’idéologue néoconservateur influent John Bolton, macabre personnage s’il en est un.

Outre l’organisation Citizens United, Mercer, par le truchement d’autres instituts, s’attaque systématiquement à l’Agence de Revenu américaine (IRS) pour la discréditer et miner ses pouvoirs de taxation. Il finance aussi de faux scientifiques pro-pétrole et gaz, une mode qui prend de l’ampleur dans les cercles conservateurs.

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Mercer aime aussi produire des documentaires, surtout les projets biographiques dont l’objectif est de redorer le blason de personnages conservateurs comme Sarah Palin, Michèle Bachmann et Ronald Reagan, tous réalisés par un autre ancien banquier de chez Goldman Sachs, un certain Steve Bannon. C’est via des instituts de la famille Mercer que Bannon a pu financer ses «films», dont le «In the Face of Evil» sur Reagan, qui a fait de lui une vedette des cercles conservateurs américains.

La suite est mieux connue. Bannon se joint à Breitbart et lance le média conservateur Breitbart news, ouvertement pro-Israël et à tendance libertarienne. Mercer n’est jamais très loin des projets de Bannon et participe au financement de Breitbart News.

Après la défaite de Mitt Romney en 2012, Rebekah Mercer a pris le leadership de la constellation de son père et a décidé de réorganiser la stratégie républicaine alors que le parti s’effrite et se radicalise autour de la franche Tea Party. Au départ, les Mercer appuient le poulain Ted Cruz, mais suite à sa déconfiture, la proposition d’Ivanka Trump et de Jared Kushner de sauver la campagne Trump devient plus séduisante. Les Mercer et leur lieutenant Bannon se réalignent vers Donald Trump.

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Du jour au lendemain, le super PAC créé pour Ted Cruz sera redirigé vers la campagne de Trump qui fait peau neuve en remaniant son équipe. Steve Bannon devient de facto le directeur exécutif de la campagne qui accueille aussi David Bossie, le président de Citizens United, la commentatrice vedette conservatrice Kellyanne Conway, et l’équipe de la firme de «data mining» Cambridge Analytica qui semble prédire mieux qui quiconque le résultat de la campagne à trois mois du scrutin.

Qu’ont en commun tous ces gens?

Ils appartiennent tous et toutes à l’empire Mercer qui, entre autres, possède un réseau médiatique, une collection de commentateurs conservateurs, des think tanks de recherche, des super PAC bien huilés et une armée de stratèges…

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Mercer et ses amis milliardaires de chez Renaissance constituent une nouvelle faction de l’État profond. Les Wall Street 3.0 – programmeurs, informaticiens, mathématiciens, obsédés par le monde des données et de la vitesse de computation (quantitative trading).

Pour ceux et celles qui maîtrisent l’anglais et qui voudraient aller plus loin dans l’analyse des coulisses de la campagne Trump, j’ai puisé beaucoup de ces informations dans le remarquable reportage de The Real News qui, comme d’autres médias alternatifs, transcende la rage primaire anti-Trump pour creuser et offrir au public les racines du système et non point ses manifestations.

Exactement comme Obama l’avait fait en 2008 et en 2012 avec une rhétorique sociale-démocrate inclusive, l’équipe Trump s’est servie d’une rhétorique fallacieuse, cette fois anti système, anti «establishement», isolationniste et xénophobe afin d’attirer les américain(e)s désillusionné(e)s. Trump sous-entendait constamment que le système était truqué par l’État profond et ses marionnettes, il a fait miroiter à ses dizaines de millions de partisans qu’il n’allait pas imiter Obama et Hillary Clinton en devenant le pantin de Goldman Sachs. Je reviendrai sur cette hypocrisie dans mes prochains textes, mais je conclus celui-ci en disant que comme les adeptes du «Yes we can» furent bernés, ceux du «Make America Great Again» le furent tout autant. Deux rhétoriques illusoires, mais un seul et même résultat pathétique. Trump n’est que l’épouvantail d’une nouvelle faction d’une oligarchie en pleine guerre profonde.

À venir…

2 – Guerres profondes?
3 – L’administration Trump

Pour lire un autre texte de Mathieu Roy: «Dissonance cognitive».

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